Un
euro valant ce matin 1,2389 dollars et des taux obligataires en forte hausse
témoignent que les capitaux continuent de quitter la zone euro et que les
investisseurs vendent quand ils le peuvent les obligations espagnoles et
italiennes, mises dans le même sac, qu’ils cherchent aussi un
refuge en achetant de la dette américaine, britannique ou allemande,
dont les taux sont au plus bas. Un phénomène aussi
inquiétant que la hausse du coût de celle des autres. Les
obligations à deux ans allemandes étaient assorties ce matin
d’un coupon zéro, du jamais vu, tandis que les espagnoles
devaient concéder 6,7 % et les italiennes plus de 6 %. Le plus
préoccupant étant que le sort de l’Italie est lié
à celui de l’Espagne.
Les
conciliabules précipités ne manquent pas et
s’élargissent aux Américains. Le ministre de
l’économie espagnol Luis De Guindos a
rencontré hier à Berlin Wolfgang Schäuble,
ministre des finances allemand, sans que rien n’ait filtré sur
le contenu des discussions. « Le gouvernement allemand a confiance dans
la voie des réformes sur laquelle s’est engagée
l’Espagne » a affirmé aux journalistes et pour tout
commentaire Steffen Seibert, porte-parole du
gouvernement allemand. Une conférence téléphonique a eu
lieu dans l’après-midi, à laquelle Angela Merkel, Barack Obama, Mario Monti et François
Hollande participaient. Comme à chaque fois que la discussion est
sérieuse, rien ne sort. Soraya Sáenz
de Santamaría, la vice-présidente du
gouvernement espagnol, a été dépêchée aux
États-Unis, où elle doit rencontrer aujourd’hui Christine
Lagarde et Timothy Geithner.
Dans
le silence assourdissant ambiant, on n’entend que les dénis
allemand et espagnol. Philipp Rösler,
le ministre libéral allemand de l’économie, assure que
« les problèmes qui affectent actuellement la zone euro peuvent
être réglés par une ratification rapide du traité
budgétaire, qui peut envoyer un signal fort aux marchés que les
Européens sont prêts à défendre leur monnaie
». Luis de Guindos, son homologue espagnol
affirme à propos de l’essai raté de recapitalisation de Bankia, contre toute évidence, que « le
gouvernement espagnol n’a présenté aucun plan à la
BCE et la BCE n’a rien rejeté ».
Passons
aux choses sérieuses. Une fois encore, les autorités
européennes sont prises à contre-pied. Elles se
préparaient à décider lors de leur sommet dans un mois
la création d’une « Union européenne bancaire
» allant tout régler et pensaient pouvoir repousser la crise
espagnole à plus tard. C’était sans compter avec Mariano Rajoy, qui doit être voué aux
gémonies.
Le
nouveau plan en gestation est prudemment avancé comme devant
être mis en place par étapes et repose sur une évidence
très tardivement reconnue : il faut déconnecter les dettes
privées des dettes publiques pour les traiter séparément
en évitant le phénomène de contagion. Mis en image, cela
donne qu’il faut couper en deux la patate chaude pour qu’elle
refroidisse plus vite.
Pour
parer au plus pressé, un fonds européen de garantie des
dépôts devrait permettre de diminuer le risque
systémique, afin que les déposants ne soient pas incités
à les évacuer vers des cieux plus cléments,
précipitant les banques dans la déroute. Ce
phénomène hante les autorités, car elles ont senti le
vent du boulet en Espagne.
L’«
Union européenne bancaire » repose sur une mutualisation
bancaire des pertes financée par leur taxation. L’idée
est de percevoir une cotisation annuelle représentant 1 % des
dépôts, et de faire prioritairement payer les actionnaires et
les créanciers pour ne pas mettre à contribution les
États. Si nécessaire, cette structure pourrait avoir
accès en complément au Mécanisme européen de
stabilité (MES), ou même à la BCE via celui-ci, mais ces
dispositifs qui mobilisent des fonds publics demandent à être
précisés et adoptés. La confiance régnant, ladite
structure pourrait geler le versement des dividendes et changer le management
d’une banque en détresse afin de prendre la main et de piloter
son sauvetage, tandis que la BCE fournirait les liquidités permettant
de la maintenir à flot.
Le
diable tourne autour des détails de cet édifice encore sur
plan. Une question de fond n’ayant pas encore été
réglée : selon quels critères préventifs de telles
mesures lourdes de sens seront elles engagées, afin qu’il ne
soit pas trop tard ? Leur annonce ne précipitera-t-elle pas
l’effondrement qu’elles chercheront à éviter ?
Peut-être que la présentation par la Commission
européenne du projet, annoncée pour le 6 juin, abordera ces
questions.
Le
problème des banques réglé, reste celui des
États. Les projets sont de ce côté moins avancés,
après avoir débuté par une ode à la croissance
qui n’a pas trouvé de point d’appui. Les objectifs sont
identifiés, mais il reste à trouver les moyens d’y
parvenir. Ils sont au nombre de trois : permettre aux États en
péril de bénéficier pour se financer de meilleurs taux
sur les marchés, dégager les moyens qui amélioreraient
leurs recettes fiscales, et étaler dans le temps le calendrier de
réduction du déficit afin qu’il devienne jouable.
La
mise en musique de cette feuille de route suppose de trouver un accord
portant sur les euro-obligations, dont Pierre Moscovici (le nouveau ministre
de l’économie et des finances français) et Jean-Claude
Juncker ont tenté hier de définir entre eux les contours, lui
donnant comme objet de ne financer qu’une partie de la dette,
inférieure à 60 % du PIB par exemple, afin de ne pas pousser au
crime.
La
poursuite des débat engagés sur les Project bonds et
leur financement devrait aboutir à la définition du second
volet, mais il reste à trouver le moyen que certains des
investissements soient comme le réclame François Hollande
à effet immédiat. Enfin, sur le modèle de ce qui vient
d’être chichement accordé à l’Espagne par la
Commission (mais à confirmer), après avoir été
refusé à la Belgique et aux Pays-Bas, un étalement du
calendrier de réduction du déficit parachèverait
l’édifice. Ce qui ne serait qu’anticipation de ce
qu’il faudra de toute manière accepter.
Un
tel contexte, une fois adopté, permettrait de maintenir la
stratégie de désendettement, après l’avoir
largement amendée. Les banques devraient plus compter sur
elles-mêmes et le garrot serait un peu desserré sur la gorge des
États. Beau comme un camion, ce plan A’ est loin
d’être accepté, en raison des farouches oppositions
allemandes, ses initiateurs comptant sur les rebondissements de la crise
européenne pour les réduire progressivement.
Mais
ce plan ne dit pas avec quels bouts de ficelle les banques espagnoles vont
être recapitalisées et l’État et les régions
vont pouvoir continuer à se financer. La Grèce reste une
inconnue sur laquelle il est continué de faire silence, les yeux rivés
sur les sondages électoraux qui donnent alternativement vainqueur
Nouvelle Démocratie et Syriza. Dans les deux
cas, une renégociation du « memorendum
» ne pourra pas être évitée,
mais les incertitudes restent énormes dans le second et peuvent
déjouer ce plan.
Billet
rédigé par François Leclerc
Son
livre, Les CHRONIQUES
DE LA GRANDE PERDITION vient de paraître.
Un « article presslib’
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à sa suite. Paul Jorion est un «
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