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Il n'est plus possible d'essayer de cacher la crise
européenne sous le tapis : la situation des dettes souveraines de la
Grèce est désespérée, et celle de l'Irlande et du
Portugal ne vaut guère mieux. Et certains acteurs de marché deviennent
nerveux à l'évocation de l'Espagne et de l'Italie. Que devrait
décider l'Europe lors de son tout prochain sommet, pour se sortir de
ce bourbier?
Quand le scénario du pire devient tout à coup très
proche...
Quel serait le "scénario du pire" si un défaut grec
"en désordre" venait à se produire ?
Cela laisse craindre un nouveau krach bancaire : Faute de transparence
suffisante des banques sur leur exposition à ces dettes soudainement
devenues toxiques (montant, maturité), le crédit interbancaire
risque à nouveau de se bloquer, les banques cessant de se faire
confiance entre elles, menaçant les établissements les plus
fragiles. Dans cette situation, les consommateurs repasseront en mode
"ralenti", comme en octobre 2008, causant une véritable
panique chez les petits industriels. Seul souci, et de taille : les
inévitables annonces de plan de sauvetage des banques par les
états ne seront plus crédibles, puisque la faillite
proviendrait cette fois de l'incapacité de certains états
à se refinancer, et poserait donc la question de la solvabilité
des autres états. Une contagion péninsulaire (ibérique
et transalpine) serait donc tout à fait envisageable. Et plus rien ne
s'opposerait alors à ce que tout le système bancaire
européen s'écroule.
Des "bank runs"
en grande série seraient donc à craindre, avec blocage des
cartes de crédit et autres joyeusetés. Je vous laisse imaginer
le trouble à l'ordre public qui en résulterait dans les pays
où les foules sont traditionnellement les plus enclines à
perdre leur calme.
La seule nouvelle sinon rassurante, du moins pas trop angoissante, est que
jamais les grandes entreprises, très prévoyantes, n'ont eu
autant de trésorerie. Elles pourront faire le dos rond pendant 3
à 6 mois. Mais pour les PME, ce sera une autre paire de manches.
Enfin, et surtout, la grande nouveauté de cette année est que
ce scénario du pire cesse d'être un mauvais roman de
science-fiction, mais devient l'un des plus probables, sauf décisions
urgentes de nos dirigeants, suivies d'une mise en oeuvre
précise et sans faille.
Des
décisions urgentes, mais pas n'importe lesquelles
La question n'est pas de savoir si la dette grecque sera "reprofilée",
"rééchelonnée", "restructurée en
douceur" ou "massacrée à la
tronçonneuse", selon les humeurs sémantiques de Jean
Claude Juncker. La dernière option est la seule viable, la
Grèce ne pouvant tout simplement plus se financer aux taux de
marché actuels. Il faudra réduire le principal de cette dette,
quoiqu'il arrive, et sans doute pas qu'un petit peu. Or, de nombreuses
grandes banques européennes sont assez exposées à la
dette grecque. Pire encore, si un défaut grec produit une
réaction en chaine comme celle décrite
précédemment, alors aucune banque européenne n'aura
assez de fonds propres pour rester solvable.
La question est de savoir comment faire pour que ce défaut crée
des dommages limités à l'environnement économique. Par
analogie avec un accident nucléaire, les enceintes de confinement
actuelles sont insuffisantes, peut-on les renforcer, et vite ?
L'objectif des mesures doit être d'empêcher que les particuliers
et les entreprises "normales" qui possèdent des comptes en
banque, et qui ne sont EN RIEN RESPONSABLES des turpitudes des banques et des
états, puissent CONTINUER leurs opérations.
Processus de dégonflement ordonné de la bulle de dettes
Le mécanisme qui permettrait de parvenir à ce résultat,
longuement défendu par de nombreux économistes serait en
quelques mots, le suivant :
- (1) Les pertes sur obligations souveraines, et toute perte
collatérale de portefeuille des banques, devraient faire l'objet d'une
déclaration quasi-immédiate dans les comptes auprès des
banques nationales, qui sont encore, par délégation de la BCE,
régulatrices des secteurs bancaires des états de l'union. TOUT
MANQUEMENT A CETTE OBLIGATION DE MARK TO MARKET entraînerait de facto
la responsabilité des dirigeants des banques fautives sur leur
patrimoine personnel pour toute perte ultérieure.
- (2) Toute impossibilité de coter une classe d'actif par excès
d'incertitude ("crise de liquidité") doit être
traitée en Mark to Market de la même
façon.
- (3) Dès que les pertes ainsi enregistrées entraînent
une insolvabilité de la banque (actifs < dettes), la banque serait
mise en redressement, un mandataire judiciaire nommé, et un
mécanisme automatique (en un week-end) de conversion des dettes
financières en fonds propres serait mis en oeuvre,
selon la progression suivante :
- (3a) Tout d'abord, conversion forcée des dettes dites
"subordonnées", considérées comme du quasi
capital par les législations en vigueur et par les ratios de
Bâle.
- (3b) puis, si les pertes à l'actif sont trop élevées
pour que cela suffise, conversion des dettes non subordonnées à
plus de 5 ans
- (3c, d, e...) puis, si cela ne suffit toujours pas, conversion des dettes
de 2 à 5 ans, puis 1 à deux ans, etc...
En procédant ainsi, on limite le volume des disruptions de cash vers
les créanciers impactés, ceux-ci devant évidemment, de façon
itérative, reporter les pertes inhérentes à ces
"échanges dette-capital" de façon immédiate,
cf. étape 1.
De cette façon, la dette de la banque diminue et les sorties de cash
liées au versement d'intérêts sont stoppées,
permettant à la trésorerie de la banque de se redresser.
- (4) Ce n'est que si la situation de la banque est encore plus mauvaise que
les comptes en banque commenceront à être touchés
également, forçant la garantie publique à entrer en jeu
(en son absence, la fraction des comptes non remboursable serait-elle aussi
convertie en parts du capital - question purement théorique en
l'état actuel). Mais avant que les pertes à l'actif
n'atteignent la somme des fonds propres et de l'ensemble des dettes
financières des banques, il faudrait que les pertes sur actif soient
considérables. Dans le dispositif proposé, la protection des
comptes est effective sauf authentique cataclysme, que le mécanisme
cherche justement à éviter.
- (5) Les créanciers devenant actionnaires, le mandataire
réunirait d'urgence un nouveau conseil d'administration avec les
représentants de la banque centrale. Ce conseil devrait très
vite déterminer si la nouvelle structure de capital est viable,
après application de l'étape 3.a, puis 3.b etc...
- (6) Si la réponse à la question (5) est "non", les
déposants doivent être informés que leurs comptes, qui
sont garantis en partie par les états (situation regrettable, mais
c'est comme ça, le temps n'est plus à la philosophie ou à
la théorie...), seront gérés pendant 6 mois par la banque
de France avec moyens de paiement minimaux (billets - virements simples) et
que dans ce délai, ils devront indiquer un nouvel établissement
vers lequel transférer leurs avoirs. La banque centrale sera quant
à elle chargée de transférer les bons actifs
correspondants vers les banques récipiendaires, et de liquider les
plus mauvais en espérant limiter les pertes.
Cette solution a été notamment mis en oeuvre par la Serbie au tournant du millénaire
quand les plus grosses banques du pays, très mal gérées
au sortir d'une crise très grave, sont tombées.
- (7) Si la réponse à la question (5) est "oui", les
nouveaux actionnaires auront à coeur de
gérer très rigoureusement la nouvelle banque
restructurée, pour d'une part espérer récupérer
leurs billes en revalorisant les actions de leur banque tombées au
plus bas, et d'autre part pour éviter que, ne se retrouvant face
à l'étape 1 et 2, la clause de responsabilité
personnelle ne vienne s'appliquer à eux-mêmes.
Clause de sauvegarde
S'il s'avère que la clause numéro (2),
dépréciation des actifs "par incapacité temporaire
de procéder à leur cotation", ait été trop
sévèrement appliquée, et que leur revente permette de récupérer
une plus-value qui aurait pu permettre d'éviter la restructuration
(cela fait beaucoup de "si", rendant ce cas assez improbable), les
anciens actionnaires lésés par la mise en faillite pourront
récupérer la plus-value ainsi réalisée à
titre de dédommagement. Ces procédures, plus longues, seront
gérées "à froid" par la justice, le calme
étant revenu.
Cas des CDS et autres produits dérivés autour des dettes
Les émetteurs de produits dérivés (qui ne sont rien
d'autres que des contrats à terme, donc exécutables dans le
cadre du droit) qui ne seraient pas en mesure d'honorer leurs contrats assurant
les dettes souveraines seraient placés dans la même situation
d'échanges de dettes contre capital. Là encore, il conviendrait
de protéger les détenteurs de contrats d'assurance
"lambda" de l'éventuelle faillite d'un assureur qui se
serait lancé dans la vente spéculative de naked
CDS. Les détails du fonctionnement des compagnies d'assurance
m'étant étrangers, je laisse à d'autres le soin de
décrire plus en détail comment ce principe de faillite
ordonnée pourrait être appliquée
à cette profession.
Justification légale
Les échanges de dette contre capital sont un outil normal de
résolution des faillites ordinaires. Mais leur mise en oeuvre prend du temps : il faut négocier entre
actionnaires et créanciers. Or, en matière de faillite
bancaire, le temps, généralement, manque, car l'on ne peut se
permettre de geler les comptes... Ou de provoquer un "bank Run". D'où les
propositions de swap pré-packagés sous la conduite des
régulateurs publics.
La proposition qui précède a un gros inconvénient : elle
n'est pas prévue par les lois actuelles de la plupart des pays de
l'union, et s'apparenterait à une législation d'exception, ce
qui n'est ni très démocratique, ni très libéral,
j'en conviens.
Mais d'une part, les états se sont placés en situation de
garantir à concurrence de certains montants les comptes en banque des
agents économiques. C'est économiquement tout à fait
regrettable, mais c'est comme ça, et de ce fait, ils sont donc
fondés à agir pour éviter que cette garantie ne s'exerce
au détriment du contribuable.
D'autre part, l'alternative, à savoir le scénario catastrophe
du début de cet article, nécessiterait sans doute d'autres
mesures d'exception bien moins désirables que celles-là, avec
retour des bruits de bottes et couvre-feux.
Il faut donc qu'une telle mesure, prise au plan européen, fasse
l'objet d'une procédure d'approbation parlementaire très rapide
et d'une transcription quasi immédiate en droit local. Après
quoi, une restructuration de la dette grecque pourra être
envisagée bien plus sereinement.
Dans un deuxième temps, il conviendra, à froid, de
réfléchir aux évolutions législatives plus
pérennes afin de parfaire les angles d'une législation prise
dans la précipitation par excès d'imprévoyance, et de
repenser certaines lois directement à l'origine du désastre
actuel, j'y reviendrai dans un article ultérieur.
Les oppositions
Les actionnaires actuels des banques, et leurs créanciers, dont les
actionnaires sont souvent d'autres entreprises du monde financier, voient
d'un très mauvais oeil une telle disposition
légale qui porte en germe leur ruine par "wipe
out" en cascade. Ils préfèreraient que les contribuables
continuent de renflouer les trous que leur imprévoyance a
creusés. Seul problème : la fiction de la solvabilité
éternelle des états ne peut être maintenue, et le
rôle d'un état "normal" devrait être de limiter
la charge pesant sur les contribuables, pas de permettre leur spoliation
infinie (et insoutenable) au profit des banquiers. Ils doivent payer pour
leur impéritie, quitte à réclamer certaines
compensations ultérieures par voie de justice si la "correction
précipitée" va trop loin.
Le second point dur est la BCE, qui s'oppose à toute restructuration,
si on en croit la presse. Pourquoi ? Elle a semble-t-il pris en pension
tellement de dette grecque, en violation de ses statuts fondateurs, qu'elle
est devenue une "bad bank"
de fait. La conséquence d'une faillite grecque sur le bilan de la BCE
est difficilement conceptualisable : cataclysme sur l'euro ? Ou
monétisation à outrance des pertes menant à une
explosion des taux d'intérêt par pression inflationniste ?
Quelle que soit la voie choisie, elle est risquée. Cela
méritera des développements ultérieurs.
Effets vertueux
Une fois le mécanisme en vigueur, les prêteurs
considèreront que prêter aux grandes banques sera plus
risqué, puisque le parapluie public aura disparu, et augmenteront leur
prime de risque en conséquence. Cela équilibrera les
coûts des ressources financières entre petites et grandes banques
(aujourd'hui, l'avantage du parapluie public des Too
Big To Fail est estimé à 0.5%
minimum) et cela rééquilibrera les incitations des grandes
banques vers des ratios de levier plus faibles, donc moins risqués.
L'on me répondra que cela forcera les banques à augmenter les
taux d'intérêt qu'elles consentent à leurs clients. Mais
ce serait une excellente chose, puisque cela supprimerait une subvention
insidieuse (le parapluie public) à l'argent prêté et donc
rendrait plus difficile le financement des investissements les plus
médiocres, ceux qui, aujourd'hui, faute d'être remboursables,
nous plongent dans la crise financière.
Vouloir cacher le vrai prix de l'argent aux investisseurs est le plus
sûr chemin vers la ruine, rétablir la vérité des
prix la condition essentielle de la guérison.
Vincent
Bénard
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