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Les pertes humaines et les dégâts causés par les
séismes ou les raz-de-marée comme celui au Japon sont souvent d’une
ampleur considérable. Paradoxalement, c’est souvent après
les pires désastres que la résilience d’une
économie est le plus nettement démontrée.
En effet, l’histoire témoigne d’épisodes de
reconstruction extraordinaires. Plus de 300 personnes périrent dans le
grand feu de Chicago en 1871 où un quart de la ville fut
détruit. La reconstruction ne prit que quelques années. De
même, après le séisme de San Francisco en 1906 dans
lequel dix fois plus de gens moururent et où les trois
cinquième de la ville furent effacés de la carte, la
reconstruction s’effectua en moins d’une décennie. De
Londres en 1666 à Kobe en 1995, la liste des villes reconstruites est
longue. Cependant, le succès n’est pas toujours garanti car la
reconstruction physique n’est qu’une partie du problème.
Plus de 1800 personnes ont perdu la vie à la Nouvelle Orléans
à cause de l’ouragan Katrina en 2005. Plusieurs centaines de
milliers de personnes furent déplacées et 30 % de la population
n’est jamais retournée. Des quartiers entiers sont encore
à reconstruire, alors que d’autres, très affectés
par l’ouragan, sont entièrement réhabilités.
Deux problèmes se posent après un désastre
naturel d’une grande ampleur. Premièrement, la tentation de
partir pour ne pas revenir est évidente pour les survivants.
Retourner, en revanche, est une décision complexe car elle
dépend, entre autre, de ce que font les autres. Des études
américaines ont montré que les clés de la repopulation
se trouvent dans la capacité de certains membres de la
société civile à créer des « points de
convergence » qui permettent aux réfugiés de
coordonner leurs décisions de retourner. La paroisse du Père
Nguyen dans le quartier Est de la Nouvelle Orléans a joué ce
rôle après Katrina. Par son action, le prêtre à
aider au retour de plus de 3.000 personnes, y compris des entreprises.
Deuxièmement, avec le retour de la population se pose la
question de savoir comment la reconstruction s’effectuera. C’est
ici que l’activité entrepreneuriale locale fait souvent la
différence. Ceux qui sont « du coin »
connaissent le terrain et possèdent une information cruciale au
redéveloppement. Même s’il a un rôle à jouer
(par exemple : rétablir le cadastre et mettre en œuvre des
sondages géotechniques), le gouvernement est souvent trop
éloigné de la situation pour prendre les meilleures
décisions. Comme l’expliquait la géographe Jane Jacobs,
la pire chose qu’il puisse arriver à une ville après un
cataclysme naturel est de recevoir des « subventions cataclysmiques ».
Les programmes de réhabilitation ambitieux de milliards de dollars
comme à la Nouvelle Orléans, où plusieurs plans urbains
ont été élaborés depuis 2005, n’ont pas
été très efficaces. En réalité, ces plans
sont souvent inadaptés aux besoins locaux, et n’ont
d’existence que pour faire du clientélisme électoral.
Lorsqu’une grande partie d’une agglomération a
été détruite, le danger est grand de réduire
à néant ce qui reste du « capital
social » qui fait l’essence d’une ville. Ce
n’est donc que par le respect d’une certaine historicité
et par la connaissance locale des habitants qu’une ville peut renaitre.
C’est un processus complexe mais qu’il faut à tout prix
respecter en donnant du temps aux acteurs locaux. Kobe fut reconstruite
très rapidement et représente un modèle de ville
moderne. Cependant plusieurs quartiers, comme Nagata-ku,
ont perdu leur âme. Des immeubles excentrés ont remplacé
les maisons traditionnelles, ce qui a détruit le sens du voisinage. La
mortalité des personnes âgées solitaires à Kobe a
tellement augmenté que les japonais l’appellent « kodoku-shi » (la mort de solitude). Plus de
quinze ans après, Kobe, bien que reconstruite, n’a pas vraiment
retrouvé son identité passée.
Dans l’urgence qui suit un désastre, le risque de prendre
des décisions rapides qui s’avéreront être mauvaises
est omniprésent. Les collectivités locales et les assurances
doivent, en amont, mettre en place une gestion du risque majeur. Cependant,
l’important pour l’État est de ne pas céder
à la tentation du plan urbain grandiose, mais de permettre aux entrepreneurs
de jouer leur rôle. C’est ainsi que Chicago et San Francisco ont
pu retrouver leur âme. Espérons que cela puisse inspirer les
villes touchées par des désastres qui pourraient renaitre de la
même façon.
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