Au cours de
cette série d’articles (1,
2,
3,
4),
nous avons pu constater que toute variation monétaire redistribuait le
pouvoir d’achat et
entraînait une restructuration de la production. Tant que la production
monétaire est soutenable – c’est-à-dire que la
production monétaire évolue en fonction de l’offre et de
la demande de monnaie par le marché — ces effets redistributifs et de restructuration peuvent être
considérés comme naturels. Par contre, les effets de Cantillon
qui résultent de l’offre croissante de moyens dits scripturaux
par les banques, souvent sous la forme de crédit, créent des
distorsions.
En fait,
l’injection de moyens scripturaux implique une augmentation des
promesses de paiement sans que l’offre monétaire de base
augmente à la même vitesse. Or, si le récepteur
d’un crédit n’est pas un producteur de monnaie, il doit se
procurer de quoi payer cette promesse par le biais de la production de biens
réels. L’idée derrière la création de
nouveaux moyens scripturaux est précisément de permettre aux
agents économiques d’exploiter leur potentiel productif sans
avoir besoin d’une épargne préalable,
c’est-à-dire, d’un capital réel dûment formé par une renonciation
temporaire de consommer immédiatement. Néanmoins, le manque
d’épargne additionnel dans une économie indique
clairement que les agents ne sont pas prêts à transférer
leur pouvoir d’achat aux investisseurs, mais plutôt aux biens de
consommation.
Le
crédit à la production donne du pouvoir d’achat aux
producteurs. Cet avantage doit cependant être justifié par une
demande plus forte pour leurs produits dans le futur. Or, l’absence
d’épargne supplémentaire de la part des individus indique
clairement que les consommateurs ne souhaitent pas attendre pour obtenir ces
produits mais les veulent maintenant. L’expansion des crédits
scripturaux résulte alors en un rapport de force entre producteurs et
consommateurs pour les ressources réelles disponibles. Les premiers
utilisent leur nouveau pouvoir d’achat scriptural pour attirer ces
ressources vers la production des secteurs primaires et intermédiaires
de l’économie (par exemple, la production de matières
premières, biens industriels, et la construction). Les consommateurs,
par contre, utilisent leur pouvoir d’achat pour consommer des
ressources réelles. Cette volonté consommatrice est
renforcée par le crédit consommateur et par la corrosion du
pouvoir d’achat des consommateurs résultante de la hausse des
prix initiée par les effets de Cantillon nés de ce rapport de
force. Les consommateurs sont donc incités à dépenser
leurs encaisses monétaires plus vite, pour ainsi éviter une
corrosion de leur pouvoir d’achat trop conséquente.
Les
investisseurs quant à eux reçoivent un pouvoir d’achat
artificiellement gonflé dans le présent. Ils devront cependant
le rembourser dans le futur, à un moment où leur pouvoir
d’achat risque d’être plus faible du fait de
l’inflation accumulée entretemps et d’un possible manque
d’intérêt des consommateurs pour leurs produits.
Néanmoins, ceci n’est pas visible dans un premier moment. La
hausse hétérogène des prix relatifs et la pression
consommatrice conduisent à des flux de trésorerie qui
compensent apparemment largement les
coûts d’exploitation calculés à leur valeur
historique. En outre, comme l’expansion scripturale s’accompagne
d’une baisse des taux d’intérêt, le coût
d’opportunité d’usage du capital devient plus bas. Les
investissements des producteurs semblent ainsi rentables.
Dans un premier
moment, les producteurs peuvent souvent compter des capacités de
productions oisives pour faire face à l’urgence de la pression
consommatrice. D’autres éléments permettent d’y
faire face comme le recours aux travailleurs immigrants ou les investissements
dans le secteur des services.
Cependant, tôt ou tard, la demande croissante de biens de
consommation doit nécessairement conduire à l’allongement
des processus de production afin de rendre une plus grande offre disponible.
Car pour ce faire, il devient nécessaire de produire plus
d’énergie, de moyens de télécommunications, de
biens de constructions, etc., ce qui nécessite des processus de
production longs.
Progressivement,
les coûts d’exploitation des producteurs augmentent plus vite que
leurs recettes et ils ont de plus en plus de mal à faire face à
leurs obligations financières. C’est ainsi que les
investissements envisagés sur des périodes trop longues
deviennent impossibles à soutenir faute de capital réel. Les
défauts de paiement se multiplient dans l’économie
forçant les banques à une contraction du crédit
scriptural. La crise s’installe et la pression consommatrice se
relâche, mais il est déjà trop tard. Une liquidation et
un réajustement douloureux de la structure de production deviennent alors
nécessaires.
Le
crédit sans épargne préalable crée
l’illusion qu’on peut soutenir des processus de production sans
avoir l’accord des consommateurs – qui le donnent en choisissant
de consommer moins pour
épargner et investir afin de consommer plus demain. Les effets de
Cantillon issus de ces variations de monnaie scripturale sont donc bien
différents des effets de Cantillon naturels au fonctionnement
d’une économie reposant sur des bases monétaires saines.
Ces derniers sont simplement la conséquence des échanges
réels entre agents économiques. Les autres créent une situation
illusoire où le pouvoir
d’achat pourrait être augmenté sans un effort
d’épargne et de production préalable à la
consommation effective.
Il devient
alors clair que les politiques monétaires visant à soutenir la
croissance ou à relancer l’économie par le biais
d’injections monétaires successives tendent plutôt
à redistribuer le pouvoir d’achat monétaire des agents
économiques tout en le réduisant.
En conclusion,
les effets de Cantillon sont des effets réels de redistribution du
pouvoir d’achat qui entraînent une modification de la structure
de production du fait d’une variation monétaire. Cela montre que
la monnaie n’est jamais entièrement neutre ni à court ni
à long terme. Nombre de « spécialistes »
négligent de prendre en compte ces effets et préfèrent
mener des politiques populaires à court terme mais qui appellent
à moyen terme des réajustements d’autant plus
sévères que le laxisme monétaire a été
important.
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