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Digestion très laborieuse pour les deux bulles financières

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Paul Jorion.
Published : February 09th, 2010
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Ce texte est un « article presslib’ » (*)


La crise est-elle soluble dans l’eau ? C’est la question que certains doivent se poser, qui l’espèrent encore, afin que les affaires repartent sans trop tarder. Mais ce qui est en train de se passer ne répond pas exactement à leur attente. Car nous constatons que les deux grosses bulles financières résultant des mesures de sauvetage et de relance que les gouvernements ont adopté – la bulle privée et la publique – ne sont pas près d’être résorbées et commencent à produire, chacune, de sérieux dégâts. Dans un contexte où la sortie de la récession est incertaine et la rechute possible.

La bulle privée se prépare à perturber l’économie des seuls pays qui continuent de connaître une franche croissance économique. En Asie principalement, mais également au Brésil, où les capitaux sont massivement présents, à la recherche des meilleures affaires, pour investir ou pour faire des raids dans le cadre du carry trade.

La bulle publique se révèle si dure à digérer que l’on en vient à se demander si cela va être possible de la contenir et de la résorber. Comme si les Etats avaient présumé de leurs forces en combattant les effets économiques de la déroute financière et en finançant les banques, et qu’ils étaient allés trop loin. La dette cumulée des pays du G7 atteint désormais environ 30 mille milliards de dollars, dont 22 mille milliards pour les seuls Etats-Unis et le Japon. La Grèce y contribue pour un ridicule 300 milliards ! Ces chiffres mettent en perspective la crise actuelle.

Le monde financier, quant à lui, a repris confiance et initiative. Il mène trois batailles simultanées en vue de se préparer des jours meilleurs :

1/ Davos a été l’occasion du coup d’envoi de son offensive, en vue de canaliser et réduire tous les projets visant à le taxer et à restreindre ses activités. C’est sur le Sénat américain qu’il compte pour bloquer sans attendre la réforme lancée par Barack Obama sous le nom de « Volcker’s rule » ; cela est pour l’instant bien parti. Auditionné hier par le Sénat, Paul Volcker, âgé de 82 ans, a déclaré en parlant de la prochaine crise : « je ne vivrai peut-être pas assez longtemps pour voir la crise, mais mon âme reviendra vous hanter ».

2/ C’est à l’usure, parallèlement, que ce monde enfermé sur lui-même pense pouvoir émousser le projet du Comité de Bâle de renforcement des fonds propres des établissements financiers ; cela s’annonce assez bien, car il y a plein de chausses trappes possibles. Le diable est du côté des banques, faut-il s’en étonner ?

3/ Enfin, il entend obtenir une place privilégiée sur le marché obligataire, afin de se financer. Déterminé à passer devant des Etats coupables de lourdement peser sur le marché avec leurs déficits persistants. Tous les Etats étant également fautifs, mais certains l’étant plus que d’autres à leurs yeux : ceux qui sont les plus fragiles, à qui il peut être plus facilement intimé l’ordre de rentrer dans le rang, surtout s’ils sont laissés seuls dans l’épreuve. L’Europe est pour le monde financier un terrain de jeu de choix, ses maillons les plus faibles propices à l’usage ostensible de son savoir faire. Car derrière l’anonymat des marchés, leur réactions psychologiques si imprévisibles, il y a des acteurs et des calculs. Dont la BCE, dont les moyens sont à ce niveau considérables.

Les pays européens qui sont visés dans l’immédiat ont mesuré que l’effort exigé de leur part ne pourra être réalisé sans secousses sociales à l’ampleur et aux conséquences tout autant imprévisibles, que s’il est en partie soulagé par une aide financière. Or, elle fait défaut pour le moment. On verra comment les plus grands pays réagiront plus tard, s’ils persistent aujourd’hui dans leur facile intransigeance.

Au-delà des cas et de cette phase de la crise, l’impasse actuelle renvoie à une problématique plus générale, encore en pointillés. A propos de laquelle le FMI a lancé un ballon d’essai qui n’a pas attiré l’attention, en évoquant une éventuelle allocation supplémentaire de droits de tirage spéciaux (DTS) pour financer la lutte contre le changement climatique. Il n’est pas interdit de spéculer, à notre tour, et d’envisager que le FMI puisse également, toujours grâce à la création de DTS, prendre demain le relais des banques centrales, qui ne pourront toujours pas – ou ne pourront plus – contribuer par voie de création monétaire au financement des Etats, en achetant leurs obligations.

Bien que cette approche soit passablement dérangeante pour les tenants du titre, car elle reviendrait à engager une réforme d’ensemble du système monétaire international, au détriment du dollar, elle devra d’une manière ou d’une autre être tôt ou tard sérieusement prise en considération. Car il n’est pas garanti que le marché obligataire va pouvoir absorber, sans le faire chèrement payer et alourdir les additions, toutes les demandes des Etats, des établissements financiers et des grandes entreprises, qui vont se bousculer. Ni qu’il soit possible d’imposer, pour une période qui s’annonce longue, une rigueur drastique ainsi qu’une atteinte au bouclier social, alors que la consommation est déjà en berne, et que l’évolution du pouvoir d’achat n’a pas devant lui de glorieuses perspectives, sauf pour les plus aisés. Il faudra bien, si ces solutions se révèlent faire sérieusement problème, trouver une échappatoire. Afin d’aider à digérer l’énorme bulle publique, qui sans cela ne passera pas. Car il ne va pas falloir compter sur la croissance, derrière laquelle on se réfugie encore.

Et la bulle privée, a-t-elle de son côté des effets ? Une déclaration effectuée il y a deux semaines par Dominique Strauss-Kahn, directeur général du FMI, est aussi passée assez inaperçue dans la presse européenne, décidément ! Sans doute parce qu’elle concerne cette fois-ci l’Asie (dont on parle peu), bien qu’elle explicite clairement la situation qui s’y est développée, ainsi que ses dangers potentiels. Celui-ci a tout bonnement appelé les gouvernements asiatiques à étudier la mise en place de mesures temporaires de contrôle des capitaux, afin de limiter les risques de bulles d’actifs. Un propos pour le moins inhabituel, dont on doit se demander ce qui a pu le justifier.

C’est que, si l’on a non sans raison fait grand cas du danger représenté par la bulle financière chinoise – créée par un colossal plan de relance sous forme de crédits bancaires à tout va – on a moins parlé de l’afflux d’une énorme quantité de capitaux occidentaux en Asie, attirés par la croissance économique de la région. Toutes les mégabanques ayant décidé d’y réorienter leurs activités, munies de la panoplie au grand complet de leur offre financière. Au premier rang de laquelle le carry trade, une activité pénalisante pour les pays qui lui servent de terre d’accueil, qui voient le cours de leur monnaie grimper, faisant en retour obstacle à leurs exportations. Tout ceci contribuant au développement local de bulles financières, notamment immobilières et boursières, potentiellement déstabilisatrices pour l’économie. Alors que les banques asiatiques et brésiliennes étaient largement prémunies des effets de la crise des subprimes, n’ayant pas comme leurs consoeurs européennes succombé aux charmes douteux des produits financiers américains haut de gamme.

Le monde financier a maintenant les yeux tournés vers l’Asie, ses poches grandes ouvertes, fasciné par le potentiel d’affaires qu’il représente. Et il ne viens pas tout seul, mais apporte avec lui ses petites turpitudes, comme il se doit. Une part de plus en plus importante du commerce mondial est désormais régional (Sud-Sud comme on disait auparavant, pour distinguer ces échanges du commerce Nord-Sud, entre pays développés et ceux qui ne l’étaient pas). L’Inde, le Japon et la Chine en sont en Asie les trois principaux piliers (50% du commerce japonais est avec la Chine). Les mégabanques volent donc au secours de la victoire, se battant pour détenir d’importantes parts de ce marché du siècle, alors que l’Europe et les Etats-Unis ne sont plus en mesure de leur fournir les opportunités qu’elles ont su y créer, y saisir …. et y épuiser. Les emplois de demain sont à l’Est, les marchés aussi. Cela fait plaisir de voir des gens qui ont des convictions.

Devant la détérioration du bilan de leurs banques et l’accroissement de la bulle immobilière et boursière que leur politique de brutale ouverture des vannes du crédit a suscité, les autorités chinoises viennent de réagir afin de restreindre sa distribution. Notamment en obligeant les banques à accroître leurs réserves. L’agence de notation Fitch ayant, à titre de coup de semonce, dégradé la note de deux banques chinoises moyennes : China Citic Bank et China Merchants Bank. Mais le malheur veut que c’est toute l’Asie qui est touchée par l’afflux des capitaux occidentaux. Ceux-ci contribuent à la création de bulles financières locales – dans la région même dont l’économie occidentale attend tant de la croissance pour impulser la sienne – et par voie de conséquence à la maturation d’une nouvelle phase de la crise.

La digestion de cette bulle financière privée risque, comme celle de la dette publique, de ne pas être aisée et d’avoir de fortes conséquences globales. On ne dira jamais assez combien la finance moderne apporte une contribution essentielle à l’économie.


Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).





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