Si
un seul mot devait résumer la journée d’hier jeudi, et en
faire sans hésiter autant des suivantes, cela serait incontestablement
celui de confusion. Dans le désordre, les autorités
européennes continuent d’être à la remorque des
événements. Et, quand elles veulent préparer
l’avenir, elles tentent de bricoler des dispositifs successifs de
sauvetage en les inscrivant dans un calendrier sans rapport avec la dynamique
engagée.
Pour
aller à l’essentiel : l’Irlande est plus que jamais le
détonateur de la bombe espagnole. Afin de ne pas être totalement
démunis quand, lundi prochain, les marchés ouvriront à
nouveau – il n’y a plus que deux jours à tirer avant la
trêve du week-end – les représentants de l’Union
européenne et du FMI ont donc décidé d’adopter
dès dimanche le plan de soutien à l’Irlande.
Précipitant son chiffrage et abrégeant les négociations.
Faisant une fervente prière pour que le nouveau budget irlandais
puisse être adopté, dans une situation de crise politique et
sociale qui rend cette perspective très aléatoire, puisque
cette adoption est la condition sine qua non de l’aide.
Dernier
recours quand tout va mal, Angela Merkel et Nicolas
Sarkozy se sont entretenus dans l’urgence. Pour décider de
précipiter le mouvement afin de tenter de calmer le jeu. Faisant par
la même un gigantesque contre-sens, car ce qui incite les marchés
à continuer de faire monter les enchères et les taux
obligataires irlandais et espagnols – créant même quelques
remous bousculant les obligations allemandes et françaises -
c’est le plan de sauvetage lui-même, et non pas son retard
à l’allumage.
Nul
ne peut croire, en effet, que l’Irlande pourra supporter le fardeau
financier qu’il est prévu de mettre sur ses épaules.
Surtout pas les analystes financiers. Le gouffre qu’offrent les banques
irlandaises ne peut pas être comblé sans, dès maintenant,
mettre à contribution leurs créditeurs, c’est à
dire les banques britanniques, allemandes et françaises au premier
chef. Le Financial Times a fait campagne en ce sens, et des rumeurs font
état d’interrogations du FMI qui aurait considéré
qu’il ne fallait pas autant charger la barque de l’Etat,
aboutissant à des conclusions similaires.
Au
pays des rumeurs, qui ne cessent d’enfler quand l’incertitude
monte, il faut mentionner aussi les pressions exercées sur le
gouvernement portugais par la BCE, afin qu’il sollicite lui aussi un
soutien financier. Dans une tentative d’anticiper l’entrée
jugée dorénavant inévitable du pays dans la zone des
tempêtes, en espérant aussi établir ainsi une sorte de
coupe-feu afin d’éviter que l’Espagne n’en fasse
autant. Car les engagements espagnols sont très importants au
Portugal.
José
Luis Malo de Molina, le directeur général de la Banque
d’Espagne, a clairement expliqué hier jeudi que
« dans la situation actuelle de contagion, ce qui se produit est
que, même si l’économie espagnole ne présente aucun
des éléments de fragilité des économies grecque
et irlandaise, la simple expectative des marchés peut mettre en
difficulté son financement ». Cela vaut annonce de ce qui
risque fort de se passer.
Comme
on peut le constater, les autorités européennes ne se
départissent pas de l’attitude qui ne leur a déjà
pourtant pas spécialement réussi à deux reprises, dans
le cas de la Grèce et de l’Irlande. Elles continuent de traiter
la crise européenne au cas par cas, alors qu’il faudrait la
prendre dans son ensemble. Mais cela supposerait de s’engager sur des
voies qu’elles ne sont pas prêtes à explorer et emprunter.
Faut-il avoir la foi du charbonnier ou une sacré dose de culot pour
déclarer, comme vient de le faire Angel Gurria,
le secrétaire général de l’OCDE :
« L’euro, en tant que devise, a une longue vie devant lui.
Il est vivant et se porte bien »…
Une
même confusion règne quant à la suite des
opérations. Des déclarations autorisées font état
de l’éventualité d’augmenter les enveloppes affectées
aux fonds de sauvetage, aussitôt réfutées par
d’autres voix toutes aussi officielles. La Commission vient en effet de
démentir l’annonce par Die Welt
d’un doublement des moyens du fonds de stabilité (EFSF),
après qu’Alex Weber, le président de la Bundesbank, en a
envisagé la possibilité à Paris. Pourtant, il faudra
bien faire face, le moment venu.
Jonathan
Faull, en charge de la Direction
générale marché intérieur et services de la
Commission, a annoncé la tenue prévue en 2011 de nouveaux stress
tests des banques européennes. Ce qui sonne comme une
véritable reconnaissance de la vacuité des
précédents. La déconfiture imprévue des banques
irlandaises, au bord de l’écroulement, en étant
l’exemple le plus criant. Ce qu’a reconnu le haut fonctionnaire,
qui a voulu mettre les rieurs de son côté en plaisantant sur le
fait que les tests déjà menés
« n’avaient pas résistés »…
Le
gouvernement allemand persévère dans ses projets de mécanisme
de crise, en vue d’avancer au prochain sommet européen de
mi-décembre. Contré par Jean-Claude Junker, avec sa casquette
de premier ministre luxembourgeois, qui voudrait éviter que de
nouvelles décisions franco-allemandes créent des faits
accomplis sur le sujet très sensible de la participation des banques
à la restructuration de la dette des Etats. Une crainte qui
n’est pas fondée, si l’on écoute Christine Lagarde,
la ministre française. Elle a en effet avancé que de telles
décotes ne devraient être selon elle adoptées
qu’« au cas par cas », ce qui prélude
à un enterrement de première classe du projet.
L’excellence des relations entre l’Allemagne et la France ne
permettant pas de saboter plus ouvertement cet aspect du dispositif.
Y
a-t il un abonné au numéro que vous avez demandé ?
Biillet invité :
François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article
presslib’ » est libre de reproduction
en tout ou en partie à condition que le présent alinéa
soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est
un « journaliste presslib’ » qui
vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
|