Mes chères contrariées, mes chers contrariens,
Notre camarade Simone Wapler de La Chronique
Agora a signé récemment quelques papiers passionnants et
remarquables sur l'or, la Chine, et les États-Unis.
Avant de revenir sur ce que Simone – dont j'apprécie
particulièrement le travail – essaie de nous expliquer, je
souhaitais rapidement reprendre les éléments qui justement
m'amènent à croire que ce que Simone évoque comme une
conclusion évidente va bien se produire.
Pour cela, il faut bien comprendre d'où nous partons.
Pour le commun des mortels, tout semble commencer par un coup de
tonnerre en 2007 avec la découverte stupéfiante de la crise des
« subprimes ». Depuis, le
monde entier enchaîne les déconvenues économiques.
Mais ce qui est resté gravé comme la crise des subprimes est en réalité une crise qui
trouve son origine presque 30 ans plus tôt. En 2007, ce sont des effets
de seuil qui vont se manifester.
Acte
1 : les chocs pétroliers, 1975-1980 et la démassification
C'est à peu près à ce moment-là que les
entreprises, dont les marges souffrent de l'augmentation du prix du
pétrole et de l'énergie, vont se rendre compte que les
progrès technologiques permettent de passer d'une économie de
production de masse nécessitant une masse d'ouvrier à une
économie de masse avec une masse d'ouvriers en moins. Si cette
période marquera la fin des 30 glorieuses, c'est qu'en
réalité, elle voit l'apparition d'un chômage structurel
qui ne baissera plus jamais partout dans le monde. C'est Guy Sorman, dans son ouvrage La Solution libérale de 1984, qui le premier proposera le
terme de « démassification »
pour illustrer ce mouvement désormais exponentiel du remplacement des
hommes au sens large par des solutions techniques (de la robotique à
l'informatique).
Cette situation va logiquement peser sur le marché du travail
et sur les salaires qui ne peuvent plus évoluer dans les mêmes
conditions que précédemment.
Acte
2 : la chute du mur de Berlin rend possible le phénomène
des délocalisations
Jusqu'aux années 90, les pays de l'Est sont reclus
derrière le rideau de fer. La Chine est enfermée
derrière sa grande muraille. Le monde est bipolaire. D'un
côté les gentils, l'Otan, les bleus, c'est-à-dire nous.
De l'autre, les méchants, les rouges, le pacte de Varsovie et les communistes
au sens large, c'est-à-dire eux.
Dans un tel monde, la mondialisation et les délocalisations
sont impensables, alors que les deux camps se menacent à coup de
missiles nucléaires et de guerre plus ou moins froide.
La chute du mur de Berlin marquera l'effondrement de
l'idéologie communiste. Elle marquera aussi pour le monde un
changement radical. Nous passons d'un environnement bipolaire à un
environnement multipolaire.
C'est dans ce cadre que tous les pays communistes s'ouvrent au
capitalisme et s'intègrent progressivement dans l'économie
mondiale. Dès lors, une main-d'œuvre très abondante et peu
cher va venir directement concurrencer les ouvriers
« occidentaux ».
C'est l'époque des délocalisations qui débutent
massivement dès le milieu des années 90 (1995).
Cette situation va elle aussi logiquement peser sur le marché
du travail et sur les salaires qui ne peuvent plus évoluer dans les
mêmes conditions que précédemment.
Acte
3 : l'explosion de la bulle Internet et les attentats du 11 septembre
2001
Vous l'aurez compris, les deux phénomènes dont nous
venons de parler, à savoir la démassification
et les délocalisations, vont peser à la baisse sur les salaires
occidentaux. L'idée générale, c'est que si les
augmentations de salaires demandées sont trop élevées,
on peut vous remplacer par des machines. Si les machines ne peuvent pas
(encore) remplacer certaines tâches, alors on peut délocaliser
la production dans des pays à bas coûts.
Partout dans le monde occidental, les salaires vont donc cesser leur
hausse dès la fin des années 90.
Ce phénomène va être masqué par un recours
à un endettement massif, rendu possible grâce à deux
chocs qui vont frapper l'économie mondiale.
En mars 2000, la bulle Internet explose. Afin de relancer
l'économie et contrer les effets négatifs, les banques
centrales baissent les taux d'intérêts.
A cette époque, le marché immobilier mondial sort d'un
cycle baissier. Les prix de l'immobilier sont bas. Très, très
bas. Dès lors, les gens commencent à s'endetter pour acheter de
l'immobilier. Cet actif rentre dans un grand cycle haussier.
En 2001, les attentats du 11 septembre gèlent
littéralement l'économie mondiale.
Là encore, la seule réponse des banques centrales sera
de baisser significativement les taux d'intérêt.
En rendant presque l'argent gratuit, les banques centrales
créent les conditions d'une bulle d'endettement extrême.
L'ensemble des agents économiques va donc se jeter sur cet
argent « gratuit » ou presque.
D'un côté, une bulle immobilière mondiale va
gonfler. De l'autre, cela masque durablement les problèmes de pouvoir
d'achat des ménages qui sont en réalité
confrontés à une
stagnation majeure de leurs revenus depuis plusieurs années sous la
double pression des délocalisations et de la démassification.
Acte
4 : une dérégulation financière massive
Sous les deux mandats de Bill Clinton et alors qu'Alan Greenspan est
gouverneur de la FED, les USA se lancent dans une période de
dérégulation financière tous azimuts. Toutes les
barrières légales, toutes les contraintes prudentielles tombent
les unes après les autres, ouvrant la voie à ce que l'on
appellera « l'ingénierie financière ». La
naissance de nouveaux outils et l'assouplissement des règles de
contrôle vont rendre possible de nouvelles méthodes de gestion
et de transfert des risques, comme la titrisation.
Le
rôle méconnu et contesté du Community
Reinvestment Act (CRA) ou
« Loi de financement communautaire »
C'est une loi américaine portant sur les relations entre
banques ou autres grands organismes financiers de dépôts et
communautés. Votée en 1977 sous Jimmy Carter, elle a
été modifiée et élargie en 1997 sous le
gouvernement de Bill Clinton. La loi CRA oblige ces organismes à
rendre disponible au public un suivi détaillé de leurs opérations
financières avec les différentes composantes de leur
communauté (notamment les quartiers aux revenus faibles ou
modérés) et mandate les agences publiques Fed, OCC, FDICC et
OTS en tant qu'autorités de tutelle disposant de pouvoirs
spéciaux pour qu’elles incitent ces organismes financiers de
dépôts à répondre aux besoins des
communautés où elles sont admises
Les banques, sachant pertinemment qu'elles prêtent à des
clients aux perspectives de remboursement douteux, vont tout faire pour se
débarrasser de ces créances de qualité moyenne, en
utilisant toutes les nouvelles techniques financières. C'est dans
cette optique que des millions de prêts dits « subprimes » seront titrisés
et revendus à travers la planète entière.
Acte
5 : chômage, hausse de taux et explosion de la bulle
immobilière aux États-Unis
Dans une tentative désespérée de calmer la
spéculation immobilière, Alan Greenspan puis Ben Bernanke vont monter les taux d'intérêt 17
fois. En 2006, ils culmineront à 5,25 %, entraînant l'explosion de
la bulle immobilière et l'insolvabilité des emprunteurs les
plus fragiles – car perdant leur emploi les premiers soit parce qu'ils
sont soumis à un remplacement de leur poste par des machines soit que
leurs usines sont délocalisées en Chine.
Presque tous endettés à taux variables, cette
augmentation des taux d'intérêt rend des millions
d'américains insolvables.
Les prix de l'immobilier s'effondrent. Les saisies immobilières
explosent. La crise des subprimes éclate et
devient très rapidement mondiale, puisque l'ensemble du système
financier international détient de ces produits.
Acte
6 : un enchaînement de crises
La crise des subprimes provoque une crise
financière et boursière dès 2007.
Elle se poursuit en devenant une crise bancaire dès 2008, qui
culmine avec la faillite de Lehman Brothers.
Cette crise bancaire entraîne logiquement une crise
économique dès début 2009.
Pour lutter contre la plus forte récession mondiale
enregistrée depuis la grande crise de 1929, les États se
lancent dans des politiques de relance destinées à stimuler
fortement l'économie.
Deux ans après, en 2011, on se rendra compte de l'échec
de ces politiques de relance qui n'ont pas relancé l'économie,
mais uniquement contribué à l'explosion de l'endettement
public.
Dès fin 2011, les États sont contraints de faire marche
arrière et de se lancer dans des politiques d'austérité
afin de maîtriser un endettement excessif. C'est la crise de l'euro et
de l'Europe qui se refuse, sous la pression allemande, à utiliser la
planche à billets contrairement aux USA ou à l'Angleterre.
2012-2013, la crise économique revient à grand pas et
l'Europe retombe en récession sur fond d'endettement mondial.
Acte
7 : la crise monétaire
Toute crise économique créant des
déséquilibres majeurs ne peut trouver une résolution que
dans une crise monétaire. Ce sera la prochaine étape.
L'insolvabilité guette tous les États. Soit parce que
les plans de rigueur entraînent une récession trop importante
qui ne peut que peser sur les recettes. Soit parce que l'utilisation sans
limite de la planche à billets, comme c'est le cas dans le monde
anglo-saxon, entraînera une dévalorisation de la valeur des
devises telle que cela revient à payer en « monnaie de
singe ».
Bref, nous arrivons aux théories du retour de l'étalon-or.
Acte
8 : vers un nouveau système monétaire international
Pour apurer tous nos excès, nous serons contraints soit de
faire défaut sur nos dettes, soit d'imprimer suffisamment de monnaie
pour les faire disparaître. Dans tous les cas, les monnaies actuelles
disparaîtront... en raison d'une perte de valeur sans
précédent.
Alors que le SMI actuel est hérité de la Seconde Guerre
mondiale, il consacre la suprématie du roi dollar. Ce système,
valable durant la guerre froide, ne reflète plus aucunement le monde
multipolaire d'aujourd'hui, ni même la montée en puissance
d'acteurs majeurs comme la Chine bien sûr, mais aussi l'Inde ou le
Brésil par exemple.
Ce système monétaire international doit de toute
façon, et quand bien même il n'y aurait pas de crise, s'adapter
à la nouvelle donne géo-éco-politique.
Maintenant que nous avons bien compris d'où nous venions et
où nous allions, nous pouvons revenir aux derniers articles de Simone Wapler.
Dans le premier, elle démontre de manière fort habile et pertinente que les États-Unis ne
sont plus la première puissance mondiale. La Chine les a
déjà dépassés.
Là, tout le monde hurle et dit bien sûr que non ce n'est
pas (encore) le cas.
Or, si l'on réfléchit en brut, le raisonnement des USA
première puissance économique mondiale peut se défendre.
En aucun cas si l'on raisonne en net.
Raisonner en net, c'est tout simplement soustraire à la valeur
du PIB US, la valeur de dettes US. Et là, force est de constater qu'en
net, les USA, pays surendetté, sont bien moins riches... que la Chine
avec un PIB certes inférieur, mais avec un endettement très
faible.
Le deuxième article de Simone Wapler
attire l'attention sur les achats massifs d'or de la part de la Chine, qui
évidemment a compris que la prochaine étape sera
monétaire.
Lorsque les monnaies auront été balayées, que la
perte de confiance sera totale, il faudra remettre sur pied un nouveau
système. Dans ce monde d'après, la Chine compte bien jouer un
rôle majeur.
Pour s'imposer comme la nouvelle monnaie de réserve mondiale,
il n'y a aucun secret. Aucun doute. La monnaie qui l'emportera sera celle qui
inspirera le plus confiance.
En d'autre terme, ce sera la monnaie qui sera adossée aux plus
grosses réserves d'or.
Actuellement, la Chine amasse un véritable trésor. Alors
qu'il y a à peine 5 ans, détenir de l'or était un
délit dans ce pays, les Chinois sont encouragés par le Parti
communiste à acheter le maximum d'or, à épargner en or.
La Chine n'exporte plus l'or extrait de ses mines mais s'en sert pour
alimenter exclusivement ses réserves.
La Chine rachète toutes les sociétés
minières sur lesquelles elle peut mettre la main partout à
travers le monde.
La Chine rachète les marchés qui cotent l'or...
Bref, vous l'aurez compris, la Chine développe une
stratégie complexe et intensive autour de l'or et de l'augmentation
rapide de ses réserves.
Il ne faut pas s'y tromper, le système monétaire avec
lequel nous avons vécu depuis le début des années 1970
est déjà mort pour toutes les raisons que nous avons
détaillées plus haut.
Et vous ? Qu'allez-vous faire? Acheter des pièces d'or ou
conserver votre papier sous forme de billets à la valeur
douteuse?
N'oubliez jamais que l'or est la monnaie depuis 6 000 ans et que
s’il est une qualité que l'on peut reconnaître à
nos amis chinois, c'est justement le sens de l'Histoire.
Charles
SANNAT
Directeur de la recherche économique, AuCoffre
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