« Nous,
présidents ou dirigeants d’entreprises, hommes ou femmes
d’affaires, financiers, professionnels ou citoyens fortunés,
souhaitons l’instauration d’une "contribution
exceptionnelle" qui toucherait les contribuables français les
plus favorisés ». C'est l'appel
lancé le 25 août dernier par Liliane Bettencourt et quinze
autres signataires, suivant l'exemple
de Warren Buffet qui, dix jours plus tôt, demandait à
Washington d'augmenter les impôts des plus favorisés.
Les
riches seraient-ils prêts à payer davantage ? La formule est
trompeuse. Il serait plus exact de dire que des riches en particulier
veulent que les riches en général (« les
Français les plus favorisés ») paient plus
d'impôts.
Ignorer
cette nuance, c'est passer à côté de l'essentiel,
à savoir qu'une minorité ne peut, sous prétexte que son
choix lui paraît juste, demander à l'État de l'imposer
à tous. Le fait que Liliane Bettencourt, Christophe de Margerie ou
Louis Schweitzer veuillent payer plus d'impôts ne légitime pas la
décision du gouvernement d'accroître la pression fiscale sur
cette catégorie de la population.
Comment
se fait-il que derrière cet appel des
« ultra-riches », les médias ne reconnaissent
pas ce vice bien connu qui consiste à imposer ses
préférences à autrui ?
C'est
qu'ils sont sous le choc, et on peut les comprendre. Réclamer une
hausse d'impôt non seulement pour les autres mais également pour
soi-même sort de l'ordinaire, a fortiori quand ce sont les
« gros » qui la réclament. D'habitude en effet,
ce sont les « petits » qui l'exigent, non pour
eux-mêmes, mais pour autrui – au nom de l'égalité,
il va sans dire.
L'appel
n'émeut pas l'Humanité, qui dénonce
un geste assorti de conditions. Il est vrai que Maurice Lévy et
Geoffroy de Bézieux, cosignataires de
l'appel du 25 août, ont montré du doigt l'ISF et les
dysfonctionnements des administrations françaises, rappelant qu'il ne suffirait pas de ponctionner
les riches pour régler le problème. Ce que Vincent
Bénard avait bien montré sur
son blog, expliquant qu'imposer deux
fois plus les riches ne rapporterait à l'État que 1/6ème
du déficit (148,8
milliards d'euros en 2010).
Malgré
tout, et c'est ce qui aurait dû interpeller les médias, l'appel
des seize reste indulgent envers le modèle français : les
signataires se disent conscients d'en avoir bénéficié et
désireux de le préserver. Est-ce à la fiscalité
écrasante du système qu'ils font allusion, ou bien aux niches
fiscales qui permettent d'en diminuer l'impact ? On se le demande.
Ce
qui est curieux, c'est que ces « millionnaires
patriotes » à la française déplorent
l'endettement public tout en approuvant la politique qui lui sert de
justification. De deux choses l'une : ou bien l'hommage au modèle
français n'est qu'une concession hypocrite aux dogmes keynésien
et socialiste en vigueur depuis l'après-guerre, ou bien les
signataires de l'appel ont la naïveté de croire que le
système actuel survivrait à l'adoption d'une
« règle d'or » en matière
d'équilibre budgétaire.
N'en
déplaise aux contempteurs du grand capital, l'ambiguïté de
cet appel, tour à tour critique et élogieux à l'endroit
du modèle français, témoigne bel et bien de
l'incapacité de ses signataires à concevoir une autre
politique.
Car
les classes populaires et les classes moyennes ne sont plus les seules
à se demander, craintives, ce qu'elles deviendraient sans
l'État : voilà qu'au sommet de l'échelle
socio-économique, ceux qui ont théoriquement le moins besoin de
l'État se demandent désormais, eux aussi, ce qu'ils feraient
sans lui.
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