Effets de Cantillon et pouvoir d’achat

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From the Archives : Originally published October 01st, 2012
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Les effets de Cantillon ont été décrits pour la première fois par Richard Cantillon (1680?-1734) dans son Essai sur la nature du commerce en général. Il y examine les effets  de l’afflux de métaux précieux (lors de la découverte de l’Amérique) sur le pouvoir d’achat des individus. Financier et entrepreneur (un autre terme introduit en économie par Cantillon), il nous fournit un témoignage intéressant d’une époque elle aussi marquée par des crises financières.  


La description de Cantillon de ces effets est indispensable pour comprendre ce qui se déroule encore aujourd’hui: une inflation-prix différente d’un secteur à l’autre, la formation de bulles et, ce qui est moins visible, la déformation de la structure de production.


Pour suivre le raisonnement de Cantillon, il faut bien saisir ce qu’en économie on appelle la théorie de la valeur. Que dit-elle ? Que lorsque l’offre d’un bien varie, l’impact sur le pouvoir d’achat des individus n’est pas le même suivant la position que chacun occupe dans le processus de production. Les offreurs du bien – qui sont aussi ceux qui font directement varier l’offre en l’augmentant ou la diminuant – verront leur pouvoir d’achat décroître à la marge au fur et à mesure que leur offre augmentera. En effet, pour s’écouler, une offre supplémentaire de bien doit être vendue à un prix moindre et le profit réalisé est donc lui aussi en diminution. Dire qu’il y a baisse à la marge, c’est simplement insister sur le fait que même si le pouvoir d’achat augmente au total, du fait de la baisse du prix des biens vendus, il n’augmente pas dans la même proportion.


Que se passe-t-il du côté de ceux qui demandent le bien ? Si le prix en question baisse alors leur pouvoir d’achat marginal va aussi augmenter au fur et à mesure que l’offre augmentera elle aussi. Cela revient à dire qu’avec la même quantité de monnaie, ils pourront acquérir plus de biens et inversement. 


Les demandeurs ne sont cependant pas tous dans la même situation. En effet, certains seront les premiers à acquérir le bien offert en plus grande quantité tandis que d’autres n’y auront accès qu’une fois que la quantité augmentée aura déjà baissée du fait des premiers achats. Les premiers bénéficieront d’une baisse plus importante que les seconds.


La monnaie, étant un bien comme les autres, c’est-à-dire, demandée et évaluée dans les marchés, est affectée par les mêmes effets redistributifs à la différence près qu’elle a tendance, de par sa nature, à circuler indéfiniment dans les marchés. Par conséquent, un demandeur d’encaisses monétaires aujourd’hui peut se retrouver dans la position d’offreur d’encaisses demain. C’est souvent le cas des salariés et des producteurs de biens et services. Or, cette circulation monétaire va exacerber les effets redistributifs des variations de l’offre monétaire dans l’économie.


Il est vrai que lorsque l’offre de monnaie augmente, ceci entraîne une tendance à la baisse du pouvoir d’achat marginal de la monnaie. Néanmoins, le pouvoir d’achat total peut augmenter tant que son rendement marginal reste supérieur à son coût marginal de production. Les producteurs de monnaie, du fait qu’ils vont être en mesure de demander davantage de biens et services, suscitent une pression à la hausse du prix des biens en question. Ceci déclenche une nouvelle vague de hausse des prix puisque ceux qui leur ont vendu les biens ont maintenant un pouvoir d’achat supplémentaire dont ils se servent pour acquérir d’autres biens. En bout de ligne, nombre de demandeurs n’obtiendront pas de monnaie supplémentaire et devront néanmoins acheter leurs biens à des prix plus élevés. Leur pouvoir d’achat est ainsi diminué. Les effets redistributifs ne s’arrêtent pas là car les producteurs qui peuvent bénéficier de l’augmentation des encaisses monétaires voient leur pouvoir d’achat total augmenter par rapport à celui de leurs concurrents.


La pression inflationniste se transmet ainsi par vagues successives en fonction des achats et des ventes de produits de ceux qui obtiennent la monnaie créée. Le pouvoir d’achat additionnel de ceux qui reçoivent cette nouvelle monnaie diminue cependant au fur et à mesure qu’elle circule dans le système et augmente le prix des biens.


Si la création de monnaie a consisté en une seule injection, alors les producteurs de monnaie et les premiers bénéficiaires de celle-ci verront in fine leur pouvoir d’achat additionnel neutralisé par l’inflation généralisée des prix. Cette neutralisation peut cependant prendre du temps et la monnaie se concentrer sur certains marchés où les prix y augmenteront plus vite qu’ailleurs. L’inflation des prix ne deviendra alors homogène qu’au fur et à mesure que ces nouvelles encaisses concentrées sur ces marchés spécifiques déborderont progressivement sur d’autres marchés.


Toute injection supplémentaire de monnaie reproduira ce processus redistributif et entraînera une hausse des prix encore plus élevée. Par conséquent, les injections successives de monnaie vont graduellement éroder le pouvoir d’achat monétaire de tous les agents de l’économie. Or, les producteurs de monnaie ne peuvent pas continuer ce processus à l’infini. Les autres agents économiques risquent, en effet, d’abandonner la monnaie inflationniste et auront recours à d’autres alternatives plus tangibles. C’est-ce que Ludwig von Mises appelait la « fuite vers des valeurs réelles ». Ces valeurs réelles, comme on l’a vu lors de mon dernier billet, ne sont rien d’autre que les biens qui sont l’objet des ces échanges entre individus.


Ainsi, la production de monnaie n’est pas sans effet sur le pouvoir d’achat des individus et ce que montre Cantillon, c’est que ceux qui se trouvent en amont de cette production ou création en sont au moins bénéficiaires dans un premier temps. Ceux qui sont en bout de ligne se retrouvent perdants. Cette redistribution du pouvoir d’achat a un effet sur la structure de l’économie qui s’en trouve changée. C’est ce que nous allons voir dans le prochain article.


 

 

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Gabriel A. Giménez-Roche est professeur et responsable du département économie du Groupe ESC Troyes et maître de conférences à Sciences Po Paris. Son domaine de recherche est l'analyse économique de l'entrepreneuriat et son contexte socio-institutionnel. Il est également chercheur associé de l’Institut économique Molinari.
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