Il en va des chiffres comme des absents : on leur fait dire un peu
ce que l’on veut, du moment que personne n’est là pour équilibrer le débat.
Et le niveau de l’endettement public de la France en est un bon exemple.
Récemment, on expliquait que Bercy jouait avec les statistiques afin
d’éviter que la dette de l’État ne franchisse le rubicond
symbolique des 100% du PIB. C’est laid, c’est malhonnête,
c’est dangereux même, mais, d’un autre côté, ce n’est pas une nouveauté : les
manipulations de données publiques ont toujours été monnaie courante et les résultats de l’Insee n’ont désormais plus qu’une valeur
théorique, sorte d’indicateur, non pas de la réalité de la France telle
qu’elle est, mais plutôt de l’image que veulent nous en donner ceux qui nous
gouvernent. Et si cette phrase ne vous paraît pas très claire, elle n’en
illustre que mieux le flou artistique dans lequel nos politiques nous
maintiennent, à grands coups de déclarations ambigües et de coups fourrés
médiatiques.
Mais revenons-en à cette fameuse dette publique qui
serait sur le point de nous ruiner. Car oui, la crainte est bien là de voir
la France en cessation de paiement pour cause de surendettement.
Rendez-vous compte : 2100 milliards d’euros par an, c’est le
montant de la dette publique de la France calculée par l’Insee, une dette qui
est désormais quasiment égale au fameux Produit Intérieur Brut (PIB)
du pays, lequel traduit le niveau de création de richesse nationale.
En d’autres termes, l’endettement du pays pourrait donc bientôt dépasser sa
richesse nationale !
En fait, non. Car, toute cette histoire est basée sur une grossière
erreur de jugement. Erreur largement amplifiée par des médias dont
certains sont simplement ignorants et se contentent d’ânonner bêtement des
idées reçues pour faire le buzz, tandis que d’autres, mieux informés mais
aussi plus inspirés, s’amusent à jouer sur les mots pour mieux tacler le
gouvernement… tout en faisant le buzz également (tout fait ventre !).
De quoi parle-t-on exactement ?
La dette publique, tout d’abord, regroupe l’ensemble des emprunts
financiers souscrits à la fois par l’État mais aussi les
collectivités territoriales et les organismes publics français (entreprises
publiques, sécurité sociale, etc.). Et d’ailleurs, ce qui cause plus
particulièrement du tort à nos finances depuis quelques années, ce n’est pas
le nombre ou le montant de ces emprunts, mais plutôt le poids grandissant des
intérêts, même si la récente chute des taux a eu un impact plutôt favorable.
En face, on nous présente le PIB comme étant la contrepartie positive de
cet endettement, un peu comme pourrait l’être le salaire d’un individu
vis-à-vis de ses remboursements de crédit. Cette comparaison est abusive,
voire un peu idiote, mais elle reste bien plus pertinente que celle qui
consiste à dire que le PIB correspondrait à la richesse du pays.
Car, sauf à avoir été imprévoyant et à ne posséder aucun bien propre, nul ne
saurait réduire sa “richesse” au seul revenu qu’il encaisse chaque mois.
Pour la France, c’est exactement la même chose : sa richesse
correspond d’abord et avant tout à son patrimoine, qu’il soit immobilier
(bâtiments administratifs, châteaux, monuments historiques, musées, etc.), foncier
(terrains nationaux, forêts, domaine maritime ou montagneux, ressources
naturelles…) mais aussi mobilier (œuvres d’art, archives,
actifs historiques, équipement public…), sans oublier les parts de
l’État dans un certain nombre de grandes entreprises comme EDF,
Renault, Alstom, Air France, SNCF, etc. À ces actifs, il faut également
ajouter les réserves de l’État (qu’on pourrait comparer au
“livret d’épargne” d’un particulier) dont plus de la moitié est constitué d’un stock d’or d’environ 2500 tonnes au 30 juin
2016. Enfin, la “richesse” de la France comprend un très grand nombre
d’autres actifs incorporels (marques, licences, image
internationale, positionnement mondial sur le plan de la recherche
scientifique, de l’ingénierie, de la défense, etc.), plus ou moins difficiles
à évaluer, certes, mais qui n’en sont pas moins valorisables en termes
économiques. Au final, la richesse de la France est loin (mais alors très
loin !) de se limiter aux 2200 milliards d’euros produits chaque année par
ses habitants et ses entreprises. D’autant que ces milliards n’entrent pas
véritablement à l’actif de l’État mais circulent entre les différents acteurs
économiques du pays.
Une comparaison qui n’a pas vraiment de sens
Ainsi, rapporter la dette publique de l’État au PIB est un simple
jeu de l’esprit qui consiste à comparer des valeurs de niveau
équivalent mais qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre. Un peu comme
lorsqu’on dit qu’on pourrait parcourir la distance Terre-Lune en mettant
bout-à-bout tous les billets de 20 euros en circulation (non, non, n’insistez
pas, même en les agrafant bien solidement les uns aux autres, cette longue
bande de billets ne constituera jamais un moyen physiquement exploitable
d’atteindre notre satellite naturel).
Et de la même façon, indépendamment du traité de Maastricht
qui veut que la dette publique d’un État européen devrait rester
inférieure à 60 % du PIB (ce qui n’est plus le cas pour la France depuis au
moins 10 ans), avoir un endettement correspondant à 98% du PIB ne signifie
pas pour autant que notre pays est au bord de la ruine. Mais simplement qu’on
“gagne” à peine un peu plus que ce qu’on doit rembourser. Et au passage, les
2% restants représentent tout de même près de 45 milliards d’euros en
faveur du PIB, donc un “excédent” équivalent au budget de
l’Éducation nationale ou encore justement aux intérêts de la dette
de l’État, toujours en raisonnant en chiffres bruts sans égards pour ce
qu’ils désignent réellement.
De là à penser qu’on aurait les moyens de résorber cette fameuse charge de
la dette ou encore qu’on pourrait doubler le budget de l’Éducation nationale,
on ferait évidemment un raccourci aussi facile que stupide…