Gouverneur
de la Banque de France, Christian Noyer est réputé pour
pratiquer avec constance le double langage : rien ne transparaît
jamais dans ses propos publics de la réalité du monde financier
qu’il couvre d’un épais voile opaque. Il s’inscrit
ainsi dans la tradition bien établie des autorités politiques
françaises.
Le
Gouverneur vient de franchir un pas de plus en pratiquant l’art de la
menace, avertissant qu’il ne fallait pas « toucher à
la dette grecque », se comportant comme le véritable
protecteur de ses créanciers. Au prétexte s’apparentant
à un chantage que « si vous touchez malgré tout
à la dette et que vous provoquez un défaut ou un
événement de crédit, il faut vous préparer
à financer intégralement l’économie
grecque ».
Mais
son avertissement sans frais n’intervient-il pas trop tard,
l’agence Standard & Poor’s
n’ayant pas attendu que cet événement intervienne
pour dégrader de trois crans et d’un seul coup la note grecque,
au niveau le plus bas possible CCC, reléguant le pays au tout dernier
rang mondial, derrière les îles Fidji et la Jamaïque,
l’Argentine ou l’Équateur ? Il faut donc croire que l’événement
de crédit a déjà eu lieu, dont la définition
est d’entraîner une dégradation de la note par les
agences, le déclenchement des CDS n’étant quant à
lui pas encore intervenu. Pour le moins, nous sommes entrés dans des
eaux troubles, Standard & Poor’s
pratiquant l’art de la prophétie auto-réalisatrice.
L’objectif
poursuivi par le Gouverneur semble donc être de prendre en
défaut non pas la dette mais l’agence de notation, alors que les
ministres des finances de la zone euro se réunissent une fois de plus
et dans l’urgence, cette fin d’après-midi de mardi, pour
à nouveau tenter de dénouer la situation. Afin que
l’affrontement entre la BCE et l’Allemagne ne tourne pas au
vinaigre et que les chefs d’État et de gouvernement puissent la
semaine prochaine annoncer triomphalement un compromis lors de leur sommet.
Une
formule permettant de résoudre la quadrature du cercle, en
l’occurrence de restructurer la dette sans que cela prenne la forme
d’un événement de crédit, est pour ce faire
activement recherchée et la Commission de Bruxelles s’y emploie.
Jean-Claude Juncker parle de « restructuration douce et
volontaire », ce qui reste bien vague. « Nous ne sommes
pas aussi loin d’une solution commune que certains le
pensent » vient de déclarer à la Süddeutsche
Zeitung le commissaire Olli Rehn,
tout en se gardant bien d’énoncer celle-ci, faute de la
connaître.
Qu’est ce qu’un événement de
crédit et qui en décide est devenu la question au cœur
de toutes les discussions. La BCE a pris une longueur d’avance en
s’arrogeant le droit d’en statuer seule, se faisant ainsi
l’interprète suprême et de part
son statut indiscutable des marchés, prenant le risque de se
voir considérée comme étant plus royaliste que le
roi… Quant au caractère volontaire ou non des mesures qui
pourraient être finalement décidées, le secret des
alcôves et des antichambres le couvrira.
Si
la fermeté des Allemands – qui réclament un rééchelonnement
en bonne et due forme – vise à diminuer le montant de
l’aide financière immédiate que les États devront
apporter à nouveau, l’acharnement de la BCE à refuser
cette option est à portée à peine plus lointaine.
D’ici 2012, les principales banques européennes devront, selon
la Banque des règlements internationaux (BRI), lever 240 milliards
d’euros afin de satisfaire aux nouvelles normes et ratio de Bâle
III ; il faut donc dégager à leur intention un
marché financier trop encombré par les États, sommés
de réduire d’urgence leurs déficits pour emprunter moins.
D’autant que, prises entre ces nouvelles obligations
réglementaires et les effets d’une faible croissance
économique, ces mêmes banques voient déjà leurs
perspectives de rentabilité s’assombrir et qu’il ne faut
pas en rajouter.
La
BCE redoute particulièrement l’effet domino sur le
système bancaire européen d’un défaut grec, car
elle se trouverait en première ligne pour à nouveau le sauver,
alors que son bilan présente déjà tous les signes
d’un grand déséquilibre potentiel. Ce qui est en cause,
c’est rien de moins que la nécessité de mettre sur pied
l’équivalent du TARP, ce programme américain
financé par le Trésor et dont les Européens de la zone
euro n’ont même pas étudié
l’opportunité, laissant chaque État seul aux prises avec
son problème bancaire. Mais, dans le cas européen, la BCE
aurait seule les moyens de faire face, sauf à créer de nouveaux
importants besoins de financements des États, à
l’opposé de ce qu’elle recherche.
Dans
l’immédiat, elle a recommencé à davantage
prêter aux banques espagnoles, dont l’en-cours
auprès de la BCE a à nouveau dépassé le seuil de
50 milliards d’euros, ce qui illustre leurs difficultés
renouvelées à se financer sur le marché et une fois de
plus démontre que le cas de l’Espagne est loin
d’être réglé, où l’on pourrait
s’orienter vers des élections législatives
anticipées, donnant les rênes du pouvoir au Partido
Popular.
Vis-à-vis
de l’Irlande, et selon le Financial Times Deutschland,
la BCE arrondit autant que faire se peut les angles, utilisant la notation
avantageuse de la petite agence canadienne DBRS pour accorder à la
dette irlandaise la même valeur que celle de l’Allemagne ! Il y a
toujours de petits accommodements possibles avec le Seigneur… Car il ne
fait aucun doute que l’Irlande se prépare à son tour
à renégocier les conditions de son sauvetage anticipant le
besoin, comme la Grèce, d’une importante rallonge
financière.
Tant
que le problème du système bancaire européen ne sera pas
pris à bras le corps, la crise de la dette se poursuivra, sous les
apparences trompeuses de celle de la dette publique.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
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