Ce
n’est que le début d’une tendance nouvelle qui pourrait bientôt devenir la
dernière mode. Le président de la BCE, Mario Draghi,
dans sa sagesse infinie, l’aura bien cherché : il a porté le taux
d’intérêt des dépôts de la BCE à -0,2% et a fait la promesse d’acheter 60
milliards de dollars d’actifs par mois, qui incluent la dette des
gouvernements de la zone euro, d’autres formes de dette et même, comme
l’avait prédit de manière poignante le politicien allemand Frank Schäffler en juillet 2012, de « vieux vélos ».
La
BCE rachètera cette dette à ses banques favorites, pour en porter le prix si
haut que leurs rendements passeront bientôt à -0,2%,
le même taux que celui des dépôts. Ces banques tireront un grand bénéfice de
cet accord. Et n’oublions pas les rendements de la dette des gouvernements de
la zone euro ont plongé. Les rendements des obligations allemandes sont
désormais de 0,15%, leur niveau le plus bas depuis dix ans, et devraient
bientôt atteindre -0,2%.
L’objectif :
forcer les investisseurs à payer pour le privilège de financer les
gouvernements de la zone euro, de la même manière que les déposants se
retrouvent forcés de payer pour le privilège de
prêter leur argent à des banques en péril.
Les
compagnies d’assurance, mais aussi d’autres institutions financières,
détiennent des obligations haut de gamme pour générer des sources de revenus
prévisibles dans le futur, avec lesquelles rembourser les promesses faites
aux propriétaires de leurs assurances vie et rentes – une grande partie du
système privé de retraite. Mais à mesure que les intérêts passent dans le
rouge, les revenus futurs s’amenuisent. Le système des retraites tout entier
est en péril.
En
Europe, la chasse aux rendements a sonné. Tout le monde ferme les yeux, se
bouche le nez et plonge dans un océan de risques, portant au passage les
rendements à la baisse. Les obligations des entreprises haut de gamme font
l’expérience de rendements à zéro pourcent voire négatifs. Le 10 mars, alors
que la BCE lançait son programme de QE, les rendements moyens des obligations
des sociétés d’investissements étaient passés à 0,85%, bien qu’ils aient
depuis grimpé pour atteindre 0,92%. Des rendements bien trop faibles pour que
les promesses faites puissent être tenues.
Alors
ils recherchent le salut dans les obligations. Ces créatures à risque se portent
bien lorsque de la nouvelle monnaie est disponible en des quantités
illimitées pour rembourser la plus ancienne. Mais c’est une lame à
double-tranchant. En cas de revirement, les actionnaires perdent une grande
partie de leur investissement et peuvent finir avec très peu d’argent en cas
de restructuration, comme par exemple sous la protection du Chapitre 11 du
Code sur la banqueroute.
C’est
ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis sur tous les secteurs. On n’appelle
pas ces actifs « toxiques » sans raison. Par le passé, les
investisseurs ont pris des risques parce qu’ils pouvaient en tirer des
rendements importants. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, ce n’est plus
le cas depuis que les programmes de QE et la répression des taux d’intérêt à
l’échelle globale ont ruiné l’évaluation du risque.
C’est
pourquoi les rendements des obligations toxiques libellées en euro ont
plongé, et que les rendements moyens ont atteint 3,56% le 27 février, bien
qu’ils se soient depuis jeudi dernier repositionnés autour de 3,92%. Aux
Etats-Unis, les rendements des obligations équivalentes libellées en dollars
étaient de 6,30% selon BofA Merrill Lynch.
Il
n’est pas nécessaire d’être un génie pour savoir ce qui arrivera ensuite.
Ceux
qui émettent cette dette toxique aux Etats-Unis peuvent voir la différence.
Ils savent où est offerte la monnaie peu chère. Ils savent où trouver des
investisseurs désespérés poussés au bord de la folie par les politiques des
banques centrales.
Le
distributeur de produits pharmaceutiques, VWR Corp,
basé à Radnor, PA, est devenu public en octobre et
est parvenu à obtenir 536 millions de dollars. Voilà qui s’intègre dans la
stratégie de sortie des propriétaires de sa firme d’investissement dirigés
par Madison Dearborn Partners. Aujourd’hui, la
société a besoin de plus d’argent. C’est pourquoi selon Bloomberg,
elle a vendu jeudi dernier 503,8 millions de dollars d’obligations toxiques à
l’Europe.
IMS
Health, basée à Danbury, dans le Connecticut, offre
ses analyses et ses services à Big Pharma et
d’autres membres du système de santé américain. Elle a été rendue publique en
avril 2014 et levé 1,3 milliard de dollars, pour frayer un chemin de sortie
aux propriétaires de sa firme d’investissement, dirigée par TPG. Elle a pu
lever 275 millions d’euros de monnaie peu chère en Europe.
Infor, une société de logiciels qui compte
70.000 clients dans 194 pays, appartient à la firme d’investissements Golden Gate Capital Partners. Elle a
vendu 350 millions d’euros d’obligations toxiques.
D’autres
sociétés américaines en ont fait de même. Depuis le début de l’année, elles
ont vendu un total de 3,28 milliards d’euros d’obligations toxiques à
l’Europe, un record pour cette période de l’année depuis la naissance de
l’euro.
Mais
ce n’est que le début. Et une autre conséquence inattendue du QE de la BCE
est que le transfert des obligations toxiques et du risque depuis les
Etats-Unis jusqu’à la zone euro – depuis les fonds d’obligations américains,
les portefeuilles retraite et les sociétés d’assurance jusqu’à des Européens
qui n’en savent rien et qui sacrifient une partie de leurs revenus à des
assurances vie pour ajouter à leurs retraites futures.
C’est
une bénédiction pour les Etats-Unis. C’est un peu comme si Draghi disait aux Etats-Unis d’envoyer leurs déchets
toxiques à l’Europe, soigneusement emballés dans des discours de corporations
et étiquetés « terreau première qualité », pour être vendus à un
prix exorbitant.
A
mesure que le QE de la BCE progressera, les rendements des obligations
toxiques continueront peut-être de chuter, et les acheteurs pourraient
devenir de plus en plus désespérés, jusqu’à ce que même nos sociétés
énergétiques, qui sont très proches du défaut et de la banqueroute, puissent
lever de la monnaie peu chère auprès des Européens qui font de leur mieux
pour accumuler une épargne retraite. Voilà qui forcerait ces sociétés
énergétiques en péril à rembourser leurs investisseurs américains. Ainsi,
elles peuvent continuer de fracturer et de produire toujours plus de pétrole
et de gaz, qu’elles vendent bien en-dessous de leur coût de production. C’est
une combine qui fonctionnera tant qu’il y aura de l’argent facile disponible
pour boucher les trous.
Aux
Etats-Unis, le boom de la fracturation a commencé avec le gaz naturel. Il
détruit aujourd’hui ses investisseurs. Lisez ceci : Investors Crushed as US Natural
Gas Drillers Blow Up
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