Que
l’on se souvienne des pays de l’Est, suite à
l’effondrement de l’URSS et de son glacis, ou bien de ceux
dont l’entrée dans l’Union européenne et la zone
euro a été vécue comme l’occasion du rattrapage
d’un niveau de vie particulièrement bas, il y a beaucoup
à dire…
Peut-il
en effet être reproché aux Tchèques, aux Polonais et aux
Hongrois, aux Grecs, aux Irlandais et aux Portugais – ces paresseux
notoires – et à tous les autres qui étaient dans le
même cas, d’avoir voulu pénétrer dans la vitrine
que représentait l’autre partie de l’Europe, nantie selon
la vision éloignée et prometteuse qu’ils en
avaient ? Est-il possible d’oublier si vite la misère et la
grisaille qui régnaient dans ces sociétés et le profond
désir d’être tout simplement comme les autres ? Ces deux
moteurs de l’élargissement de l’Europe - alors
acclamé – peuvent-ils être oubliés ?
Si
la crise actuelle remet en question ce qui était hier salué
comme une avancée victorieuse, une réflexion ne devrait-elle pas
s’engager sur les moyens qui ont été
déployés pour réussir cette mise à niveau,
qui se révèle désormais hors de portée ? La
débandade irlandaise est-elle à mettre au débit de ceux
qui ont emprunté à leurs banques locales pour s’acheter
une maison ou à celui des banques européennes qui ont
prêté à tout-va à ces mêmes
établissements et s’en sortent comme une fleur ?
Qu’elle
est la valeur d’une croissance qui repose sur la construction, aussi
vite que poussent les champignons, d’un parc de logements
destinés à l’achat à crédit et sur
l’amoncellement d’une montagne de dettes nécessaire
à son financement, au principal bénéfice de ceux qui
l’opèrent ?
Quel
est le moteur de cette construction – pour le coup idéologique,
une fois écarté le lucre – qui veut que la
propriété soit le stade suprême de la
félicité et le garant de la sécurité ?
L’équivalent moderne de ce qu’a représenté West
Berlin en son temps, fiché au cœur de la lugubre Deutsche Demokratische Republik
comme la vitrine resplendissante d’un luxe inaccessible et tentant,
d’un plan Marshall dont l’une des intentions affichées
était de contenir les rouges.
Ou
faut-il aussi voir derrière tout cela, non pas uniquement la
réalisation d’une stratégie, mais également
l’expression d’une logique, qui semble être arrivée au
bout de son chemin ? Si bien illustrée par le développement des
placements de rentier comme l’assurance-vie, qu’elle
pourrait en finir par décevoir l’espérance d’une
petite sécurité, à la faveur d’une crise de la
dette publique laissée sans solution ?
En
étendant son terrain de jeu tout en devenant par la même de plus
en plus indispensable, le capitalisme financier assure au passage sa propre
protection, puisque sa chute entraînerait celle de ses pauvres.
Mais est-ce le stade ultime de son développement que – pour se
redonner de l’oxygène, après avoir été
sauvé par celui-ci – de soustraire des mains de l’Etat la
garantie financière que ce dernier offre, en le prenant à
la gorge pour être remboursé ?
Cette
assurance était destinée aux petits rentiers (une
appellation fausse, car ils vivent rarement de leurs rentes) mais aussi
à lui-même : il y a là comme une contradiction ! Car il
en sortirait démuni, à la recherche d’un point
d’appui financier dans un monde dont il n’a eu de cesse
d’accroître et de vanter une liquidité dont les
plus conscients s’inquiètent pour avoir tenté d’en
mesurer les insondables risques ? Les évacuer avec des
instruments financiers sophistiqués ne lui ayant pas réussi.
Enfin,
que va cette fois-ci apporter le vent de la liberté qui souffle du
Maroc aux Emirats, une fois celle-ci conquise ou au moins élargie ?
Quel type de développement économique va être
engagé, quelle croissance recherchée, quelle nouvelle
société bâtie ? Une même histoire
déjà connue à l’Est serait-elle condamnée
à reproduire, dans un contexte tout différent, les mêmes
effets ? Donnant à nouveau du champ à un système en
péril ?
C’est
aussi bien du côté de la Puerta del Sol que de la place Wenceslas, à Prague, que
l’on pouvait hier tendre l’oreille. C’était avant-hier
vers l’avenue Habib Bourguiba de Tunis et la place Tarhir,
au Caire. A croire que les lieux historiques ne démentent jamais leur
réputation, celle d’être accueillants quand il faut faire
écho aux clameurs trop contenues.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
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