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La Belgique
a connu le 15 décembre sa première grève générale depuis des décennies. Les
incidents qui l’ont émaillée, et l’exaspération d’une partie de la population
qui subit des grèves tournantes depuis plusieurs semaines, ont remis au cœur
de l’actualité la question de la légitimité des syndicats. Mais les arguments
généralement utilisés, non-représentativité, recours à la violence,
infractions diverses, n’ébranlent pas les grévistes. Ceux-ci sont convaincus
que seule l’action syndicale garantit des salaires élevés et que les luttes
précédentes leur ont offert leur niveau de vie actuel. Face à cette
certitude, les reproches habituels s’effacent car, finalement, la fin
justifie les moyens. Dans ce contexte, il est fondamental de savoir comment,
et dans quelles conditions, l’action syndicale agit réellement sur les
salaires.
Commençons
par un petit détour sur la façon dont les salaires se formeraient sur un
marché entièrement libre. Comme pour tout bien ou service, le prix du travail
serait dicté par la productivité marginale. Il est évident qu’aucun
entrepreneur n’embaucherait un nouveau travailleur à un prix supérieur à ce
que lui rapporterait la production supplémentaire. Mais il ne peut pas non
plus durablement maintenir le prix trop bas parce qu’un concurrent viendrait
vite débaucher sa main d’œuvre et le mettrait dans l’impossibilité de
maintenir sa production. D’un point de vue collectif, la meilleure situation est
celle où les salaires qui s’alignent sur le point d’équilibre. Si les
salaires sont trop bas, les travailleurs vont s’éloigner de la production,
soit en retournant vers les travaux domestiques et la vie en autarcie, soit
en émigrant. Si les salaires sont trop élevés, les entrepreneurs vont
abandonner des marchés marginaux qu’ils ne peuvent plus satisfaire à un prix
correct. La production maximale est donc assurée au point d’équilibre des
salaires. C’est donc à ce niveau que les biens sont les plus abondants et la
richesse réelle d’une population la plus élevée.
Sur un
marché déterminé, c’est donc la valeur de l’unité de production
supplémentaire qui va déterminer le salaire. Mais, cette valeur est elle-même
déterminée par le développement des outils de productions. Dans un marché
libre, l’augmentation des salaires et des conditions de vies des travailleurs
est donc nettement plus liée à l’investissement capitalistique qu’à l’action
des syndicats. Sauf à se transformer en investisseurs (ce qui n’est pas la tradition
en Europe), ceux-ci ne peuvent influer qu’à la marge. D’un point de vue
historique, il est particulièrement douteux que le formidable enrichissement
des ouvriers occidentaux soit principalement dû à l’action syndicale. C’est
plutôt le développement du capitalisme entrepreneurial et l’incroyable
expansion économique du 19ième siècle qui en est la cause. Mais,
néanmoins, l’action syndicale y joua un rôle.
En effet,
le marché du travail est à ce point important que chacun cherche toujours à
le manipuler et il ne fait aucun doute que des patrons tentent activement de
réduire le coût du travail au-dessous de sa valeur de marché.
Outre les
limitations légales évidentes, des employeurs peuvent recourir à différentes
techniques. D’abord, la limitation de la circulation des travailleurs qui
limite leur possibilité de faire jouer la concurrence. Le passeport fut
instauré pour limiter les mouvements de population et le carnet ouvrier
empêchait un travailleur de quitter son patron sans l’accord de celui-ci. Dans
tous les cas, voyager sans document s’apparentait à du vagabondage et était
sévèrement réprimé. Ensuite, la liberté d’information est indispensable à
l’efficience du marché. Camoufler les conditions réelles de travail
s’apparente clairement à une fraude économique. Le travailleur exposé à un
risque ne l’accepterait qu’en échange d’un salaire supplémentaire. Il est
donc essentiel pour l’ouvrier d’être informé valablement des conditions de
travail. (Enfin, les obstacles à l’organisation d’une solidarité effective
entre les travailleurs, par exemple par les complexités légales imposées aux
caisses ouvrières de secours mutuel, permettent de précariser les ouvriers
et, ainsi, de réduire leur capacité de négociation salariale.
À travers
ces exemples, nous retrouvons les combats d’origine des syndicats et ces
combats sont encore d’actualité dans de nombreux pays de par le monde. Dans
tous les cas, il s’agit de lutter en faveur d’un marché du travail plus
efficient et donc de permettre réellement aux salaires de s’élever vers leur
niveau d’équilibre théorique.
[À suivre…]
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