Plongée dans la crise et les dettes abyssales depuis cinq ans et les décisions politiques hasardeuses depuis plus de quarante, la Grèce continue d’alimenter la rubrique « Réanimation Post Mortem » des pages financières. Et actuellement, à mesure que les négociations avec ses créanciers patinent de façon bruyante, le scénario d’un défaut de paiement se rapproche encore, ce qui signifierait une probable sortie de la zone euro.
Tout comme les précédentes « réunions de la dernière chance », la tension apparaît monter tant du côté des autorités grecques qu’européennes, accréditant la thèse que la situation est sérieuse, quasiment désespérée, que trop c’est trop, que ça suffit à la fin et que ça ne se passera pas comme ça nom d’un petit bonhomme, scrogneugneu. Et tout comme les précédentes réunions, on serait donc logiquement en droit d’attendre un nouveau versement de secours, un nouveau ballon d’oxygène pour les Grecs et un énième compromis arraché de haute lutte à la dernière minute de la dernière heure, compromis un peu bancal mais pas trop permettant à tout notre petit monde politicien de montrer l’importance de ses prises de têtes (ils ont, encore une fois, sauvé le monde, les enfants, ouf !) et la fermeté des uns et des autres dans leurs positions.
Cependant, à la différence des fois précédentes, tout ceci se déroule sur un fond de marchés nerveux (les cours des actions sont complètement détachés de la réalité), et alors que la conjoncture est en train de se retourner : la croissance extrêmement fragile ne semble pas pouvoir résister devant les difficultés du marché chinois ou la baisse assez notable de la consommation un peu partout dans le monde (avec par exemple un Baltic Dry Index franchement bas) ; en outre, le fait que la production de pétrole soit nettement plus élevée que la demande et ce, depuis plusieurs mois, est indicatif d’un gros décalage entre consommation et production, et par extension, un bon indicateur de la santé réelle de l’économie.
Bref, les conditions générales ne semblent guère favorables ni à un compromis, ni même à une nouvelle aide dont on ne sait pas d’où elle sortira. Que voulez-vous, même si on peut imaginer une grosse quantité de tractations au niveau européen, à un moment ou un autre, quoi qu’il arrive, l’argent des autres vient à manquer.
Et justement, en parlant d’argent des autres, une sortie grecque de la zone Euro aurait quelques conséquences palpables pour les autres économies européennes. On peut imaginer plusieurs choses, notamment que la dette grecque soit annulée, ce qui laisserait une fière ardoise notamment pour les Français (entre 3000 et 4000 euros par foyer fiscal, selon différents calculs). Mais même sans imaginer un tel passage d’éponge, les conséquences, bien qu’indirectes, seraient probablement douloureuses.
Ainsi, on pourrait s’attendre à quelques tensions sur les marchés financiers, et notamment sur les bons du trésor des différents pays de la zone euro, tensions qui entraîneraient une remontée plus ou moins raide des taux d’intérêt. Au-dessus de 2.5%, plusieurs pays commenceraient à trouver l’addition salée, et à 3%, l’Italie, l’Espagne, le Portugal … et la France se trouveraient en fâcheuse posture. L’ampleur de la crise aidant, il ne serait guère surprenant que cette situation dure plusieurs semaines. Des défauts de paiement en cascade ne seraient alors pas à écarter.
Parallèlement, on assisterait à ce qu’on observe déjà actuellement en Grèce, à savoir à un « bank run » plus ou moins rapide, et plus ou moins discret. Il faut savoir en effet que, pendant que les négociations de marchand de tapis entre Grecs et autorités européennes continuent sous les yeux humides d’une presse nerveuse, le peuple grec, lui, retire tant qu’il le peut l’argent de ses banques, comme le mentionnait Charles Gave il y a quelques jours dans un excellent billet, information d’ailleurs confirmée par d’autres sources : malgré une limite de retrait à 300€ par jour et par déposant, des milliards sont déjà sortis des comptes courants et sont venus s’entasser dans des milliers de coffre-forts personnels.
L’attitude des Grecs n’est guère surprenante : ils ont rapidement compris que ce qui est arrivé à Chypre n’était qu’une répétition, et ils comprennent surtout que tout, actuellement, se met en place pour un sévère contrôle des capitaux chez eux. Au passage, si ça peut se passer comme ça en Grèce, cela peut très bien se passera ainsi en France. Après tout, la directive sur le redressement et la résolution des crises bancaires s’applique depuis le 1er janvier dernier, à tous les États membres (France comprise), et elle met en place le mécanisme qui fut justement testé à Chypre. Si l’on y ajoute l’interdiction de plus en plus étendue du liquide que Sapin et ses sbires tentent d’instaurer (l’actualité sur le prélèvement des impôts à la source rentrant d’ailleurs dans ces mesures de contrôle toujours plus fin des avoirs du cheptel à tondre), le tableau brossé ne fait aucun doute : le « chyprage » au niveau européen se rapproche.
Dès lors, on ne s’étonne plus d’apprendre que le marché automobile grec est en pleine effervescence avec des ventes qui ont augmenté de 43% en avril et de 23% en mai. L’argent qui sort est rapidement employé, thésaurisé sous forme d’achats avant de disparaître dans le gouffre d’un changement de dénomination (vers la drachme ?) suivi d’une inflation qu’on imagine sans mal galopante.
En plus des voitures, des biens immobiliers et de l’or, éternel refuge, on peut mentionner un autre bénéficiaire notable de ces arbitrages massifs : le Bitcoin, cette monnaie numérique qui ne repose sur aucune banque centrale et aucune autorité extérieure.
Eh oui : la monnaie digitale n’est pas morte, loin s’en faut. Ces derniers mois, son cours s’est passablement assagi puisqu’il a oscillé entre 220 et 250$ par bitcoin. Et à mesure que les tensions s’accumulent autour des îles grecques, la monnaie semble intéresser à nouveau un public de plus en plus au courant des avantages natifs que ce support offre pour rester à l’abri du prédateur étatique : mardi, bitcoin a atteint son plus haut depuis deux mois au-dessus de 250 dollars, niveau qu’elle a conservé mercredi.
Pour certains, le lien entre les événements grecs et les cours solides du Bitcoin ne fait guère de doute ; Joshua Scigala, dirigeant de la plateforme Vaultoro (qui permet d’échanger des bitcoins contre de l’or et inversement) explique ainsi le pic de connexions grecques observé sur son site ces deux derniers mois :
« Ils n’attendent pas que le gouvernement trouve un plan de sortie et se débrouillent tout seuls. Vous avez des gens qui s’inquiètent pour la fortune familiale, les économies de toute une vie, qui ont peur que leur argent soit coincé dans une banque… Ils préfèrent le garder dans un actif privé comme l’or ou le bitcoin. »
Pour mémoire, là encore, c’est exactement les comportements qu’on a observés pendant la crise monétaire à Chypre. Ceux qui ont eu l’idée de sortir leur argent liquide dans les jours qui ont précédé l’intervention des autorités européennes, et qui ont soit conservé les billets dans un coffre à portée de main, soit les ont converti en bitcoin dans la foulée, ont pu sauvegarder une partie de leurs avoirs. Les autres, on s’en souvient, ont subi une ponction arbitraire de 6 à 10%.
Au point où en est la Grèce, tout peut donc maintenant arriver. Et même si un compromis devait être trouvé, il ne sera, encore une fois, qu’une façon de repousser le problème de fond(s) : cette dette est impossible à rembourser, et les économies de la zone euro sont toutes si étroitement liées les unes aux autres que la moindre panique du côté grec touchera inévitablement toutes les autres. Dans ce contexte, l’or peut apparaître comme un refuge classique. Moins classique, mais d’autant plus pertinent à mesure que le dénouement final se rapproche et que les états se montrent de plus en plus intrusifs, l’option Bitcoin ne peut plus être ignorée.
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