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Dynamiques américaines

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Paul Jorion.
Published : June 15th, 2010
1625 words - Reading time : 4 - 6 minutes
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Ce texte est un « article presslib’ » (*)



Tandis que l’Europe s’enlise en se débattant dans sa propre crise, plus discrètement les Etats-Unis connaissent un nouvel épisode de la leur, car inexorablement elle continue de se dérouler.

La fin de l’année fiscale qui se termine aux Etats-Unis au 30 juin va être marquée par un inquiétant constat. Sur les 50 Etats américains, 48 d’entre eux vont être en déficit, en dépit des coupes budgétaires qui ont déjà été effectuées et des aides fédérales qu’elles reçoivent. Or ces dernières doivent être arrêtées après le prochain exercice de 2011, pendant lequel elles vont être déjà fortement diminuées.

Le déficit cumulé des Etats devrait atteindre 300 milliards de dollars en juin 2010 et, selon les prévisions officielles, ne devrait que très progressivement décroître les années suivantes. A condition que la reprise économique soit au rendez-vous, favorisant les rentrées fiscales, une perspective sur laquelle tous les économistes ne s’accordent pas. Ce ne sera pas en tout cas la progression de l’emploi qui sera la cause d’une amélioration de ces rentrées, car elle ne se profile pas à l’horizon. Sur cette question au moins, il y a un consensus d’établi.

Les caisses de retraite des fonctionnaires des Etats fédérés enregistreraient quant à elles un déficit cumulé d’un millier de milliards de dollars.

Sans surprise, ce sont les Etats où sévit la plus forte crise immobilière qui sont les plus atteints. La Californie, mais aussi l’Arizona, la Floride et le Nevada. En Californie, la situation en est toujours à un stade critique, l’Etat le plus riche des Etats-Unis étant au bord de la banqueroute.

Ce n’est toutefois pas l’aspect financier de la situation qui est le plus préoccupant, mais ses conséquences budgétaires. La législation américaine impose en effet que les dépenses de fonctionnement ne peuvent pas être financées par l’emprunt, seuls les investissements étant susceptibles de l’être.

A la baisse constatée des recettes (elle sera globalement de 11% par rapport à l’année fiscale 2009) correspondent donc des coupes claires budgétaires d’un même montant, une fois déduites les aides fédérales. Elles affectent l’emploi en imposant la réduction des postes de fonctionnaires (alourdissant encore plus la charge des caisses de retraite), introduisant de nombreux dysfonctionnements dans les services (éducation, santé, police, etc …), réduisant les programmes sociaux, soit d’aide aux chômeurs, soit de santé publique, tel Medicaid (le programme dédié aux personnes en difficulté).

On parle régulièrement de la poursuite lancinante des faillites des banques régionales américaines, à un rythme double de celui de l’année précédente. Les informations les plus contradictoires sont données au jour le jour à propos du marché immobilier, comme au chevet d’un grand malade. Toujours déçues quand elles annoncent une amélioration. La situation des Etats fédérés est toute aussi alarmante.

Non seulement en raison de leurs lourdes conséquences, dans un pays déjà marqué par de profondes inégalités sociales (ainsi que raciales, qui se recoupent) et la grande pauvreté. Mais aussi à cause de son impact potentiel sur la reprise qui est actuellement enregistré ; car elle a pour origine des financements publics qui ne sont pas destinés à être renouvelés.

Simultanément, une grosse partie se joue à huis-clos à Washington. Depuis jeudi dernier se tient la conférence du Congrès qui a pour mission de réconcilier en un texte unique les lois de régulation financière votées successivement par la Chambre des députés et le Sénat, afin qu’elle soit promulguée par Barack Obama. Avant le 4 juillet prochain, est-il espéré, jour de la fête nationale (Independance Day).

Les travaux de la conférence, qui ne sont pas publics, semblent se tenir dans une grande confusion et incertitude, selon les informations qui en filtrent et les prises de position qu’ils occasionnent. Le sujet qui en est à l’origine n’est pas mince, puisqu’il s’agit rien de moins que du sort qui sera réservé aux produits dérivés.

On avait déjà eu l’occasion, avant de devoir se consacrer presque exclusivement à la crise européenne qui a accaparé l’actualité, de remarquer qu’un vent nouveau en faveur de mesures plus strictes soufflait au Sénat. Il s’est levé alors que s’approche l’échéance – très redoutée par les élus soumis au renouvellement de leurs mandats – des mid terms de novembre prochain. Sortez les sortants semble en effet être l’état d’esprit qui domine chez les électeurs américains, démocrates ou républicains, selon les sondages disponibles.

La manifestation la plus surprenante de cette nouvelle donne a été l’intégration par le Sénat dans la loi – au grand dam des mégabanques qui ont ferraillé contre elle comme cela ne s’est paraît-il jamais vu – d’un amendement d’une sénatrice de l’Arkansas, présidente de la commission des affaires agricoles, Blanche Lincoln. L’adoption de ce qui est devenu la section 716 de la loi, qui a depuis acquis le statut de célébrité, représente une importante correction à la fois au total laissez-faire qui prévalait jusqu’à maintenant sur ce marché, ainsi qu’aux nouvelles réglementations très lâches et pleines de trous adoptées par les représentants et en passe de l’être par les sénateurs.

Pour les mégabanques, il est estimé, sans pouvoir exactement le chiffrer, que cela représenterait une perte potentielle de plusieurs milliards de dollars de profits annuels.

Dans les grandes lignes, ces dispositions interdisent purement et simplement aux banques de poursuivre pour leur propre compte leurs activités de trading sur le marché des produits dérivés, sauf si elles agissent afin de couvrir leur portefeuille de prêts ou les opérations de leurs clients. Les obligeant pour le reste à agir via des filiales isolant cette activité. Un très substantiel renforcement des mesures déjà adoptées dans le cadre de ce que Barack Obama a lui-même appelé la Volcker’s rule (la réglementation Volcker, du nom d’un de ses conseillers, ancien président de la Fed). Qui étaient elles-même une pâle copie du Glass-Steagall Act de 1933 instituant une stricte séparation entre banques de dépôts et d’affaires.

Depuis, la sénatrice Blanche Lincoln, à qui peu de chances étaient données d’être désignée par les primaires démocrates de l’Arkansas pour les prochaines élections, opposée à un démocrate plus radical, l’a été de justesse. Ce qui a donné raison à tous ceux qui interprétaient sa nouvelle détermination au Sénat par des considérations électoralistes, et est par ailleurs très susceptible de donner des idées à tous les sénateurs placés devant la même échéance.

Nous devrions savoir d’ici au 24 juin prochain – date fixée pour la fin de la conférence – si les mégabanques parviendront ou non à avoir gain de cause et obtiendront qu’il soit revenu sur le vote du Sénat, dans le cadre d’un compromis à leur avantage. A noter qu’à l’inverse, certains sénateurs voudraient encore assouplir les dispositions interdisant aux banques d’avoir des hedge funds comme filiales.

Un autre aspect de la sanglante bataille en cours, qui se déroule plus à coup de millions de dollars que de tapis de bombes ou de charges de blindés, n’en est pas moins remarquable. Quelle que soient ses motivations, Blanche Lincoln a manifesté, et continue de le faire son cap électoral passé, une grande résolution, ainsi semble-t-il que ses collègues qui l’appuient. Elle a même reçu le renfort de deux gouverneurs de la Fed, alors que le président de celle-ci, ainsi que l’administration Obama et la Maison Blanche tentaient sans succès de faire barrage à ce qui était encore son amendement. L’un des arguments – non sans fondement – qui lui était opposé, principalement par Sheila Bair, en charge de la FDIC, était que cette mesure allait avoir pour conséquence de faire basculer tout ce secteur de l’activité financière dans la shadow economy, l’économie de l’ombre. Celle-ci présentée, si ce n’est comme un mal nécessaire mais tout du moins une réalité contre laquelle on ne peut lutter et qu’il ne faut pas renforcer. Justifiant paradoxalement de laisser les mégabanques jouer au casino, au prétexte qu’elles pourront au moins être un peu contrôlées. On en est là…

En réalité, les mesures préconisées par la sénatrice, et pour l’instant adoptées, prévoient également que quasiment tous les produits dérivés devraient passer par des chambres de compensation, ce qui n’était pas le cas dans les projets de la Chambre des représentants et du Sénat, avant son intervention. Le lobbying des mégabanques avait abouti à multiplier les exceptions à une règle qui de fait devenait marginale, attribuant au régulateur (la Fed), le pouvoir de désigner ceux de ces produits qui devraient utiliser les services de ces chambres de compensation et ceux qui ne seraient pas dans l’obligation de le faire. Un régime susceptible de tous les discrets accommodements.

Ces deux facettes de la crise vue des Etats-Unis ont d’étroits rapports entre eux. De quoi la dynamique de celle-ci, qui n’a pas fini de produire ses effets, va-t-elle être porteuse ? Une même inconnue prévaut en Europe, notamment au plan politique. D’un côté s’exprime la menace du Tea Party Movement, qui brouille les pistes du jeu politique traditionnel et est générateur d’aventures ; de l’autre de premiers résultats électoraux inquiétants témoignent de l’impasse qui est ressentie. Il n’y a pas que les marchés qui font preuve d’une grande volatilité.



Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).





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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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