Les
effets de Cantillon ont été décrits pour la
première fois par Richard Cantillon (1680?-1734) dans son Essai sur la nature du commerce en
général. Il y examine les effets de l’afflux de métaux
précieux (lors de la découverte de l’Amérique) sur
le pouvoir d’achat des individus. Financier et entrepreneur (un autre
terme introduit en économie par Cantillon), il nous fournit un
témoignage intéressant d’une époque elle aussi marquée
par des crises financières.
La
description de Cantillon de ces effets est indispensable pour comprendre ce
qui se déroule encore aujourd’hui: une inflation-prix
différente d’un secteur à l’autre, la formation de
bulles et, ce qui est moins visible, la déformation de la structure de
production.
Pour
suivre le raisonnement de Cantillon, il faut bien saisir ce qu’en
économie on appelle la théorie de la valeur. Que
dit-elle ? Que lorsque l’offre d’un bien varie,
l’impact sur le pouvoir d’achat des individus n’est pas le
même suivant la position que chacun occupe dans le processus de
production. Les offreurs du bien – qui sont aussi ceux qui font
directement varier l’offre en l’augmentant ou la diminuant
– verront leur pouvoir d’achat décroître à la
marge au fur et à mesure que leur offre augmentera. En effet, pour
s’écouler, une offre supplémentaire de bien doit
être vendue à un prix moindre et le profit réalisé
est donc lui aussi en diminution. Dire qu’il y a baisse
à la marge, c’est simplement insister sur le fait que même
si le pouvoir d’achat augmente au total, du fait de la baisse du prix
des biens vendus, il n’augmente pas dans la même proportion.
Que
se passe-t-il du côté de ceux qui demandent le bien ? Si le
prix en question baisse alors leur pouvoir d’achat marginal va aussi
augmenter au fur et à mesure que l’offre augmentera elle aussi.
Cela revient à dire qu’avec la même quantité de
monnaie, ils pourront acquérir plus de biens et inversement.
Les
demandeurs ne sont cependant pas tous dans la même situation. En effet,
certains seront les premiers à acquérir le bien offert en plus
grande quantité tandis que d’autres n’y auront
accès qu’une fois que la quantité augmentée aura
déjà baissée du fait des premiers achats. Les premiers
bénéficieront d’une baisse plus importante que les
seconds.
La
monnaie, étant un bien comme les autres, c’est-à-dire,
demandée et évaluée dans les marchés, est
affectée par les mêmes effets redistributifs
à la différence près qu’elle a tendance, de par sa
nature, à circuler indéfiniment dans les marchés. Par
conséquent, un demandeur d’encaisses monétaires
aujourd’hui peut se retrouver dans la position d’offreur
d’encaisses demain. C’est souvent le cas des salariés et
des producteurs de biens et services. Or, cette circulation monétaire
va exacerber les effets redistributifs des
variations de l’offre monétaire dans l’économie.
Il
est vrai que lorsque l’offre de monnaie augmente, ceci entraîne une
tendance à la baisse du pouvoir d’achat marginal de la monnaie.
Néanmoins, le pouvoir d’achat total peut augmenter tant que son
rendement marginal reste supérieur à son coût marginal de
production. Les producteurs de monnaie, du fait qu’ils vont être
en mesure de demander davantage de biens et services, suscitent une pression
à la hausse du prix des biens en question. Ceci déclenche une
nouvelle vague de hausse des prix puisque ceux qui leur ont vendu les biens
ont maintenant un pouvoir d’achat supplémentaire dont ils se
servent pour acquérir d’autres biens. En bout de ligne, nombre
de demandeurs n’obtiendront pas de monnaie supplémentaire et
devront néanmoins acheter leurs biens à des prix plus
élevés. Leur pouvoir d’achat est ainsi diminué. Les
effets redistributifs ne s’arrêtent pas
là car les producteurs qui peuvent bénéficier de
l’augmentation des encaisses monétaires voient leur pouvoir
d’achat total augmenter par rapport à celui de leurs concurrents.
La
pression inflationniste se transmet ainsi par vagues successives en fonction
des achats et des ventes de produits de ceux qui obtiennent la monnaie
créée. Le pouvoir d’achat additionnel de ceux qui
reçoivent cette nouvelle monnaie diminue cependant au fur et à
mesure qu’elle circule dans le système et augmente le prix des
biens.
Si
la création de monnaie a consisté en une seule injection, alors
les producteurs de monnaie et les premiers bénéficiaires de
celle-ci verront in fine leur pouvoir d’achat additionnel
neutralisé par l’inflation généralisée des
prix. Cette neutralisation peut cependant prendre du temps et la monnaie se
concentrer sur certains marchés où les prix y augmenteront plus
vite qu’ailleurs. L’inflation des prix ne deviendra alors
homogène qu’au fur et à mesure que ces nouvelles
encaisses concentrées sur ces marchés spécifiques déborderont
progressivement sur d’autres marchés.
Toute
injection supplémentaire de monnaie reproduira ce processus redistributif et entraînera une hausse des prix
encore plus élevée. Par conséquent, les injections successives
de monnaie vont graduellement éroder le pouvoir d’achat
monétaire de tous les agents de l’économie. Or, les
producteurs de monnaie ne peuvent pas continuer ce processus à
l’infini. Les autres agents économiques risquent, en effet,
d’abandonner la monnaie inflationniste et auront recours à
d’autres alternatives plus tangibles. C’est-ce que Ludwig von Mises appelait la « fuite vers des valeurs
réelles ». Ces valeurs réelles, comme on l’a
vu lors de mon dernier
billet, ne sont rien d’autre que les biens qui sont l’objet des ces échanges entre individus.
Ainsi,
la production de monnaie n’est pas sans effet sur le pouvoir
d’achat des individus et ce que montre Cantillon, c’est que ceux qui
se trouvent en amont de cette production ou création en sont au moins
bénéficiaires dans un premier temps. Ceux qui sont en bout de
ligne se retrouvent perdants. Cette redistribution du pouvoir d’achat a
un effet sur la structure de l’économie qui s’en trouve
changée. C’est ce que nous allons voir dans le prochain article.
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