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Des fractures qui ne se réduisent pas

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Published : December 27th, 2010
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Il n’y a pas que nos sociétés qui soient à deux vitesses, l’Europe aussi en a pris le chemin. Etrange et frappante similitude, qui veut que les inégalités s’accroissent, aussi bien entre pays qu’au sein de chacun d’entre eux. Persévérant ainsi dans ce qui a été considéré – par les plus éclairés – comme cause majeure de la crise dans laquelle nous restons plongés : la distribution inégale de la richesse. Faut-il s’en étonner ?


Tandis que les agences de notation continuent de dégrader à tour de bras la note de l’Europe d’en-bas, l’écart s’est désormais creusé sur le marché obligataire avec celle d’en-haut. L’accès au marché financier est devenu hors de prix pour les pays dans le besoin et en comparaison presque donné pour les riches. Déroutante constatation : l’argent n’a pas le même prix pour tout le monde.


Entrés à reculons dans des dispositifs infernaux de sauvetage, la Grèce et l’Irlande se préparent à devoir repousser toujours plus loin toute perspective de sortir de ceux-ci et de recouvrir leur autonomie financière, en attendant que d’autres les rejoignent dans leur calvaire. Car il semble qu’une fois la pente descendue, elle ne puisse plus être remontée. Comme si l’ascenseur social – dont on sait qu’il ne fonctionne plus – avait trouvé à une autre échelle son équivalent.


En Irlande, les banques sont les unes après les autres nationalisées, à très grands frais, afin de protéger leurs consœurs créancières des pays d’en-haut. Les transferts financiers vont des démunis vers les nantis, ce dont on devine les conséquences pour l’avenir.


Le marché interbancaire donne des signes d’amélioration, suite à différentes échéances de remboursement et opérations de la BCE de financement des banques. Le nombre de banques qui utilisent ses facilités diminue, leur en-cours global également. Mais la dépendance des banques continuant de bénéficier du dispositif s’accroît. Le monde bancaire européen, lui aussi, est de moins en moins homogène.


L’Europe est à deux vitesses, la seule question étant de savoir qui va rejoindre ceux qui sont lâchés. D’abord le Portugal et l’Espagne, qui continuent de se débattre mais glissent irrésistiblement sur la pente fatale, n’en faisant jamais assez au regard des marchés et de ceux qui cherchent à calmer leur courroux en préconisant de nouveaux sacrifices humains. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : réaliser des réformes structurelles du marché du travail afin d’améliorer la compétitivité et dégraisser le budget de l’Etat en compressant au passage les dépenses sociales.


La situation des Britanniques devrait pourtant inciter ces oracles mal inspirés à réfléchir. Avant même que ne débute en début d’année prochaine le plan Cameron de quatre ans, le pays est au bord d’une nouvelle récession, agrémentée d’une forte poussée d’inflation et d’une augmentation du déficit public, qui était censé se stabiliser. Des chiffres qualifiés d’« horribles » en font foi, bloquant toute relance via la planche à billet et retoquant toute perspective d’augmentation des recettes fiscales. Plus que tout autre pays, le Royaume-Uni met en évidence le non-sens archéo-libéral d’une médecine reposant sur la saignée en lieu et place de la redistribution de la richesse.


De savantes élaborations sont en cours dans les cabinets. Tout tourne autour d’un nouveau projet franco-allemand, péniblement en cours de gestation, autour duquel une Europe partie dans tous les sens et sans ressort politique pourrait resserrer les rangs. Au moment où toute augmentation du budget communautaire – par lequel des mesures de relance européenne auraient pu transiter – a été bloquée nette par les Britanniques alliés aux Allemands et Français, ces derniers négocient pour leur propre compte du mou dans la ligne de l’austérité, sous couvert de la mise en place d’un gouvernement économique européen à géométrie et argumentaire variables, suivant l’orientation et la force du vent qui provient d’outre-Rhin.


Les Allemands ne veulent toujours pas en entendre parler, s’en tenant au seul objectif de la protection de l’euro. D’après le Süddeutsche Zeitung, ils travailleraient au projet d’un fonds européen, doté pour la galerie d’une enseigne en faveur de « la stabilité, la croissance et l’investissement ». Cette nouvelle institution européenne – indépendante tout comme la BCE – serait en fait chargée d’aider financièrement les pays en difficultés, en contrepartie de garanties financières et selon des conditions économiques sévères.


On revient à l’idée déjà évoquée d’une sorte de FMI européen, avec la création d’un nouvel organisme sur lequel les gouvernements n’auraient statutairement pas de prise, recette de son inflexibilité voulue par les Allemands. Les 16 pays de la zone euro seraient alors régis, pour les questions monétaires et également fiscales, par des institutions sur lesquelles aucun contrôle démocratique ne s’exercerait.


Une autre négociation très politique est engagée, entre Chinois et Européens. Les premiers envisageant d’accentuer le volume de leurs achats obligataires européens ; soulageant dans un premier temps de manière symbolique le Portugal, pour 4 à 5 milliards d’euros uniquement. Les commentateurs mettent l’accent sur l’intérêt que les Chinois ont à soutenir des partenaires commerciaux de première importance, ainsi qu’à continuer de diversifier l’usage de leurs surplus commerciaux au détriment des obligations américaines. Mais les brillants adeptes de ce que l’on avait appelé en d’autres temps la diplomatie du ping-pong veulent de sérieuses contreparties et la partie ne fait que commencer.


La fracture qui est apparue en Europe ne sera pas réduite, ni avec les moyens actuellement employés, ni avec ceux qui sont discutés et s’inscrivent dans la même stratégie. Aucun signe annonciateur d’une évolution de celle-ci n’apparaît, même minime, depuis que la tentative de création d’euro-obligations a fait long feu.


C’est au plan politique que des points de faiblesse apparaissent. Au sein des coalitions gouvernementales britannique et allemande. A la faveur d’échéances électorales programmées ou qui pourraient se précipiter dans d’autres pays. Le constat s’impose pourtant : aucune relève n’est prête, dont on pourrait escompter l’amorce tangible d’une alternative.


Mais quel facteur pourrait donc favoriser l’émergence de celle-ci ? Seule la dégradation prévisible de la situation économique et sociale semble pouvoir en être le ferment, car les accommodements dont les héritiers de la social-démocratie européenne sont porteurs sont eux aussi dépassés par la crise. L’étendue du désastre que représentent nos sociétés à deux vitesses, ou bien celui qu’annonce l’éclatement de l’Europe, réclament une autre vision.


Paul Jorion

pauljorion.com

 

 

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

 

 

Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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