Il est
désormais convenu, en sociologie, de distinguer trois types de
capital, c’est-à-dire de ressources accumulables
dont le contrôle conditionne la position de départ et la
progression ultérieure d’un acteur au sein du système
social : le capital économique, le capital culturel et le capital
social.
Le capital
économique correspond au patrimoine et donc aux richesses marchandes
accumulées sous la forme de monnaie, de capital financier et
immobilier, ainsi que d’objets de grande valeur.
Le capital
culturel, quant à lui, regroupe les biens culturels, le niveau de
langue et la culture générale, ainsi que les diplômes.
Enfin, le
capital social correspond au « carnet d’adresses »,
c’est-à-dire à un réseau de relations qui sont
autant de sources d’information et d’opportunités
d’accès.
Bien
qu’elle les distingue, la sociologie courante suppose
généralement que ces trois types de capital sont cumulatifs
– tous comme les inégalités qu’ils engendrent.
Concrètement,
les mêmes familles seraient à la fois riches, « cultivées »
(c’est-à-dire détentrices de la culture dominante,) et bien
connectées.
Plus encore,
un tel état de fait assurerait que le système social destine
sans trop en avoir l’air (par exemple à travers la
prétendue méritocratie scolaire) les membres de la classe
possédante / dominante aux fonctions les plus hautes, notamment
politiques, et ainsi que l’action de l’État s’exerce
au bénéfice des puissants – tout d’abord en
pérennisant ce système même. La boucle serait ainsi
bouclée.
Des nombreuses
critiques que l’on peut faire à une telle modélisation de
la vie sociale, je me limiterai ici à son oubli d’un type de
capital essentiel : le capital politique.
D’ordinaire,
cette expression de « capital politique » sert à
désigner la capacité d’un gouvernement à « faire
passer » les mesures qu’il entend en fonction de la
disposition de l’opinion à son égard.
Ainsi, un président
fraîchement élu est-il censé avoir les mains relativement
libres, fort de la légitimité qu’il vient de recevoir.
À l’inverse, un scandale sans rapport avec une
législation en cours de débat peut « affaiblir »
une équipe, c’est-à-dire diminuer son capital politique.
Il semble pourant que cette expression de capital politique serait
mieux utilisée si elle désignait une notion un peu
différente : la capacité relative de différents
groupes sociaux à faire agir l’État dans leur
intérêt, et donc à employer la force publique (et
à travers elle, le reste de la société) comme une
ressource.
Qu’est-ce
qui détermine le capital politique d’un groupe ? Sa
capacité à se mobiliser, tout d’abord; sa capacité
à nuire et/ou à servir au pouvoir qu’il essaie
d’influencer, ensuite ; sa capacité à légitimer
son action auprès du public, également.
À cet
égard, il n’est pas du tout certain que le capital politique
d’un groupe soit fonction (positive ou négative) de sa position
sociale.
Ainsi, bien
que plus riches peut-être, les patrons de PME ont certainement moins de
capital politique que les enseignants, par exemple. De même, bien
qu’ils en aient certainement plus besoin, les sans-domicile-fixes ont
certainement moins de capital politique que les employés de la SNCF.
Aux États-Unis,
les ouvriers de l’automobile ont démontré en 2008, tout
comme les grands banquiers, leur aptitude à bénéficier
de l’action de l’État.
En Californie
comme dans d’autres États, les fonctionnaires parviennent encore
à activer – jusqu’à la faillite publique – la
pompe à taxes et la machine à dettes. Dans le même temps,
nombre d’illégaux s’échinent en essayant, eux, de
faire le moins de bruit possible.
Bref,
l’État ne sert les groupes sociaux, ni selon un ordre
conventionnel de hiérarchisation économique et sociale, comme
s’il était un pantin aux mains des grands; ni par ordre de
besoin, comme s’il était le bienfaiteur des petits; mais par
ordre de pouvoir ou capital politique.
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