Faut-il
ou non s’engager dans une révision du traité de
Lisbonne s’interroge-t-on à Bruxelles ?
Présenté sous ce seul angle, il est difficile à ceux qui
le préconisent de justifier de repartir dans une procédure,
même allégée, qui a tout de même duré dix
ans pour être bouclée… C’est pourquoi Angela Merkel, tout en restant ferme sur le principe,
s’efforce de présenter sous un jour plus avenant sa proposition,
en parlant de « deux phrases » à changer, et en
suggérant des modalités d’amendement qui ne passeraient
pas par des référendums populaires, hautement hasardeux dans
certains pays alors que l’unanimité est requise.
L’actualité
de ces deux jours est dominée par la réunion des chefs
d’Etats et de gouvernements et par ce thème qui les oppose,
reléguant au second plan une nouvelle qui éclaire pourtant
leurs discussions. La Grèce s’enfonce et prend un mauvais chemin.
Le coût de l’assurance contre son défaut de remboursement
de sa dette – le taux des fameux CDS – grimpe sur le
marché tandis qu’il apparaît que les objectifs de
réduction du déficit grec ne seront pas tenus : les
recettes fiscales diminuent, la croissance n’étant pas au niveau
attendu, alors que le trou de la dette est plus profond que prévu.
L’écart croît en conséquence, au lieu de diminuer.
Avec
la Grèce, l’Irlande et le Portugal sont également
entrés dans la zone des tempêtes. La date limite fatidique du
vote du budget portugais approche sans qu’une majorité soit
réunie à la chambre des députés pour
l’adopter, les deux principaux partis ne parvenant pas à se
mettre d’accord. La contribution de ce plan au rétablissement
des finances portugaises n’étant pas par ailleurs d’une
grande crédibilité. En Irlande, l’addition a encore
augmenté. Bientôt posée sur la table, son
règlement pose problème. Une chose en amenant une autre, les
taux obligataires grecs et portugais, qui s’étaient
détendus un peu, viennent de se tendre à nouveau.
Jean-Claude
Trichet, tout en constatant une demande moins forte des banques aux guichets
de la BCE – exprimant une amélioration sur le marché
interbancaire – n’en a pas moins exprimé clairement sa
prudence quant à la suite. Il n’ignore pas que les banques des
pays de la zone des tempêtes sont sous perfusion et qu’il
n’est pas possible de les débrancher. Les Grecs tentent une
restructuration des leurs dans l’espoir d’en solidifier l’édifice,
un remède qui permet de temporiser mais qui sera aussi illusoire que
ne l’a été – ou le sera – la consolidation
des caisses d’épargne espagnoles ou des Landesbanken
allemandes.
Sous
différentes variantes, un même scénario est en train
d’être joué. Soumis à des obligations de
réduction précipitée de leurs déficits et de leur
endettement, une première vague de pays n’y parvient pas et
n’a comme seule perspective que de s’enfoncer dans la
récession. Plutôt que de devoir à nouveau improviser pour
leur éviter un défaut sur leur dette dans l’urgence, il
devient indispensable de mettre au point, pendant qu’il est encore
temps, un nouveau « mécanisme de gestion de
crise » permettant de maîtriser le défaut quand il
interviendra.
Le
fonds de stabilité financière européen (EFSF)
n’est pas armé pour le faire, impliquant que les Etats se
rendent sur les marchés pour prêter ensuite les fonds
recueillis, à un taux plus favorable mais qui dans les faits sera
encore trop élevé. Il ne dispose par ailleurs d’aucun
moyen de faire face et de colmater les brèches, en cas de
restructuration de la dette d’un pays déstabilisant par ricochet
le système bancaire.
En
vérité, il ne semble pas y avoir à ce propos de plan
allemand très élaboré, et le problème reste
entier de savoir comment procéder si son principe devait être
finalement adopté. Or il y a urgence si l’on en croit les
nouvelles en provenance des marchés, l’année 2013 –
fixée comme échéance pour la révision du
traité de Lisbonne – étant bien loin. Les gouvernements
européens sont à nouveau en retard sur
l’événement. Les sanctions politiques – suspension
du droit de vote des Etats en dehors des clous – allant être
écartées, le sommet va réaffirmer des sanctions
économiques en cas de manquement à la discipline budgétaire
et chercher à éviter les procédures
référendaires pour avancer sur la question du filet de
sécurité financier. Une procédure simplifiée
prévue au traité leur tend les bras à ce propos.
Les
marchés sont dans l’immédiat surtout suspendus à
la décision de la Fed, la Bank of Japan
ayant même décidé d’avancer sa réunion
régulière au lendemain de celle de la banque centrale
étasunienne, les 2 et 3 novembre prochains. Afin de pouvoir
réagir sans tarder.
Les
rumeurs se sont ces derniers jours propagées, selon lesquelles la Fed
ne va pas brusquer le mouvement, soumise à des impératifs
contradictoires, et qu’elle ne va engager qu’un programme
progressif et par étapes d’achats de bons du Trésor
américain. Mais l’attente reste néanmoins pesante. Les
marchés monétaires cesseront-ils leur travail destructeur dans
les pays émergents ? Cela semble peu probable. Tout juste
les Américains pourront-ils se prévaloir de leur bonne
volonté…
Le
pilotage est de plus en plus à vue, alors que la visibilité
continue de se réduire. Le pire étant que les commandes
agissent dans le vide, inadaptées à des conditions de crise
pour lesquelles elles n’ont pas été prévues et
dans lesquelles elles sont inopérantes.
Prenant
des directions symétriquement opposées, les Américains
et les Européens réalisent simultanément une double
expérience. Les uns fondent leurs espoirs dans la planche à
billet, les autres dans la réduction des déficits publics. Mais
ils vont faire la même démonstration : même par
l’absurde, cela ne fonctionne pas.
Billet
invité : François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout
ou en partie à condition que le présent alinéa soit
reproduit à sa suite. Paul Jorion est un
« journaliste presslib’ » qui vit
exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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