On
entend souvent dire que « les pauvres sont de plus en plus
pauvres, et les riches de plus en plus riches ». Si souvent, en
fait, que cela est devenu une sorte de triste évidence que l’on
accepte sans réfléchir, la simple musicalité de
l’expression lui donnant l’apparence d’une logique
implacable.
La
pauvreté serait non seulement un état de fait, mais plus encore
une sorte d’épidémie rongeant une part de plus en plus
grande du corps social. Inversement, la richesse serait une sorte de
privilège croissant et sans cesse plus exclusif.
Ces
deux phénomènes seraient même l’envers et
l’endroit de la même dynamique : l’enrichissement
exponentiel d’une élite sans cesse plus minoritaire serait la
cause de l’apauvrissement tragique du reste de la population.
Qu’en est-il en
réalité? Le sujet est si vaste et complexe qu’il faudra
se contenter ici d’en étudier un aspect particulier.
La première chose que
l’on peut affirmer est que la part des revenus des 10% les mieux
rémunérés dans le revenu national est à un niveau
historiquement bas. Avant-Guerre, elle était de l’ordre de 47%.
Au cours des Trente Glorieuses, elle dépassait encore les 35%. Au
début des années 2000, elle était inférieure
à 33%.
Les Trente Glorieuses, que
l’on évoque souvent comme un âge d’or
caractérisé par la croissance, le plein emploi et
l’élévation du niveau de vie général,
était donc beaucoup plus inégalitaires que ne l’est notre
époque si décriée de mondialisation économique et
d’explosion financière.
Si la mesure de
l’évolution de la « part des plus hauts revenus dans
le revenu national » a quelque chose de malsain, ce ne sont pas
les disparités qu’elle pointe ou la dynamique qu’elle
souligne, mais bien plutôt le fait qu’elle présente la
répartition des fruits de l’activité économique
comme le résultat d’un rapport de force entre classes sociales,
et non pas de contributions individuelles différenciées.
Tout se passe comme si
« la France » produisait une certaine richesse globale
dont une minorité capterait une part démesurée au
détriment de la majorité.
On ne peut nier que cette
compréhension fautive de l’activité économique
traduise une certaine réalité. Mais la raison en est que
l’activité économique réelle ne correspond pas au
fonctionnement normal d’un marché libre, pour la simple raison
que l’État y intervient de multiple façons.
Les inégalités
économiques et sociales ne sont pas pathologiques en soi. Tout
dépend comment elles sont produites et donc ce qu’elles
traduisent.
En 2005, les 10% ayant les
revenus les plus élevés gagnaient au minimum 28 520 euros, et
les 10% ayant les revenus les plus bas gagnaient au maximum 8 230 euros.
Maintenant, si ces revenus élevés correspondent au fait que les
10 % les plus riches fournissent un travail aussi rare qu’utile et/ou
avancent une partie de leurs fonds à des entreprises à
succès, et oeuvrent ainsi au bien-être de la
société en général, et des plus
défavorisés en particulier, par la création d’emplois
et de produits de qualité, il n’y aurait certainement rien
à redire. Surtout si la population à bas revenus ne connait pas
le chômage, reste à l’abri de l’inflation, et
à qui la libre entreprise offre une chance de mobilité
ascendante.
La situation n’est pas
du tout la même, en revanche, si les hauts revenus sont
artificiellement dopés par des politiques monétaires à
l’origine de bulles financières et d’inflation. Ou si les
bas revenus traduisent un manque de croissance et d’opportunités
dû aux rigidités imposées à
l’activité.
On notera cependant que,
même dans cette seconde situation, les 10% les plus riches se sont en
réalité moins enrichis entre 1997 et 2005 que les 10% les plus
pauvres – lesquels, loin de s’appauvrir, sont le groupe social dont
la situation s’est le plus améliorée.
Il est vrai que les
très hauts salaires ont, eux, explosé. Entre 1998 et 2006, les
0,01% les mieux payés ont ainsi vu leurs salaires augmenter de 69%,
contre 0,9% pour 90% des salariés.
Tel que
noté plus haut, la raison en est, d’une part, le dopage
financier impliqué par les politiques monétaires (les hauts
salaires évoluant, directement ou indirectement, avec les cours de
bourse des grandes entreprises) et, d’autre part, le chômage (qui
freine la hausse des bas salaires), l’inflation (même
bénigne en apparence) et la faiblesse de la croissance.
Et c’est
dans la solution de ces problèmes-là que réside
l’espoir – et donc dans une moindre intervention de
l’État dans l’activité économique. Ce
n’est certainement pas dans l’attitude démagogique
consistant à blâmer la marché des effets de politiques
passées afin d’en justifier de nouvelles.
Les documents contenus dans cet article
sont tirés des Cahiers Français, nº351
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