Donner un sens aux indices économiques

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Category : Fundamental Ideas





          Le dévoilement périodique, par le gouvernement, des indices économiques tels le PIB, l'indice des prix à la consommation (IPC) et le taux de chômage reçoit une importante couverture dans les médias populaires tels la télévision et les quotidiens. Viennent ensuite les commentaires d'économistes et autres experts sur la santé économique, exprimés sur un ton d'autorité. Ainsi, une augmentation du produit intérieur brut est interprétée comme une bonne nouvelle, alors qu'une diminution est vue comme signalant des problèmes à venir.


           Les opinions d'experts ne se limitent pas à la santé économique, ceux-ci offrent aussi leurs conseils en matière d'investissement. Certains économistes semblent capables d'offrir des analyses tant qualitatives que quantitatives. Ils diront, par exemple, que l'économie devrait croître de 0,6% au prochain trimestre et de 1,2% par la suite, ou encore, qu'une faible inflation aidera la Banque centrale à diminuer le taux directeur afin de revigorer l'économie. 
  
          Ce type de commentaires donne vraiment l'impression à celui qui l'entend que les économistes maîtrisent tout à fait leurs domaines d'expertise. Mais quels sont donc les outils utilisés par ces experts? Quelle est leur méthodologie? 
  


Faire parler les données 
  
          Dans le but de faire « parler » les données, les économistes conventionnels utilisent toute une gamme de méthodes statistiques allant du modèle le plus sophistiqué à une simple présentation de données historiques. Il est généralement admis que par des corrélations statistiques, on peut organiser les données historiques en un ensemble utile d'informations qui, à son tour, peut servir de base à l'évaluation de l'économie. En somme, appliquer une méthode statistique à des données historiques permettrait d'extraire les faits bruts de la réalité concernant l'état de l'économie. 
 
          Toutefois, les choses ne sont pas aussi simples. Par exemple, il a été observé qu'une baisse du taux de chômage est associée à une hausse des prix des biens et services. Devrions-nous en conclure qu'une baisse du taux de chômage provoque l'inflation des prix? Comme si cela ne suffisait pas, il a également été observé qu'une inflation des prix est hautement corrélée avec une augmentation dans l'offre de monnaie. Et il a été établi que les augmentations de salaires suivent de près l'inflation des prix. 
  
          Que conclure? Nous sommes confrontés ici non pas à une, mais à trois théories de l'inflation. Quelle est la bonne? Selon la pensée populaire, le critère de sélection d'une théorie devrait être sa capacité prédictive. Sur ce, Milton Friedman écrit: « Le but ultime d'une science positive est le développement d'une théorie ou hypothèse qui résulte en des prédictions valides et significatives (non tautologiques) de phénomènes non encore observés.(1) » 
  


Tout est-il incertain? 
  
          Aussi longtemps que le modèle théorique « fonctionne », cela est considéré, dans les limites de l'observation économique, comme étant valide. Du moment où le modèle n'a plus de capacité prédictive, on doit chercher à le remplacer. Par exemple, un économiste développe l'idée que les dépenses des consommateurs sont déterminées par le revenu disponible. À partir du moment que cette hypothèse est validée par des méthodes statistiques, on peut l'utiliser pour l'évaluation des dépenses futures. Si le modèle ne produit pas les résultats escomptés, ou bien on le remplace ou bien on y ajoute une ou plusieurs variables explicatives. 
  
          La nature approximative des théories implique que notre connaissance du monde nous échappe et que les économistes ne peuvent même pas être certains de la loi de l'offre et de la demande. Tout est constamment en train d'évoluer. Par exemple, bien que l'on accepte qu'une augmentation de l'offre d'un bien pour une demande donnée diminue son prix, il n'en sera pas toujours ainsi. En effet, on peut aussi bien imaginer une situation où le prix d'un bien augmentera. 
  
          Il en découle que nous sommes condamnés à l'incertitude totale en ce qui a trait au monde réel. Puisqu'il est impossible d'établir comment les choses « fonctionnent réellement », alors la nature des hypothèses qui sous-tendent un modèle théorique importe peu. En autant que le modèle fait de bonnes prédictions, tout va. Selon Friedman: 

          La question pertinente à demander à propos des postulats d'une théorie n'est pas de savoir s'ils décrivent bien la réalité, car ils n'y arrivent jamais, mais de savoir s'ils sont de bonnes approximations. Cette question n'a de réponse qu'en évaluant si la théorie fonctionne, c'est-à-dire si les prédictions qui en résultent sont suffisamment précises.(2)



Deux types d'économistes 
  
          Ce point de vue selon lequel notre connaissance ne peut qu'être approximative a donné naissance à deux groupes d'économistes. Dans un camp, vous avez ceux qui se définissent comme théoriciens, les « économistes dans la tour d'ivoire », qui produisent des modèles imaginaires dont ils se servent pour se faire une opinion de l'économie. Dans l'autre, les praticiens, qui se font une opinion uniquement à partir des données qu'ils analysent. Les théoriciens croient que le secret de l'économie se trouve dans les modèles abstraits, alors que les praticiens croient que si l'on torture suffisamment les données, celles-ci confesseront et la vérité en sortira. 
  
          La théorie économique, toutefois, ne doit avoir qu'une seule raison d'être: expliquer la nature de l'activité économique. Or, les méthodes statistiques ne sont d'aucune aide à cet égard. Tout ce que peuvent faire ces méthodes est de comparer les mouvements de parcelles historiques d'informations. Elles ne peuvent pas identifier les forces motrices de l'activité économique. De même, les modèles basés sur l'imagination ne sont guère plus utiles puisqu'ils ne trouvent pas leurs sources dans le monde réel. 
  
          Contrairement à la croyance populaire, la science économique n'est pas l'étude des indices économiques tels le PIB ou l'IPC, mais l'étude des activités humaines qui visent à promouvoir la vie et le bien-être des individus. On observe que les gens sont engagés dans des activités diverses. Ils accomplissent du travail manuel, ils conduisent des automobiles, ils marchent sur la rue et dînent au restaurant. La caractéristique distincte de ces activités est qu'elles ont toutes une raison ou un but. 
  

          Ainsi, le travail manuel peut être un moyen pour certains d'obtenir de l'argent qui leur permettra d'accomplir des objectifs aussi primaires que de s'habiller et de se nourrir. Dîner dans un restaurant peut être un moyen pour établir des relations d'affaires. Conduire une automobile peut être un moyen pour atteindre un endroit particulier. En d'autres mots, les gens opèrent à l'intérieur d'un mode d'action comprenant des moyens et de fins; ils utilisent divers moyens en vue d'atteindre un but. 
  
          L'action humaine dirigée vers un but implique que les gens évaluent les divers moyens à leurs dispositions pour arriver à leurs fins. À n'importe quel moment, les individus ont une panoplie d'objectifs qu'ils aimeraient accomplir ou atteindre. Ce qui limite l'accomplissement de ces divers buts est la rareté des moyens. Lorsque plus de moyens deviennent disponibles, un plus grand nombre d'objectifs peuvent être atteints et le niveau de vie des gens augmente. Une autre limite à l'atteinte de buts divers est la disponibilité de moyens appropriés. Afin d'étancher ma soif dans le désert, j'ai besoin d'eau, la possession de diamants à cet égard ne me sera d'aucun secours. 
  


L'action humaine est primordiale 
  
          L'action humaine visant un but imprègne le monde économique et c'est cela qui donne naissance aux divers indices économiques. Le fait que l'action humaine soit dirigée vers un but est la clé pour donner un sens aux divers indices économiques. 
  
          Pour procéder à l'identification des données, il est nécessaire de ramener celles-ci à leur ultime force motrice, soit l'action humaine. Par exemple, lorsque l'économie est au ralenti, une baisse générale de la demande est observée. Devons-nous alors conclure que la baisse de la demande est la cause d'une récession économique?   
  
          Nous savons que les individus tentent d'améliorer leur vie et leur bien-être de façon continue. Leurs demandes ou objectifs sont donc illimités. Ainsi, la seule raison qui pourrait expliquer une baisse générale de la demande est le fait que les individus sont incapables de l'exercer. Bref, ce sont sans doute des problèmes avec la production, c'est-à-dire avec les moyens d'accomplir les buts, qui sont la cause de la baisse observée de la demande. 
  
          Considérons maintenant une situation où la Banque centrale annonce qu'une augmentation de la croissance de la masse monétaire, lorsque la hausse générale des prix est faible, permet d'accélérer la croissance économique réelle. Afin de donner un sens à cette proposition, nous devons examiner la nature de l'argent. L'argent sert de moyen d'échange et conséquemment il ne peut que faciliter l'échange de la richesse réelle déjà existante. Il ne peut pas créer de nouvelles richesses. L'argent ne peut être utilisé ni dans la production ni dans la consommation. Nous pouvons donc en conclure qu'imprimer de l'argent n'est pas la bonne façon de promouvoir la croissance économique. En d'autres mots, l'objectif d'accélérer la croissance économique ne peut être atteint en imprimant de la monnaie. 
  
          La croyance populaire voulant que les dépenses de consommation sont la force première de l'économie, donc que la demande crée l'offre, doit aussi être évaluée à partir de l'action humaine. Nous savons que sans les moyens, aucun but ne peut être atteint. Or, ces moyens ne sortent pas de nulle part, ils doivent d'abord être produits. Donc, contrairement à la croyance populaire, la force motrice de l'économie est l'offre et non la demande. 
  
          Le fait que l'homme poursuive des actions ayant un but implique que les causes dans le monde de l'économie émanent de l'être humain et non de forces extérieures. Ainsi, contrairement à la croyance populaire, ce n'est pas le revenu réel qui détermine ce qui sera dépensé sur les biens. C'est à chaque individu de déterminer la part de ses revenus qu'il consacrera à la consommation et à l'épargne. Bien qu'il soit vrai que les individus réagissent aux changements dans leurs revenus, ces réponses ne sont pas automatiques et ne peuvent être captées par une formule mathématique. En d'autres mots, chaque individu évalue l'augmentation de ses revenus selon les objectifs qu'il désire accomplir. Il peut conclure qu'il lui serait plus bénéfique d'augmenter son épargne plutôt que sa consommation. 
  
          En utilisant le modèle de la fin et des moyens, nous pouvons démontrer que les salaires ou l'activité économique ne détermine pas les prix comme le laisse croire la pensée économique populaire. Par exemple, Georges, cultivateur de pommes de terre, croit que son bien-être s'améliorera s'il peut assurer à sa famille une certaine quantité de pommes. De façon réciproque, Jean, cultivateur de pommes, croit que de sécuriser une certaine quantité de patates hausserait son niveau de vie. Bref, les moyens à la disposition de Georges et de Jean sont insuffisants pour améliorer leur niveau de vie. 
  
          C'est en échangeant que Georges et Jean seront capables de réaliser leurs objectifs, et ainsi promouvoir leur bien-être respectif. Ils peuvent s'entendre pour échanger une pomme pour une patate. Ce faisant, Jean s'est assuré d'une pomme et Georges a sacrifié une pomme de terre. Ce sacrifice est le prix de la pomme ou le nombre de patates que Georges doit offrir afin de s'assurer une pomme de Jean. 
  
          Le prix ou le taux de change d'un bien en termes d'un autre est le montant de celui-ci divisé par le montant de celui-là. Notez que le prix est le résultat de buts différents, donc d'une attribution différente assignée aux moyens par chacun des partis. Notez également que les prix ne sont pas causés par des facteurs extérieurs tels les salaires ou le taux de chômage. 
  


Les nombres n'expliquent rien 
  
          À l'encontre de ce que prétendent les économistes conventionnels, sans la connaissance que les actions humaines ont une raison d'être ou un but, il est impossible de donner un sens des données historiques. Sur ce, Rothbard a écrit: 

          Afin de démontrer la différence entre deux façons d'aborder le comportement humain, Mises présentait à ses élèves comment on peut interpréter le comportement des passagers à la Gare centrale de New York pendant l'heure de pointe. D'un côté, le béhavioriste « objectif » ou « scientifique » observe les événements empiriques tels des individus allant et venant d'un pas pressé à une certaine heure du jour sans but apparent. Voilà tout ce que cet observateur peut savoir de la situation. Le véritable observateur de l'action humaine, de son côté, part de l'idée que toute action a un but et comprend que la raison de ce va-et-vient est d'aller de la maison au travail le matin et réciproquement le soir. Il est facile de voir lequel des observateurs est le plus apte à découvrir et savoir plus de choses sur le comportement humain et donc lequel est le plus « scientifique ».(3)

          L'idée populaire qui présente la capacité prédictive d'un modèle comme critère de validation est absurde. Même les sciences naturelles, dont les économistes populaires tentent de suivre l'exemple, ne valident pas leurs modèles de cette façon. Par exemple, une théorie qui est employée pour construire une fusée stipule certaines conditions qui doivent régner pour que le décollage de celle-ci soit un succès. Une de ces conditions est que la température soit clémente. Jugerait-on alors la théorie de la propulsion de la fusée sur sa capacité de prévoir le départ de celle-ci? La prédiction que le départ prendra place à une date particulière dans le futur se réalisera seulement si toutes les conditions règnent. Cela ne peut être connu à l'avance, car à la date prévue du lancement il peut survenir plusieurs choses, par exemple pleuvoir. Tout ce que la théorie de la propulsion de la fusée peut nous dire est que si toutes les conditions règnent, alors le décollage sera un succès. La qualité de la théorie n'est pas diminuée pas son incapacité à prédire la date précise du lancement. 
  
          La même logique s'applique à l'économie. Nous pouvons donc rester confiants que, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation dans la demande du pain fera augmenter son prix. Cette conclusion est vraie et non approximative. Pour ce qui est de savoir si le prix augmente demain ou plus tard, cela ne peut être établi par la théorie de l'offre et de la demande. Devrions-nous abandonner la théorie parce qu'elle ne peut prédire le prix futur du pain? Selon Mises: 

          L'économie peut prédire les effets attendus d'un recours à des politiques économiques. Elle peut répondre à la question de savoir si une mesure est apte à atteindre les fins visées et dans la négative, de définir ce que seront les effets réels. Toutefois, bien évidemment, cette prédiction ne peut être que qualitative.(4)

          Le fait que les individus poursuivent consciemment des actions ayant un but nous procure une connaissance précise qui est toujours valide. Cette connaissance sert de fondement à un cadre cohérent permettant l'évaluation de l'état de l'économie. Au contraire, les analyses qui se basent uniquement sur des corrélations statistiques ne peuvent pas être d'une grande utilité, car elles sont sans fondement. Les experts en tous genres qui s'appuient sur ces statistiques pour commenter ne peuvent que répéter des données déjà connues.  
  
          Les modèles économétriques les plus sophistiqués ne sauraient être davantage utiles, car ils ne sont rien de plus qu'une collection de formules mathématiques établies par des méthodes statistiques. Et ces formules ne donnent qu'une description des divers indices économiques, elles ne disent rien de l'essence de l'activité économique. 
  


Hypothèses farfelues 
  
          De la même manière, nous devons rejeter toute interprétation basée sur des modèles théoriques « purs » qui trouvent leur fondement dans l'imagination des économistes. Un modèle qui n'a pas sa source dans la réalité ne peut prétendre expliquer le monde réel. Un tel modèle est le résultat d'un exercice futile. 
  
          Par exemple, afin d'expliquer la présente crise au Japon, le populaire économiste Paul Krugman utilise un modèle qui se base sur les prémisses suivantes: les individus sont identiques, ils ont une vie éternelle et la production est donnée(5). Or, bien qu'il admette que ses hypothèses soient irréalistes, il soutient néanmoins que ce modèle produira des solutions à ladite crise. 
  
          Il est intéressant de constater que la plupart des hommes et femmes d'affaires ayant réussi ne perdent pas de temps à consulter les diverses méthodes statistiques dans la conduite de leur entreprise. La clé de leur succès est une bonne compréhension de l'entreprise dans laquelle ils évoluent. En somme, ils savent ce qui arrivent à leur entreprise et sont toujours en contrôle. Un homme d'affaires qui sait ce qu'il fait n'a que faire des corrélations statistiques pour évaluer la direction future de la compagnie. 
  


Conclusion 
  
          La nature arbitraire des théories économiques populaires a répandu l'idée qu'il y a un gouffre entre la théorie et la pratique. Une distinction est établie entre une évaluation pratique et théorique. Des commentaires tels que « c'est une bonne théorie, toutefois je ne peux l'utiliser » sont légion. 
  
          Or, il n'y a rien de tel qu'une bonne mais inapplicable théorie. Pour être applicable, une théorie doit être construite à partir des faits de la réalité, c'est-à-dire que les êtres humains sont engagés dans des actions qui visent un but. Les économistes et autres experts financiers qui fondent leurs connaissances de l'économie uniquement sur des corrélations statistiques émanant de données historiques risquent de se tromper eux-mêmes et de tromper leur auditoire. De même façon, les économistes qui fondent leur compréhension sur des modèles imaginaires ne sont pas en position de dire quoi que se soit de signifiant, ils marmonnent tout simplement des propos incohérents. 
  
  

1. Milton Friedman, Essays in Positive Economics, Chicago, Chicago Universy Press, 1953, p. 7.  >>

2. Ibid., p.15.  >>

3. Préface de Murray N. Rothbard dans Theory and History de Ludwig von Mises, Auburn, Ala., The Ludwig von Mises Institute, 1985.  >>

4. Ludwig von Mises, The Ultimate Foundation of Economic Science, Kansas City, Sheed Andrews and McMeel, 1978, p. 67.  >>

5. Paul Krugman, Japan's Trap, May 1998, http://web.mit.edu/krugman/www/japtrap.html>>



Frank Shostak



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Frank Shostak fut professeur d’économie avant d’être le directeur de la recherche économique de M.F. Global. Cet article a d'abord été publié sous le titre Defining Inflation et a été traduit par André Dorais. Il est reproduit ici avec la  permission de l'auteur.




Frank Shostak est contributeur à 24hGold.com. Les vues présentées sont les siennes et peuvent évoluer sans qu’il soit nécessaire de faire une mise à jour.   Les articles présentés ne constituent en rien une invitation à réaliser un quelconque investissement.  L’auteur, 24hGold ainsi que toutes parties qui leur seraient directement ou indirectement liées peuvent, ou non, et à tout instant, investir ou vendre dans tous les actifs présentés dans ces colonnes. Tous droits réservés.




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