Les
dirigeants européens font de la politique, et quelle politique !
Les voilà embarqués dans la négociation entre quatre
yeux d’un paquet de mesures destinées à gérer
la crise, où chacun glisse son grain de sel et cherche à
protéger ses intérêts. Un exercice délicat qui
pourrait fort bien ne pas être terminé à temps pour leur
prochain sommet du 4 février, continuant d’alimenter toutes les
incertitudes. Prochain arrêt : les 24 et 25 mars prochains.
Concentrée
sur ses échéances de l’année à venir, la
coalition gouvernementale allemande CDU-FPD voudrait trouver les meilleurs
arguments électoraux pour justifier de prochains sauvetages
européens – c’est en tout cas ainsi qu’elle voit les
choses. Avec comme stratégie d’échanger sa participation
financière à un dispositif d’aide renforcé contre
de nouvelles assurance de réduction des déficits publics.
Dans
l’obligation de ne pas décrocher des Allemands, les
Français tentent de tempérer leurs ardeurs renforcées,
avec en vue leur propre élection présidentielle et la crainte
de devoir trop vite obtempérer à leurs injonctions. Tout en
s’efforçant d’avancer leur projet d’harmonisation
progressive (de convergence), fiscale puis sociale. Afin
d’entraîner les Allemands vers la définition d’une
politique économique commune et de les écarter de leur
intransigeante rigueur budgétaire. Ministre des affaires
européennes, Laurent Wauquiez vient de suggèrer ainsi le lancement de « project bonds » (des obligations
européennes destinés à financer des grands projets
d’infrastructure).
A
la recherche de relais financiers, les Portugais multiplient les
démarches hors d’Europe – la dernière en date au Quatar et aux Emirats – dont ils voudraient
éviter le baiser qui tue, le FMI de sinistre mémoire leur
servant d’épouvantail. Devant se rendre à
l’évidence, le gouvernement espagnol tente de sauver ses Cajas, son réseau de caisses
d’épargne, en attirant des capitaux privés pour le
recapitaliser, car n’en ayant plus les moyens. Les estimations varient,
mais les plus mesurées considèrent qu’entre 32 et 78
milliards d’euros seraient nécessaires, c’est tout du
moins l’analyse de la Barclays. La largueur de
la fourchette exprimant à elle seule l’opacité de leur
situation.
La
BCE, par l’intermédiaire de son président, rappelle une
fois de plus à l’ordre tout le monde, en utilisant les colonnes
du journal à sensation allemand Bild pour
exhorter les gouvernements européens à accomplir
« d’énormes efforts pour réduire leur
dette ». Avec en vue de favoriser le bouclage d’un montage
qui la libérerait de la poursuite de ses interventions sur le
marché obligataire, le fonds de stabilité européen
prenant le relais dans le cadre du paquet que veut négocier
Angela Merkel. Donnant-donnant, annonce-t-elle sans
ambages.
Dans
ce cadre, elle réaffirme son soutien à la candidature
d’Alex Weber à la succession de Jean-Claude Trichet à la
présidence de la BCE, qui s’est précisément
publiquement opposé à ces interventions de la BCE et pourrait
ainsi s’y installer en territoire pacifié. Un gage non
négligeable serait ainsi accordé aux Allemands.
José
Manuel Barroso, président de la commission
européenne, en vient à critiquer avec une audace que l’on
ne lui connaissait pas les Allemands, persévérant dans sa
proposition d’augmenter sans attendre les moyens du fonds de
stabilité, au nom de la défense du « bien de
l’Europe » et d’un « rôle de la
commission » qu’il semble être seul à vouloir
tardivement défendre.
Ces
jeux politiques à courte vue tiennent lieu de stratégie,
expressions de contradictions d’intérêt donnant lieu
à de difficiles arbitrages. Ceux-ci se sont jusqu’à
maintenant révélés dépassés chaque fois
qu’ils ont été rendus, le risque étant que cela se
renouvelle.
A
moins que, bon gré mal gré, la ligne allemande finisse par
balayer les résistances et que, graduellement, toute l’Europe
sombre dans la rigueur budgétaire, accompagnée d’une
récession virant à la stagflation, sous les effets de la
spéculation financière mondiale sur les matières
premières et les augmentations de la TVA ou des tarifs
réglementés. Avec comme inévitable conséquence la
chute de la croissance allemande, dont les relais à
l’exportation dans les pays émergents ne compenseront pas la
chute de leur commerce au sein de la zone euro.
Ce
scénario est écrit, reste à voir s’il va
être réalisé. Un peu de patience va être
nécessaire, avant de savoir où le curseur va être cette
fois-ci placé.
Une
telle perspective pourrait bien trouver à terme son répondant
outre-Atlantique, car si la politique de la Fed contribue à contenir
la hausse des taux obligataires US et à favoriser les résultats
du secteur financier, elle ne parvient pas à résoudre
l’équation de la croissance et du chômage, et donc de la
dette. Là aussi, les jeux politiques ont leur mot à dire, avec
la perspective des prochaines présidentielles dans moins de deux
ans ; mais la corde du déficit américain continue de se
tendre et avec elle celle du système monétaire international,
rapprochant inexorablement les échéances. Une question de
temps, sans plus.
Soumis
au suffrage universel, aussi corrompu que puisse être l’exercice,
les gouvernements en place tentent de temporiser et de biaiser afin de ne pas
avoir à tailler dans le vif. Mais ils sont rattrapés par une
crise financière qui les dépasse et leur impose de
réagir à contre-temps de leurs
échéances.
De
son côté, le système financier tente de s’adapter
à la donne. Aux Etats-Unis, les résultats annuels des mégabanques vont tomber durant la semaine à
venir, JP Morgan a tiré la première en annonçant des profits
en hausse de 47% par rapport à l’année dernière.
On verra la suite. En passe d’application afin de renforcer le
système bancaire, un plan repose sur trois piliers :
d’excellents résultats des mégabanques
aux bons soins de la Fed, une hausse boursière des valeurs bancaires
et la distribution de dividendes à leurs actionnaires. De quoi inciter
les investisseurs à remettre une couche de peinture, sans avoir
décapé la précédente.
En
Europe, la situation est plus tendue. Parce que le ménage dans les
bilans a été encore moins effectué qu’aux
Etats-Unis et que les besoins de financement sont relativement plus
importants. En présentant ses voeux aux
édiles financiers, Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de
France, a clairement exprimé l’enjeu : « Je vous
demande de travailler sans délai au renforcement le plus rapide
possible du niveau et de la qualité de vos fonds propres, de
façon à anticiper autant que possible les
échéances prévues par Bâle III ». On ne
saurait mieux exprimer qu’il faut se dépêcher de se servir
sur le marché, car les taux vont y augmenter.
Sur
le front du renforcement des fonds propres des banques, la situation vient en
effet de se compliquer un peu. Au fur et à mesure qu’il
précise les caractéristiques des CoCos
(les obligations hybrides contingentes), afin qu’ils soient
éligibles au Tier one de
ceux-ci, le Comité de Bâle durcit la peine. En cas de mauvaise
fortune d’une banque, la décision de convertir ses CoCos en actions serait entre les mains des
autorités, législatives ou réglementaires. Une
perspective qui, comme on s’en doute, diminue encore leur attrait aux
yeux des investisseurs et va les inciter à accroître leurs
prétentions en termes de rendement.
Tenter
de comprendre les ressorts du marché obligataire impose d’en
voir toutes les facettes. Afin de renflouer la dette, qu’elle soit
privée ou publique, il est en effet fait appel par les Etats et les
établissements financiers à ce même marché, cette
entité abstraite qui fait la loi sans que ses séances soient
publiques et ses membres identifiés. Une telle histoire
destinée aux enfants est-elle tenable longtemps ?
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
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