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En défense de l’Euro V – L’Euro face au dollar (et à la livre)

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Published : August 08th, 2012
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6.      L’euro face au dollar (et à la livre) et l’Allemagne face aux Etats unis (et au Royaume-Uni)




L’un des aspects les plus notables du dernier cycle, qui s’est terminé par la Grande Récession de 2008, est, sans aucun doute, le comportement divergent des politiques monétaires et fiscales de la zone anglo-saxonne, fondées sur le nationalisme monétaire, et de celles menées par les pays de l’Union Monétaire Européenne. A partir de la crise financière et de la récession économiques apparues en 2007-2008, la Réserve Fédérale aussi bien que la Banque d’Angleterre ont entamé des politiques monétaires consistant à réduire pratiquement à zéro les taux d’intérêt ; consistant aussi dans l’injection massive de moyens de paiement, euphémiquement appelée « quantitative easing », et dans la monétisation massive et continue, directe et sans scrupule, de la dette publique souveraine.[1] A cette politique monétaire très laxiste (dominée à la fois par les recommandations monétaristes et keynésienne) s’ajoute le stimulant fiscal énergique que suppose le maintien, tant aux Etats Unis qu’en Angleterre, de déficits budgétaires représentant environ 10 pour cent de leurs Produits Intérieurs Bruts respectifs (considérés cependant comme très insuffisants, du moins par les keynésiens les plus récalcitrants comme Krugman et d’autres).


Fort heureusement, et à la différence de ce qui se passe avec le dollar et la livre, l’injection monétaire, dans la zone euro, n’est pas aussi facile à réaliser et le désordre budgétaire ne peut pas s’y maintenir aussi impuni indéfiniment. La Banque Centrale Européenne n’est pas compétente, du moins en théorie, pour monétiser la dette publique européenne. Elle l’a certes acceptée comme collatéral de ses prêts massifs au système bancaire, et a même acquis directement et sporadiquement, à partir de l’été 2011, des bons des pays périphériques les plus menacés (Italie, Espagne), mais il existe une différence économique fondamentale entre la façon d’agir des Etats Unis et de l’Angleterre et la politique menée en Europe Continentale : alors que le monde anglo-saxon pratique délibérément et sans scrupule l’agression monétaire et le désordre budgétaire, ce genre de politiques sont menées en Europe « à contrecoeur », après des « sommets » successifs, multiples, et interminables ; elles sont le fruit de négociations longues et difficiles et, ce qui est plus important, les injections monétaires et l’appui à la dette des pays en difficulté sont toujours dosés et réalisés en échange de réformes fondées sur l’austérité budgétaire (et pas sur la stimulation fiscale) et l’introduction de politiques d’offre qui favorisent la libéralisation et la compétitivité des marchés.[2] Et, quoiqu’elle eût dû avoir lieu bien plus tôt, la suspension de paiements de facto de l’Etat grec, qui a obtenu une remise de dette (« hair cut ») de près de 75 pour cent de la part des investisseurs privés ayant confié à tort en sa dette, a lancé un signal incontournable aux marchés : ce dernier ne laisse d’autre issue aux autres pays en difficulté que d’affronter avec rigueur, énergie et sans perte de temps toutes les réformes nécessaires. Nous l’avons vu, même dans des Etats comme la France, apparemment intouchables et installés dans un système d’Etat-providence hypertrophié, le crédit de la dette n’obtient plus la cote maximale, le différentiel avec le Bund allemand a augmenté et il a fallu récemment entreprendre des réformes d’austérité et de libéralisation pour que leur appartenance, indiscutable jusqu’ici, au « noyau dur » de la zone euro ne soit pas menacée.[3]


Du point de vue politique, la direction de l’Allemagne (en particulier de son chancelier Angela Merkel), promoteur de tout ce processus d’assainissement et d’austérité (s’opposant à toute proposition maladroite qui, comme l’émission de « bons européens », éliminerait la disposition actuelle des divers pays à agir avec rigueur), ne fait aucun doute. Elle agit souvent contre vents et marées, car les pressions politiques internationales favorables à la stimulation fiscale sont constantes, en particulier de la part de l’Administration américaine de Barak Obama, qui utilise la « crise de l’euro » comme écran de fumée pour dissimuler l’échec de ses propres politiques. D’autre part, elle se heurte à l’incompréhension et au rejet de la part de tous ceux qui ne désirent rester dans l’euro que dans la mesure où cela les favorise, et se rebellent violemment contre la discipline amère que la monnaie unique nous impose à tous, et en particulier aux politiques démagogues et aux groupes d’intérêt privilégiés les plus irresponsables.


Il faut en tout cas souligner, en guise d’illustration et au grand regret des keynésiens et monétaristes, le résultat très inégal obtenu jusqu’ici par les politiques américaines de stimulation fiscale et de « quantitative easing », par comparaison avec celui des politiques allemandes d’offre et de relative austérité fiscale, dans le contexte monétaire de l’euro : déficit public, 1% en Allemagne, plus de 8,20% aux Etats-Unis ; chômage, 6,9% en Allemagne, près de 9% aux Etats-Unis ; inflation, 2,5 % en Allemagne, plus de 3,17 % aux Etats-Unis ; croissance, 3% en Allemagne, 1,7% aux Etats-Unis (les paramètres de l’Angleterre rappellent en pire ceux des Etats-Unis). Le conflit des paradigmes et le contraste des résultats ne peuvent être plus évidents.[4]




6.     Conclusion : Hayek versus Keynes

7.    

Nombreux sont aujourd’hui ceux qui critiquent et haïssent l’euro, comme autrefois l’étalon-or, à cause de ce qui est en réalité sa principale vertu : sa capacité à discipliner les politiques gaspilleurs et les groupes de pression. Il est évident que l’euro n’est nullement l’étalon monétaire idéal, qui exigerait un étalon-or classique, un coefficient de caisse de 100 pour cent pour les dépôts à vue et l’abolition de la Banque Centrale.  Il est ainsi très possible qu’au bout d’un certain temps, le souvenir des derniers évènements monétaires et financiers s’étant estompé, la Banque Centrale retombe dans ses graves erreurs et promeuve une nouvelle bulle d’expansion de crédit.[5] Mais il ne faut pas oublier que les péchés de la Réserve Fédérale et de la Banque d’Angleterre ont été bien pires et que l’euro a mis fin, au moins en Europe Continentale, au nationalisme monétaire et agit pour les Etats de l’Union Monétaire, même timidement, comme un « proxy » de l’étalon-or, favorise la rigueur budgétaire et les réformes tendant à améliorer la compétitivité et limite les abus de l’Etat-providence et de la démagogie politique.


Il faut reconnaître, en tout cas, que nous nous trouvons à un moment historique.[6] De la survie de l’euro dépendra que l’Europe internalise et fasse sienne la traditionnelle stabilité monétaire allemande, seul et indispensable cadre disciplinant qui permette de continuer à stimuler la compétitivité et la croissance de l’Union Européenne à court et moyen terme. Au niveau mondial, la survie et la consolidation de l’euro permettra, pour la première fois depuis la deuxième Guerre Mondiale, l’apparition d’une devise capable de rivaliser efficacement avec le monopole du dollar comme monnaie de réserve internationale et, donc, de discipliner la capacité américaine à relancer des crises financières systémiques qui, comme celle de 2007, mettent en péril l’ordre économique mondial.


Il y a un peu plus de quatre-vingts ans, le monde se trouva dans une situation semblable à celle d’aujourd’hui : il se débattait entre, d’une part, le maintien de l’étalon-or, de l’austérité budgétaire, d’un marché du travail flexible et du commerce libre et pacifique et, d’autre part, l’abandon de l’étalon-or, l’extension du nationalisme monétaire, des politiques inflationnistes, d’un marché du travail rigide, de l’interventionnisme, du « fascisme économique » et du protectionnisme commercial. Hayek et les théoriciens autrichiens disciples de Mises firent un effort intellectuel titanesque pour analyser, expliquer et défendre les avantages de l’étalon-or et de la liberté du commerce, face aux théoriciens qui, adeptes de Keynes et des monétaristes, voulaient dynamiter les fondements monétaires et fiscaux de l’économie libérale que la Révolution Industrielle et le progrès de la civilisation avaient favorisée jusque-là.[7] Cette fois-là, la pensée économique évolua dans un sens très différent de celui défendu par Mises et Hayek et conduisit aux résultats économiques, politiques et sociaux que l’on sait. Et aujourd’hui encore, en plein XXIº siècle, le monde souffre encore d’instabilité financière, de manque de rigueur budgétaire et de démagogie politique. C’est pour ces raisons, et surtout parce que cela est urgent pour le bien de l’économie mondiale, que Mises et Hayek[8] méritent de triompher, et l’euro (du moins provisoirement et en attendant d’être substitué par un étalon-or) mérite de survivre.[9]


 

 





[1] A ce momento-là, (2011-2012), la Réserve Fédérale acquiert directement environ 40 pour cent de la dette publique américaine de nouvelle émission. Et on peut en dire à peu près autant de la Banque d’Angleterre qui détient directement 25 pour cent de toute la dette publique souveraine du Royaume-Uni. Face à ces chiffres, la monétisation (indirecte et directe) réalisée par la Banque Centrale Européenne apparaît comme un “jeu d’enfants“.

[2] Luskin et Roche Kelly ont même parlé de l’“Europe’s Supply-Side Revolution“ (Luskin et Roche Kelly 2012). Est également significatif le “Plan pour la croissance en Europe“ réclamé le 20 février 2012 par les leaders de douze pays de l’Union Européenne (entre autres, de l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas, la Finlande, l’Irlande et la Pologne) qui ne comprend que des politiques d’offre et ne fait mention d’aucune mesure de stimulation fiscale. De même, le manifeste “Initiative for a Free and Prospering Europe“ (IFPE) cosigné, à Bratislava, par l’auteur de ces lignes en janvier 2012. Bref, un changement de modèle dans des pays qui, comme l’Espagne, doivent passer d’une économie spéculative et “chaude“, fondée sur l’expansion de crédit, à une économie “froide“, fondée sur la compétitivité, semble prioritaire. En effet, dès que les prix baissent (“déflation interne“) et que la structure des prix relatifs se rajuste, dans un contexte de libéralisation économique et de réformes structurelles, vont apparaître de multiples occasions de profit entrepreneurial en investissements durables, dont le financement, dans une zone monétaire aussi étendue que celle de l’euro, est garanti. Ainsi, se produit l’assainissement nécessaire et la relance tant espérée, à nouveau froide, durable et fondée sur la compétitivité, est assurée.

[3] Dans ce contexte, et comme nous l’avons expliqué au paragraphe consacré à l’“hétéroclite coalition anti-euro“, one ne peut pas s’étonner des déclarations des candidats à la présidence de France que nous citons à la note 13.

[4] Estimations au 31 décembre 2011.

[5] J’ai parlé ailleurs des réformes incrémentales qui, comme la séparation radicale entre la banque commerciale et la banque d’investissement (du genre Glass Steagall Act) pourraient améliorer l’euro. D’autre part, c’est en Angleterre que, paradoxalement (ou pas, étant donné le préjudice social dévastateur causé par la crise bancaire), mes propositions ont eu le plus d’écho ; il a même été présenté au Parlement Britannique un projet de loi pour compléter la Loi de Peel de 1844 (toujours en vigueur) et étendre l’exigence du coefficient de caisse de 100 pour cent aux dépôts à vue. L’accord obtenu pour séparer la banque commerciale de la banque d’investissement doit être considéré comme un pas (timide) dans la bonne direction (Huerta de Soto 2010 et 2011b).

[6] Mon oncle par alliance, l’entrepreneur navarrais Javier Vidal Sario, parfaitement lucide et actif à ses 93 ans, me confirme qu’il n’avait jamais assisté, sa longue vie durant, pas même pendant le Période du Plan de stabilisation de 1959, à un effort collectif de discipline budgétaire et institutionnelle et d’assainissement économique comparable à celui d’aujourd’hui, sans parler de la valeur historique ajoutée de celui-ci, car il ne concerne pas un pays particulier (par exemple, l’Espagne) ni une monnaie spécifique (par exemple, la peseta), mais s’étend à toute l’Europe, et il est le fait de centaines de millions de personnes, dans le cadre d’une unité monétaire commune (l’euro).

[7] En 1924 déjà, le grand économiste américain Benjamin M. Anderson écrivait : “Economical living, prudent financial policy, debt reduction rather than debt creation –all these things are imperative if Europe is to be restored. And all these are consistent with a greatly improved standard of living in Europe, if real activity be set going once more. The gold standard, together with natural discount and interest rates, can supply the most solid possible foundation for such a course of events in Europe”. L’histoire, une fois de plus, se répète (Anderson 1924). Je remercie mon collaborateur Antonio Zanella de m’avoir signalé cette citation.

[8] La conjoncture historique se répète de façon très nette en Chine, où l’économie est en ce moment au bord de l’écroulement expansif et inflationniste. Voir “Keynes versus Hayek in China“, The Economist, 30 décembre 2011.

[9] Mises , le grand défenseur de l’étalon-or et de la banque libre avec un coefficient de caisse de 100 pour cent, s’opposa frontalement aux théoriciens des taux de change flexibles, comme Friedman, et dénonça la conduite de son disciple Machlup, qui avait abandonné la défense des taux de change fixes. Aujourd’hui, cinquante ans plus tard et à propos de l’euro, l’histoire se répète : on avait vu alors triompher les épigones du nationalisme monétaire et de l’instabilité cambiaire, et l’on sait comment cela se termina. Espérons que cette fois la leçon ait été apprise et que ce soit Mises qui triomphe. Le monde en a besoin et lui le mérite.

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