Je me fais vieux. Pierre Desproges a disparu il y a exactement 25 ans, le
18 avril 1988, bonne année pour les bordeaux rouges, soit dit en passant. Et
alors que je m’étais fendu de longues pitreries pour célébrer la verve
enjouée de cet inénarrable phraseur, ceci dit sans contrepèterie, pour les 20èmes
et 23èmes
anniversaires de sa disparition, je me trouve pour ainsi dire sec et
dénué de toute inspiration pour honorer dignement le quart de siècle
d'évasion de cet esprit trop tôt disparu, ceci dit sans tenter de noyer le
cliché dans un verre d’esprit. Je baisse.
Pourtant, Desproges, malgré ses 74 ans bien tassés, aurait sans aucun
doute apprécié notre époque, non qu’il l’eut trouvée plus appétissante que la
sienne, mais les pitreries plus ou moins volontaires de nos politiciens,
intellectuels et pisse-copie de feuille de chou subventionnées lui auraient
sûrement donné matière à arrondir sa retraite d’intermittent du spectacle et
d'impénitent du sarcasme, en nous donnant, pardon, en nous vendant du rire à
leur dépens, faute de pouvoir rire de leurs dépenses.
Tous les libéraux sont un peu desprogiens: à part la droite, il n’y a rien
au monde que nous méprisons autant que la gauche. Citons le maître:
Ni de gauche ni de droite. Qu’on soit de gauche ou de
droite, on est hémiplégique, disait Raymond Aron. Qui était de droite. Je
suis un artiste dégagé. Ce qui ne veut pas dire que je ne ressens pas les
problèmes de mon époque avec la même acuité de cœur que n’importe quel pourri
de gauche ou de droite qui se précipite à la télé chaque fois qu’un drame
social lui permet de montrer son émotion à tous les passants. Dégagé oui,
indifférent non. Les injustices sociales me révoltent ! Ne changera-ce donc
jamais ? Oh lala ! Oh lala !
Un homme qui détestait à ce point les politiciens ne devait guère aimer le
constructivisme. Desproges, Libéral, conservateur, entre les deux ? Difficile
à dire, mais certainement pas très éloigné de nos idées.
Mort trop tôt pour voir tomber le mur de la peur et découvrir que la
plupart de ses citations dépassent le quota de caractères autorisés par
twitter, Desproges aura tout de même laissé à la postérité quelques textes
intemporels. Un petit exemple, extrait du "dictionnaire superflu":
François: prénom masculin,
signifiant littéralement: "mon Dieu, quel imbécile!"; du celte fran
("mon Dieu") et cois ("quel imbécile"!). En effet, tous
les gens qui s'appellent François sont des imbéciles, sauf François Cavanna,
l'écrivain, François Chetelt, le philosophe et François Cusey, de chez
Citroën, qui a honoré l'auteur de son amitié pendant leur incarcération
commune au dix-huitième régiment des Transmissions, à Epinal. Tous les
François sont des imbéciles. La preuve en est que, lorsqu'ils croisent un
imbécile, certains l'appellent François.
Le plus souvent, l'ambition, pour ne pas dire l'arrivisme, des
François, est à la mesure de leur imbécillité, bien que je n'arrive pas à me
faire à l'idée qu'il y ait deux "l" à l'imbécillité alors
qu'imbécile, lui, n'en prend qu'un. Dura lex, mais bon. Quand ils sentent le
vent tourner, grâce à leur instinct d'imbécile, les François n'hésitent pas à
s'engager dans la résistance en 43, 44, 45, voire, pour les plus sots, 46.
Grâce à la longueur de leurs crocs, qui laissent des traces sur les moquettes
ministérielles où ils plient l'échine jusqu'à ramper pour obtenir la moindre
poussière de pouvoir, les François peuvent espérer se hisser un jour sur le
plus élevé des trônes, celui duquel, dans l'ivresse euphorique des cîmes
essentielles, l'imbécile oublie enfin qu'il a posé son cul. Alors serein,
benoît, chafouin, plus cauteleux que son hermine et plus faux que Loyola, il
entraîne paisiblement le royaume à la ruine, en souriant comme un imbécile.
Intemporel, je vous dis.
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Notes:
Hommage de 2008 : Les vacances de Monsieur Cyclopède
Hommage de 2011 : Ou Kilé Pierre Desproges ? Gynécée pas !
Site des ayants droits
de Pierre Desproges
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