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3.
L’euro, “proxy” de
l’étalon-or (ou pourquoi les défenseurs de la libre
entreprise et de la liberté du marché doivent appuyer
l’euro tant que la seule autre option sera le retour au nationalisme
monétaire)
Les
économistes de l’Ecole Autrichienne, nous l’avons vu, sont
partisans de l’étalon-or parce qu’il freine et limite
l’arbitraire des politiques et gouvernants : il discipline le
comportement de tous les agents impliqués dans le processus
démocratique et incite les individus à une action
ordonnée et morale. C’est, en somme, un frein au mensonge et
à la démagogie, car il propage et facilite la transparence et
la vérité dans les relations sociales. Ni plus ni moins. Mises
l’a sans doute exprimé mieux que quiconque : « The gold standard makes the
determination of money’s purchasing power independent of the changing
ambitions and doctrines of political parties and pressure groups. This is not
a defect of the gold standard, it is its main
excellence » (Miss 1966, 474).
Or la
création de l’euro en 1999 et sa mise en place définitive
en 2002 ont supposé la disparition du nationalisme monétaire et
des taux de change flexibles dans la plus grande partie de l’Europe
continentale. Nous parlerons plus loin des erreurs commises par la Banque
Centrale Européenne. Il s’agit maintenant de constater la
façon dont les différents Etats de l’Union
Monétaire ont cédé et perdu complètement leur
autonomie monétaire, c’est-à-dire la possibilité
de manipuler leur monnaie locale et de la mettre au service des besoins
politiques conjoncturels. En ce sens, l’euro a dès lors agi, du
moins pour les pays de la zone euro, d’une manière très
semblable à celle dont agissait, en son temps,
l’étalon-or. C’est pourquoi l’euro doit être
considéré comme un réel équivalent,
quoiqu’imparfait, de l’étalon-or. C’est
d’ailleurs avec l’avènement de la Grande Récession
de 2008 que la capacité de discipline de l’euro s’est
manifestée le plus clairement à tous : pour la
première fois, les pays de l’Union Monétaire ont dû
faire face à une profonde récession économique sans
politique monétaire autonome. Jusqu’à l’adoption de
l’euro, les gouvernements et banques centrales adoptaient
invariablement, en cas de crise, les mêmes mesures : ils
injectaient toute la liquidité nécessaire, laissaient flotter
à la baisse et dépréciaient la devise locale,
différaient indéfiniment les douloureuses réformes
structurelles de libéralisation économique, de
dérégulation, de flexibilisation des prix et marchés (en
particulier du travail), de réduction de la dépense publique et
de repli et démantèlement du pouvoir syndical et de
l’Etat-providence. Avec l’euro, et malgré toutes les
erreurs, faiblesses et concessions dont nous parlerons, ces fuites
inconscientes en avant ne sont plus possibles.
Ainsi, par
exemple, en Espagne, deux gouvernements successifs ont été
littéralement obligés, en l’espace d’un an, de
prendre une série de mesures qui, bien qu’encore insuffisantes,
auraient été considérées jusqu’ici comme
utopiques et politiquement impossibles, même par les observateurs les
plus optimistes : 1º- Le principe anti-keynésien de la
stabilité et de l’équilibre budgétaires a
été introduit dans l’article 135 de la
Constitution ; il concerne le gouvernement central, les
communautés autonomes et les municipalités ; 2º- Tous
les projets pharaoniques d’augmentation des dépenses publiques,
d’achat de votes et de subventions sur lesquels les gouvernants
fondaient habituellement leur popularité et leur action
politique ont été brusquement interrompus ; 3º-
Tous les fonctionnaires ont vu leurs traitements réduits de 5 pour
cent, puis congelés, tandis que leur temps de travail
augmentait ; 4º- Les pensions de la Sécurité Sociale
ont été congelées en pratique ; 5º-
L’âge normal de la retraite est passé de 65 à 67
ans ; 6º- la dépense publique budgétisée a
été réduite de 15 pour cent ; et 7º- le
marché du travail, les horaires commerciaux et, en
général, la règlementation économique ont
été nettement libéralisés.[i] Ce
qui s’est produit en Espagne se répète en Irlande, au
Portugal, en Italie et même dans des pays qui, comme la Grèce,
étaient jusqu’à présent des modèles de
relâchement social, d’absence de rigueur budgétaire et de
démagogie politique.[ii] En
outre, les chefs politiques de ces cinq pays, ne pouvant pas manipuler la
politique monétaire pour cacher au public le coût
véritable de leurs politiques, ont été expulsés
sans ménagements de leurs gouvernements respectifs. Et même, des
Etats qui, comme la Belgique et, surtout, la France et la Hollande semblaient
jusqu’ici à l’abri de la vague réformatrice,
commencent eux aussi à devoir reconsidérer les fondements
mêmes du volume de leur dépense publique et de la structure
d’un état-providence hypertrophié. Tout cela est
indiscutablement dû au nouveau cadre monétaire introduit par
l’euro que tous les défenseurs de la libre entreprise et de la
limitation des pouvoirs du gouvernement doivent donc juger favorablement et
avec optimisme. Car il est difficile de concevoir qu’on ait pu prendre
de telles mesures dans un contexte de monnaie nationale et de taux de change
flexibles : les politiques fuient, dès qu’ils le peuvent,
les réformes impopulaires et le public tout ce qui implique sacrifice
et discipline. C’est pourquoi, sans l’euro, on aurait
assisté à ce qui était habituel jusqu’à
lors : une fuite en avant consistant à augmenter
l’inflation, déprécier la monnaie pour gagner à
court terme en compétitivité et récupérer le
« plein emploi » (en protégeant les syndicats,
véritables responsables du chômage) et, en somme, à
différer indéfiniment les réformes structurelles
nécessaires.
Il convient
ici de signaler deux différences significatives de l’euro par
rapport, d’une part, au système de monnaies nationales
liées entre elles par des taux de change fixes et, de l’autre,
à l’étalon-or. Sur ce second point, il faut souligner
qu’une sortie de l’euro présente beaucoup plus de
difficultés que n’en supposa l’abandon de
l’étalon-or. Les monnaies liées à l’or, en
effet, conservaient leur dénomination locale (franc, livre, etc.), de
sorte qu’il fut assez facile, durant les années trente du
XXº siècle, de rompre l’ancrage à l’or, car
les agents économiques continuèrent, selon le
théorème régressif de la monnaie énoncé
par Mises en 1912 (Mises 2012, 83-134), d’utiliser la monnaie
nationale, qui n’était plus convertible en or, en
s’appuyant sur la capacité acquisitive qu’elle
possédait juste avant la réforme. Cette possibilité est
aujourd’hui fermée pour les pays qui désirent, ou
doivent, abandonner l’euro. Etant la seule dénomination
monétaire commune à tous les pays de l’Union
Monétaire, son abandon exige l’introduction d’une nouvelle
monnaie locale, à capacité acquisitive beaucoup plus faible et
inconnue, ce qui sera cause de troubles énormes pour tous les agents
économiques du marché : débiteurs,
créanciers, investisseurs, entrepreneurs, travailleurs.[iii]
Il faut au moins reconnaître, sur ce point précis, et selon la
perspective autrichienne, que l’euro l’emporte sur
l’étalon-or, et qu’il aurait été très
utile que, dans les années trente du XXº siècle, les
différents pays concernés fussent obligés de conserver
l’étalon-or, parce que, comme c’est aujourd’hui le
cas pour l’euro, toute autre option était irréalisable en
pratique et devait avoir des conséquences et des effets beaucoup plus
nocifs, douloureux et manifestes pour la société.
Il est quelque
peu comique (et pathétique) de constater que la légion
d’ingénieurs sociaux et politiques interventionnistes qui,
dirigés autrefois par Jacques Delors, conçurent la monnaie
unique comme un instrument supplémentaire de leurs projets grandioses
d’union politique européenne, assistent aujourd’hui avec
désespoir à ce qu’ils n’avaient nullement
prévu, car l’euro a agi de
facto comme l’étalon-or : il a discipliné
société, politiques et gouvernants, neutralisé les
démagogues et démasqué les groupes de pression
(dirigés par les syndicats, invariablement privilégiés)
et même contesté la durabilité et les fondements de
l’Etat-providence.[iv]
C’est justement en cela que consiste, selon l’Ecole Autrichienne,
le principal avantage comparatif de l’euro en tant
qu’étalon monétaire, en particulier face au nationalisme
monétaire ; et non pas dans les arguments plus prosaïques
qui, comme celui de « la réduction des coûts de
transaction » ou « l’élimination du risque
cambiaire », ont été utilisés en leur temps
par les ingénieurs sociaux, indéfectiblement myopes.
Notre second
commentaire concerne la différence entre l’euro et un
système de taux de change fixes, en cas d’ajustement
provoqué par l’apparition de différents degrés
d’expansion de crédit et d’intervention entre les divers
pays. Dans le système de taux fixes, ces différences se
manifestent, naturellement, par de fortes tensions sur les taux de change qui
aboutissent, le cas échéant, à des dévaluations
explicites, lesquelles entraînent, fort heureusement, le
discrédit des responsables politiques correspondants. Dans le cas
d’une monnaie unique, comme l’euro, ces tensions se manifestent
par une perte généralisée de
compétitivité. Celle-ci ne peut être récupérée
que si l’on procède aux réformes structurelles requises
pour garantir la flexibilité des marchés et la
dérégulation de tous les secteurs ainsi que les chutes et
ajustements nécessaires dans la structure des prix relatifs. Tout cela
affecte, en outre, les recettes de chaque secteur public et leur cote de
crédit. De fait, la cotation de la dette publique souveraine de chaque
pays sur les marchés financiers recueille aujourd’hui, dans la
zone euro, les tensions qui se reflétaient traditionnellement dans les
crises des taux de change, lorsque ceux-ci étaient plus ou moins fixes
dans un contexte de nationalisme monétaire. C’est pourquoi, le
rôle principal n’appartient plus actuellement aux
spéculateurs en devises, mais aux agences de notation et, surtout, aux
investisseurs internationaux qui, en achetant ou n’achetant pas de
dette souveraine, marquent salutairement le rythme des réformes et
disciplinent et dictent le sort de chaque pays. L’on dira que cela
« n’est pas démocratique » mais
c’est, en réalité, tout le contraire. La
démocratie était régulièrement viciée par
l’action politique irresponsable fondée sur la manipulation
monétaire et l’inflation, véritable impôt aux
effets dévastateurs qui, en marge du parlement, s’imposait
à la société de façon progressive et sournoise.
Aujourd’hui et grâce à l’euro, le recours à
l’impôt inflationniste est bloqué dans chaque pays, du
moins au niveau local, et les politiques ont été soudain
démasqués, obligés de dire la vérité et
d’assumer l’usure que cela suppose. La démocratie a besoin
pour fonctionner d’un cadre qui discipline les agents qui y
participent. Et ce rôle est aujourd’hui assumé, en Europe
Continentale, par l’euro. La chute successive des gouvernements
irlandais, grec, portugais, italien et espagnol, loin de prouver un
déficit démocratique, montre le degré croissant de
rigueur, transparence budgétaire et santé démocratique
que l’euro fait naître dans leurs sociétés
respectives.
A
suivre
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