Après
que l’effondrement total des marchés financiers ait connu un
répit de quelques mois, les médias qui encouragent la bande de
banquiers les plus irresponsables de l’histoire du monde ont
déclaré que la crise était terminée. Ouf, quel
soulagement. Le problème est résolu. Et juste à temps
pour la saison de base-ball, ainsi aucun banquier ne devra vendre sa location
de skybox.
Baisse
des matières premières, reprise du dollar, les actions donnent
raison à Bernanke.
D’ailleurs,
puisque ce mot est utilisé de façon si confuse par
moi-même et par d’autres, qu’entend-on par «
effondrement » ? Je définirais cela comme le choc causé
par la prise de conscience que de nombreuses grandes institutions sont plus
que fauchées, et par
conséquent impuissantes à conduire les opérations
normales. Par « plus que fauchées », je veux dire
qu’elles sont si endettées que tous les comptables qui ont
jamais vécu dans cet univers ainsi que dans plusieurs autres comme
celui-ci, en utilisant les ordinateurs les plus puissants jamais construits,
seraient incapables de suivre l’accélération des pertes
composées (dont la vitesse approche désormais celle de la
lumière).
Wall
Street tournera le dos à la réalité peut-être
encore pendant quelques jours supplémentaires, voire quelques
semaines, mais il semble que tout un vol de cygnes noirs soit en train de
voler en cercle au-dessus de Finance-Land et soit sur le point de masquer le
soleil. Par cygne noir, je me réfère au concept
popularisé par Nassim Nicholas Taleb dans un livre récent du
même nom, à savoir des événements inattendus de
grande ampleur qui ont tendance à changer le cours de
l’histoire.
Pour
le moment, avec la crise « contenue » et les banquiers
qui se préparent à aérer leurs villas de Hampton pour la
saison à venir, nous nous préparons une fois encore à
nous faire prendre par surprise par des événements puissants
que personne n’a vu venir. Le problème, c’est qu’il
y a assez de puissants fiascos potentiels à l’horizon.
Le
fiasco des emprunts immobiliers ne fait que démarrer, en cela
qu’il passe du stade de non-paiement à celui du défaut de
paiement et des saisies à grande échelle. Même le souhait
politique de renflouer les détenteurs des crédits immobiliers
incapables de les payer se heurteront à la tâche administrative
colossale que représente la gestion de ce processus, d’autant
que nous venons à peine de commencer à déterminer qui
possède réellement les emprunts immobiliers après
qu’ils aient été hachés en une fine ribambelle de
titres et revendus à d’innombrables « investisseurs
» dupes, allant des fonds municipaux dans des coins obscurs de certains
pays étrangers à d’innombrables plans de retraite de
fonctionnaires.
Quelle
que soit la façon dont les autorités essayent de «
nationaliser » la plaie des mauvais emprunts immobiliers, le corps de
la finance se retrouvera à l’article de la mort, et les
Américains écoperont de la facture de l’unité de
soins intensifs. Ceux qui, pour quelque étrange raison, continuent de
payer et d’honorer leurs obligations, ne seront pas enchantés de
payer pour les méfaits des mauvais payeurs et des banquiers qui leur
ont prêté de l’argent. Cela présage une
rébellion des contribuables, qui pourrait se traduire par une
rébellion des électeurs.
Il
est dommage que les politiciens n’aient pas été
capables de s’attaquer au cauchemar économique qui se
déroule. Leur silence collectif sur le sujet donne à penser
qu’ils ne savent absolument pas quoi en dire. Au fur et à mesure
que le cauchemar prendra corps et que des cygnes noirs se rassembleront et
assombriront le ciel, que les hedge funds s’effondreront, que d’autres banques se
retrouveront happées par des trous noirs, que dans tout le pays, des
petites et des grosses entreprises mettront la clé sous la porte, que
le chômage augmentera, et que des familles seront jetées de chez
elles même lorsque les renflouements seront supposés les sauver
(mais la bureaucratie est incapable de faire les papiers à temps),
nous allons avoir un groupe de gens très énervés. Que
feront-ils lors des conventions ? Ou en dehors des conventions ?
En
arrière-plan de tout cela, il y a la situation du pétrole,
cruciale, à laquelle personne sur la scène politique ou
médiatique ne veut s’intéresser. . Peut-être
baissera-t-il encore un peu cette semaine, mais la tendance fondamentale
continuera implacablement vers le haut au cours des prochains mois.
Le
pic pétrolier est une réalité. L’offre ne parvient
pas à satisfaire la demande mondiale, même si celle-ci baisse
aux États-Unis. Et de nouveaux éléments secondaires de
mauvais augure font leur apparition chaque mois. Non seulement les pays
exportateurs de pétrole achètent davantage de voitures et
utilisent plus de systèmes de climatisation, mais ils ont
également besoin de davantage d’énergie pour extraire le
pétrole qu’ils ont dans leur sol.
Un
autre élément secondaire est le fait que tout
l’équipement utilisé dans le monde entier pour forer,
extraire et transporter le pétrole est aujourd’hui si vieux et
rouillé qu’il remplit à peine sa tâche, et il va
commencer à tomber complètement en panne à moins que des
investissements soient faits pour le remplacer, ce que personne ne fait.
D’ailleurs,
les Américains rejettent la responsabilité de tous leurs
problèmes liés au pétrole sur les compagnies
pétrolières privées familières comme Exxon-Mobil,
Shell, etc., mais ils ne semblent pas réaliser
qu’aujourd’hui, c’est le nationalisme pétrolier qui
mène la danse. Les anciennes « majors »
privées ne produisent aujourd’hui que 5 % du pétrole
mondial. Le reste provient des compagnies nationales, Aramco,
Petrobras, Pemex, etc, et le fonctionnement des marchés
pétroliers est en train d’entrer dans une phase
d’instabilité extrême car ces compagnies nationales
procèdent de moins en moins à la vente aux enchères de
leur pétrole sur les marchés à terme, mais au lieu
de cela, commencent à signer des contrats à long-terme avec des
clients choisis.
Le
fond du problème est qu’un prix élevé du
pétrole est loin d’être la seule chose dont
l’Amérique doive se soucier. Les États-Unis devront
très bientôt s’inquiéter de se procurer du
pétrole à n’importe quel prix – en d’autres
termes, nous allons devoir faire face à des pénuries et
à des ruptures d’approvisionnement plus tôt que nous le
pensions.
Ce
qu’ignore également la majeure partie des Américains,
c’est que les marchés financiers reflètent toute cette
instabilité autour de la ressource de base qu’est le
pétrole parce que des économies industrielles telles que la
nôtre sont organisées de telle façon qu’elles ne
peuvent fonctionner sans un approvisionnement bon marché et fiable.
Ainsi, la moindre petite agitation dans le monde réaliste du pic
pétrolier signifie que tout ce qui a à voir avec l’argent
et l’investissement de capitaux deviendra naturellement fou, car nos
espoirs d’augmenter nos richesses – c’est-à-dire la
« croissance » – sont fondés sur les
activités qui fonctionnent grâce au pétrole.
Il
sera intéressant de voir quelles nouvelles machinations seront
dévoilées cette semaine. Quelle que soit cette nouvelle
catastrophe, vu des places bon marché, c’est un bon spectacle.
James Howard Kunstler
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