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Des promesses n’engageant que ceux à qui elles sont faites

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Published : July 09th, 2011
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Category : Editorials

 

 

 

 

La catastrophe rampante de Fukushima a désormais acquis dans les esprits un statut équivalent à celui de Tchernobyl, il y a vingt-cinq ans. Bien que son scénario soit différent, et que le pire ait été miraculeusement évité dans les tous premiers jours, ce nouveau désastre suscite désormais une profonde réticence à l’égard de l’électro-nucléaire, en dépit de la résilience d’un complexe industriel nucléaire installé au cœur du pouvoir politique.


Mais Fukushima n’a pas fini de dispenser ses leçons, bien que disparu de l’actualité. En premier lieu, parce que Tepco, son opérateur, n’est toujours pas parvenu à reprendre en main la situation à la centrale, qui reste profondément instable et incertaine. En second, parce que les conséquences de la catastrophe se sont désormais propagées sur quatre échelles.


D’abord celle de la centrale elle-même, toujours sous soins palliatifs improvisés, aux installations dévastées et fragilisées, dont le coeur de trois coeurs de réacteurs a fait fusion et où sont stockés dans des conditions précaires d’importantes quantités de combustible. Résultat des attentions dont elle est entourée, Fukushima Daiichi a subi une sorte de mutation, devenue bouilloire a produire non plus de l’électricité mais des masses d’eau hautement contaminée. Sans visibilité sur la poursuite des opérations, de dangereux rebondissements sont toujours à redouter.


Ensuite celle de la région et de la ville de Fukushima, où les 300.000 habitants qui n’ont pas été évacués (80.000 habitants dans un rayon limité de 20 kms autour de la centrale l’ont été) découvrent les servitudes de la vie sous la menace rampante d’une contamination radioactive insidieuse parce qu’invisible, dont les mesures officielles sont sujettes à caution, faisant face aux dissimulations des autorités censées les protéger et leur porter assistance. Soupçon et inquiétude minent de manière permanente la population et impriment leur marque à la vie de centaines de milliers de japonais, qui craignent d’être dans l’avenir considérés comme des parias. Le dos au mur, les autorités ne peuvent se résoudre à ordonner de nouvelles mesures d’évacuation, qui prendraient la forme d’une exode.


Pour ne donner que deux exemples, l’accès aux égouts de la ville de Fukushima a dû être condamné, à la suite de relevés de la contamination des eaux usées, le revêtement des sols des cours d’école a dû être remplacé, les bâtiments scolaires nettoyés au jet d’eau à haute pression.


En troisième lieu, celle du pays tout entier, qui doit déjà faire face aux terribles conséquences du tsunami qui a ravagé des régions côtières entières et fait de leurs habitants des déplacés devenus des assistés ayant tout perdu, maison et travail, y compris les repères de leur vie. 23.000 morts et disparus sont enregistrés. Mais les conséquences de Fukushima vont bien au-delà de la bonne exécution de l’immense chantier de la reconstruction et mettent en question l’avenir du pays dans son ensemble, bouleversant son équation énergétique et impliquant sans attendre une diminution forcée de sa consommation et une reconversion ultérieure de sa production.


Dans l’immédiat, le gouvernement et les autorités régionales cherchent à autoriser la remise en route de nombreuses centrales mises à l’arrêt, et vont utiliser le classique simulacre des stress tests pour en justifier la décision auprès d’une opinion publique désormais sur le qui-vive. Seuls 19 réacteurs sur 54 fonctionnent actuellement, alors que l’apport du nucléaire est de 30% de la consommation.


Déjà atteinte par une brutale désorganisation, l’industrie japonaise doit faire face à d’importantes restrictions de sa consommation énergétique. Les tâches de la reconstruction, dont on attend un coup de fouet améliorant un PIB très malmené et diminuant les recettes fiscales d’un Etat très endetté, sont menacées d’un fort ralentissement. Le Japon va le premier expérimenter une reconversion forcée et rapide de son modèle de consommation de l’énergie, dans des conditions d’improvisation forcée, le parc de ses centrales nucléaires ayant révélé son extrême fragilité insoupçonnée. Le complexe électro-nucléaire est désormais sur la défensive, son premier opérateur sous perfusion financière de l’Etat, ses organismes de contrôle et de surveillance critiqués pour leur connivence institutionnelle.


Enfin, la catastrophe de Fukushima a eu un retentissement mondial, au moment même où l’industrie nucléaire se préparait à rebondir après une période de vaches maigres. La première page de cette nouvelle histoire a été écrite par le gouvernement allemand, qu’il serait injuste de créditer d’une décision prise à contre-coeur, le mouvement anti-nucléaire allemand qui n’a jamais cessé de manifester sa massive opposition pouvant à juste titre la revendiquer. L’arrêt progressif de la production d’électricité d’origine nucléaire a été décidée en Allemagne, créant un fait accompli devant lequel tous les autres gouvernements occidentaux ont été placés, les mettant en porte-à-faux.


Des stress tests du parc nucléaire européen ont été décidés dans l’urgence, à des fins de propagande, donnant lieu à de sévères passes d’armes avec les représentants des Allemands et des Autrichiens en raison de leur méthodologie arrangeante. La répétition dans différents domaines – l’assurance, la banque et maintenant l’électro-nucléaire – du même tour de passe-passe n’étant pas assurée de continuer à produire la même illusion au sein d’une opinion publique de plus en plus incrédule.


Sans vouloir abusivement solliciter la comparaison qui s’impose entre la crise financière mondiale et la catastrophe de Fukushima, et les remises en cause qu’elles induisent, une constatation peut être faite. Deux secteurs dominants d’activité sont en crise, marqués par le même culte d’une opacité omniprésente ainsi qu’une étroite interpénétration entre les intérêts privés et l’appareil d’Etat public. Parties prenantes de ce que l’on peut appeler un système oligarchique mondial, la finance et l’électro-nucléaire ont dévoilé une partie de leurs mystères et exhibé leurs grandes capacités de nuisance, bien que louangées pour des bienfaits qu’il n’était pas permis de contester.


Ce système oligarchique, auquel appartiennent également les grandes compagnies transnationales, n’a bien entendu pas l’intention d’abdiquer. Porteur d’illusions pendant des décennies – et de mérites réservés à une élite restreinte – il est désormais à la recherche de nouveaux points d’appui. Il est arrivé à un point où il peine à reprendre pied…


La chronique de la catastrophe de Fukushima va s’arrêter, et avec elles ses mises à jour, longtemps quotidiennes si ce n’est plus. De nouvelles interventions pouvant survenir si les événements l’imposent. La démonstration a en effet été largement faite que, même si beaucoup ont redouté une réédition stricto sensu de Tchernobyl qui n’a pas eu lieu, ce à quoi nous avons assisté illustre avec grande éloquence une vérité toute simple : l’industrie électro-nucléaire est condamnée en raison des risques non maîtrisables qu’elle fait courir et qui resteront toujours imprévisibles. Le zéro risque est une nécessité, mais il n’est pas envisageable. Quand la situation dérape, la rétablir n’est jamais garanti.


Ceux qui veulent continuer à faire prendre ce risque sont au mieux des inconscients.


Elle est également sans avenir parce qu’elle correspond à un modèle économique qui a fait son temps – tout comme le système qui l’a représenté triomphant – car il épuise les ressources de la planète et en perturbe les grands équilibres, et n’est pas à ce titre reproductible à son échelle toute entière. Ayant à son actif d’avoir créé de profonds déséquilibres et inégalités sociales, et comme seule promesse de les accentuer.


Nous avons le bénéfice immense d’être les spectateurs d’une fin de règne, même si celle-ci est appelée à encore durer. Heureusement sans doute, car cela va nous laisser le temps de nous habituer à penser autrement, à briser le carcan de normes d’une grande indigence et de conservatismes rétrogrades. Au nom d’un réalisme qui désormais nous appartient.





Billet rédigé par François Leclerc


Paul Jorion




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.   

 

 

 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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