Depuis le
début de la crise de 2007, l’imagination des banques centrales (BC)
est sans limite. Ils jouent aux
apprentis sorciers en injectant de façon continue des
liquidités. Si on pensait que Ben Bernanke
avait remporté la palme de la créativité, c’est
parce que nous n’avions pas encore rencontré le nouveau
gouverneur de la banque centrale du Japon Haruhiko
Kuroda. C’est chose faite et son imagination est effectivement
débordante : il a fixé un objectif d’inflation de 2%
d’ici deux ans qu’il compte atteindre en doublant les achats
mensuels d’obligations. Il faut lutter contre la déflation
à tout prix. Pour relancer l’économie, l’inflation
apparaît comme le seul salut. Selon les défenseurs de cette
politique, il est impératif qu’elle redevienne positive pour deux
raisons essentielles. En premier lieu, la consommation étant insuffisante
en raison de la stagnation des salaires, l’inflation permettrait de les
augmenter et ce d’autant plus aisément s’ils sont indexés.
En second lieu, l’injection massive de liquidités permettrait et
permet déjà aujourd’hui au yen de baisser et de fait
d’améliorer la compétitivité des entreprises
nippones vis-à-vis de leurs concurrents étrangers, en
particulier allemands.
Un scoop : l’injection de
liquidités est créatrice de richesses !
La politique
de Monsieur Kuroda repose donc sur l’idée que
l’augmentation des salaires par l’inflation va convaincre les
japonais qu’ils sont plus riches. Mais n’est-ce pas une
façon de prendre les gens pour des
« imbéciles » ? Comment peut-on croire une
seconde que si les salaires augmentent grâce à l’inflation
les japonais courront dépenser leur argent victime de l’illusion
monétaire ? Tout d’abord, on peut toujours nourrir de
sérieux doutes quant à l’existence de l’illusion
monétaire étant donné que l’objectif de la
politique monétaire est clairement énoncé.
Or lorsque
Milton Friedman a expliqué les effets économiques temporaires
de l’illusion monétaire, il avait bien précisé
qu’elle n’existe que si les individus ne comprennent pas que
l’inflation est présente ou la sous-estime. Or la politique de
Monsieur Kuroda est claire : il veut atteindre un taux
d’inflation-cible de 2% d’ici deux ans. En d’autres termes
toute augmentation de prix et des salaires sera la traduction de cette
expansion monétaire.
Il est
effectivement possible de considérer l’existence d’un
décalage entre l’augmentation des salaires et
l’augmentation des prix ce qui pourrait conduire les individus à
croire qu’ils son « plus riches », au moins
temporairement, et donc les inciter à dépenser davantage. La
diminution des prix des biens manufacturés en raison de la
mondialisation peut rendre ce scenario probable. Il n’empêche que
compte tenu de l’objectif clairement affiché par la BC, les
individus sont bien conscients qu’à terme l’inflation
viendra réduire leur augmentation de salaire.
Nouvelle tentative
d’assouplissement monétaire au Japon… après
l’échec de celle des années 90 ?
L’annonce
d’une telle politique est surprenante à plusieurs titres. Le
Japon a été l’un des premiers pays à adopter une
politique d’assouplissement monétaire dans les années
1990 et le bilan est plutôt mitigé. La reprise de
l’activité économique n’a pas été au
rendez-vous. Pourquoi penser
qu’une telle politique pourra être plus efficace
aujourd’hui qu’elle ne l’a été hier ?
Par ailleurs, la politique d’assouplissement monétaire
menée par les USA et l’Angleterre n’a pas l’air d'e donner
de meilleurs résultats au regard notamment des montants
déjà mis en jeu en particulier dans le cas des USA ? Cette
politique a été adoptée aux USA et en Angleterre à
la suite de l’éclatement en 2007 des bulles immobilière
et financière. Cela avait conduit à un effondrement de la
valeur de certaines classes d’actif et à une crise de
liquidités sans précédent. La politique d’assouplissement
monétaire a été considérée à tort
ou à raison comme la seule politique capable de faire face à la
crise de liquidité et restaurer la confiance. Cette situation ne correspond pas
à celle du Japon aujourd’hui.
Par ailleurs, cette
politique menée au Japon ne trouve aucune justification
théorique quoiqu’en disent les journalistes. Du
côté monétariste comme du côté keynésien
le recours à la politique monétaire ne se justifierait que lorsqu’un
pays manque de liquidités et certainement pas dans le cas du Japon
dont la crise a des causes différentes. Milton Friedman, chef de file
des monétaristes, a toujours défendu l’idée qu’une
politique monétaire est inefficace pour relancer
l’économie car la monnaie serait neutre. Keynes, de son
côté, ne voyait pas non plus dans la politique monétaire
le comme le moyen de sortir de la crise des années 30 puisqu’il
défendait, au contraire, l’augmentation de la dépense
publique afin de la substituer à une dépense privée en
baisse.
la multiplication de la monnaie
n’a-t-elle jamais réussi à créer autre chose que
des bulles ?
Nous en venons
ainsi à la question fondamentale : ces politiques de
création monétaire excessive peuvent-elles relancer
l’activité économique? Évidemment, c’est la
conviction des banquiers centraux qui les mènent ainsi que de la
majorité des économistes mais sur la base de quelle
justification? Pour le moment, il est certain que les marchés
financiers sont les premiers à se réjouir de ces politiques de
largesse en matière de liquidités. Pour preuve, tous les jours,
les indices boursiers aux États-Unis battent des records et la bourse
nippone a régi très positivement
à l’annonce de la nouvelle politique monétaire. La bonne
tenue des marchés financiers a un impact sur les entreprises qui y ont
accès puisqu’elles leur permettent de financer à moindre
coût leurs projets. En revanche pour les entreprises qui n’y ont
pas accès (entreprises de petite et moyenne taille), la situation est
différente. En effet, les banques préfèrent actuellement
accumuler les liquidités obtenues de la BC plutôt que de les
transformer en crédit. Il y a deux raisons essentielles à
cela : elles doivent digérer la crise et gérer les pertes et
elles font également face à un renforcement de la
réglementation qui demande un temps d’adaptation et n’est
pas favorable à l’activité de crédit.
Outre cette
discrimination entre les entreprises, la possibilité de se financer
sur les marchés à moindre coût n’est-elle pas
malgré tout une bonne nouvelle ? N’est-ce pas le signe d’une
reprise économique ? Il y a des raisons d’en douter car
cette reprise risque de ne pas être pérenne. Elle comporte en
elle les germes de la future crise. En effet, les taux
d’intérêt qui prévalent aujourd’hui sont maintenus
à des niveaux « artificiellement » bas favorisant ainsi le financement de
projets qui n’auraient pas vu le jour sinon. Le problème de ce
type de trajectoire de croissance est qu’elle repose sur des bases illusoires.
Dès lors que la politique d’assouplissement monétaire
cessera et que les taux d’intérêt augmenteront, les
marchés financiers ralentiront au mieux et s’effondreront au
pire sachant que simultanément les projets entrepris par les
entreprises ne se révéleront plus viables.
Après
la crise de 2007 et la crise de la dette souveraine que nous vivons depuis
2010, est-ce un futur souhaitable ? Rien n’est moins
sûr… Finalement, nous pouvons nous réjouir en Europe d’avoir
une d’avoir une BC qui se révèle in fine moins laxiste.
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