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Dynamique de l’entêtement

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Published : June 15th, 2011
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Gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer est réputé pour pratiquer avec constance le double langage : rien ne transparaît jamais dans ses propos publics de la réalité du monde financier qu’il couvre d’un épais voile opaque. Il s’inscrit ainsi dans la tradition bien établie des autorités politiques françaises.


Le Gouverneur vient de franchir un pas de plus en pratiquant l’art de la menace, avertissant qu’il ne fallait pas « toucher à la dette grecque », se comportant comme le véritable protecteur de ses créanciers. Au prétexte s’apparentant à un chantage que « si vous touchez malgré tout à la dette et que vous provoquez un défaut ou un événement de crédit, il faut vous préparer à financer intégralement l’économie grecque ».


Mais son avertissement sans frais n’intervient-il pas trop tard, l’agence Standard & Poor’s n’ayant pas attendu que cet événement intervienne pour dégrader de trois crans et d’un seul coup la note grecque, au niveau le plus bas possible CCC, reléguant le pays au tout dernier rang mondial, derrière les îles Fidji et la Jamaïque, l’Argentine ou l’Équateur ? Il faut donc croire que l’événement de crédit a déjà eu lieu, dont la définition est d’entraîner une dégradation de la note par les agences, le déclenchement des CDS n’étant quant à lui pas encore intervenu. Pour le moins, nous sommes entrés dans des eaux troubles, Standard & Poor’s pratiquant l’art de la prophétie auto-réalisatrice.


L’objectif poursuivi par le Gouverneur semble donc être de prendre en défaut non pas la dette mais l’agence de notation, alors que les ministres des finances de la zone euro se réunissent une fois de plus et dans l’urgence, cette fin d’après-midi de mardi, pour à nouveau tenter de dénouer la situation. Afin que l’affrontement entre la BCE et l’Allemagne ne tourne pas au vinaigre et que les chefs d’État et de gouvernement puissent la semaine prochaine annoncer triomphalement un compromis lors de leur sommet.


Une formule permettant de résoudre la quadrature du cercle, en l’occurrence de restructurer la dette sans que cela prenne la forme d’un événement de crédit, est pour ce faire activement recherchée et la Commission de Bruxelles s’y emploie. Jean-Claude Juncker parle de « restructuration douce et volontaire », ce qui reste bien vague. « Nous ne sommes pas aussi loin d’une solution commune que certains le pensent » vient de déclarer à la Süddeutsche Zeitung le commissaire Olli Rehn, tout en se gardant bien d’énoncer celle-ci, faute de la connaître.


Qu’est ce qu’un événement de crédit et qui en décide est devenu la question au cœur de toutes les discussions. La BCE a pris une longueur d’avance en s’arrogeant le droit d’en statuer seule, se faisant ainsi l’interprète suprême et de part son statut indiscutable des marchés, prenant le risque de se voir considérée comme étant plus royaliste que le roi… Quant au caractère volontaire ou non des mesures qui pourraient être finalement décidées, le secret des alcôves et des antichambres le couvrira.


Si la fermeté des Allemands – qui réclament un rééchelonnement en bonne et due forme – vise à diminuer le montant de l’aide financière immédiate que les États devront apporter à nouveau, l’acharnement de la BCE à refuser cette option est à portée à peine plus lointaine. D’ici 2012, les principales banques européennes devront, selon la Banque des règlements internationaux (BRI), lever 240 milliards d’euros afin de satisfaire aux nouvelles normes et ratio de Bâle III ; il faut donc dégager à leur intention un marché financier trop encombré par les États, sommés de réduire d’urgence leurs déficits pour emprunter moins. D’autant que, prises entre ces nouvelles obligations réglementaires et les effets d’une faible croissance économique, ces mêmes banques voient déjà leurs perspectives de rentabilité s’assombrir et qu’il ne faut pas en rajouter.


La BCE redoute particulièrement l’effet domino sur le système bancaire européen d’un défaut grec, car elle se trouverait en première ligne pour à nouveau le sauver, alors que son bilan présente déjà tous les signes d’un grand déséquilibre potentiel. Ce qui est en cause, c’est rien de moins que la nécessité de mettre sur pied l’équivalent du TARP, ce programme américain financé par le Trésor et dont les Européens de la zone euro n’ont même pas étudié l’opportunité, laissant chaque État seul aux prises avec son problème bancaire. Mais, dans le cas européen, la BCE aurait seule les moyens de faire face, sauf à créer de nouveaux importants besoins de financements des États, à l’opposé de ce qu’elle recherche.


Dans l’immédiat, elle a recommencé à davantage prêter aux banques espagnoles, dont l’en-cours auprès de la BCE a à nouveau dépassé le seuil de 50 milliards d’euros, ce qui illustre leurs difficultés renouvelées à se financer sur le marché et une fois de plus démontre que le cas de l’Espagne est loin d’être réglé, où l’on pourrait s’orienter vers des élections législatives anticipées, donnant les rênes du pouvoir au Partido Popular.


Vis-à-vis de l’Irlande, et selon le Financial Times Deutschland, la BCE arrondit autant que faire se peut les angles, utilisant la notation avantageuse de la petite agence canadienne DBRS pour accorder à la dette irlandaise la même valeur que celle de l’Allemagne ! Il y a toujours de petits accommodements possibles avec le Seigneur… Car il ne fait aucun doute que l’Irlande se prépare à son tour à renégocier les conditions de son sauvetage anticipant le besoin, comme la Grèce, d’une importante rallonge financière.


Tant que le problème du système bancaire européen ne sera pas pris à bras le corps, la crise de la dette se poursuivra, sous les apparences trompeuses de celle de la dette publique.






Billet rédigé par François Leclerc



Paul Jorion




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.   

 

 

 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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