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Ce n’est pas une découverte, l’un des grands points de faiblesse du
système bancaire européen provient de son rôle déterminant dans le
financement de la dette publique, qui se traduit par la détention d’un
important volume de titres souverains. Cette situation repose en effet sur
une dangereuse ambiguïté : ces titres sont censés conforter les bilans des
banques, mais ils peuvent imposer – sauf à les conserver jusqu’à maturité –
d’importantes dépréciations de leurs titres en cas de crise sur le marché
obligataire se traduisant par une hausse des taux et une baisse corrélative
de leur valeur. Quand le chapitre est abordé, il est habituel de qualifier de
nœud gordien ce problème parfaitement identifié mais pas du tout
résolu, ce qui est d’ailleurs la règle dès que l’on aborde le chapitre de la
dette.
Avec son dispositif d’achats de titres de plus de 1.000 milliards d’euros
– principalement souverains – la BCE a tout au contraire élargi le problème
aux banques centrales nationales. 80 % de ces titres vont être inscrits à
leurs bilans, faisant principalement reposer le risque sur celles-ci, sur le
même mode que les banques commerciales. Fruit d’un compromis avec la
Bundesbank et ses alliés au sein du Conseil des gouverneurs, cette
disposition a permis de lancer le programme de la BCE, mais elle a comme
conséquence de créer un risque de désagrégation de la zone euro : au cas où une
banque centrale nationale serait prise dans une tourmente, elle n’aurait pas
la ressource de compenser ses pertes en émettant des euros, comme c’est le
cas de la BCE, et devrait se retourner vers son actionnaire l’État… Au lieu
de desserrer le nœud gordien, la BCE y lie les banques centrales nationales,
principalement celles de l’Espagne, du Portugal et de l’Italie, où la
viabilité de la dette publique est plus particulièrement sujette à caution.
La Banque de Grèce n’est en effet pas concernée dans l’immédiat, étant
provisoirement exclue du programme de la BCE.
Dans le cadre de son mandat, Danièle Nouy, la présidente du Mécanisme de
surveillance unique de la BCE – qui a eu en charge l’évaluation de la qualité
des actifs des principales banques commerciales européennes – fait
discrètement pression sur les banques commerciales sous sa surveillance pour
qu’elles réduisent leur exposition à la dette souveraine. Mais elle rencontre
une forte résistance de celles-ci, qui craignent un accroissement de leurs coûts
de financement et profitent au contraire de l’aubaine que représentent les
taux actuels. Comment dénouer l’affaire, dans ces conditions ?
Guntram B. Wolff, le directeur du think tank Bruegel, pense avoir trouvé
une solution : le plafonnement de la détention des titres souverains pourrait
être généralisé à toutes les banques européennes, sur le mode grec. Le
Mécanisme de surveillance unique de la BCE a en effet limité le 25 mars
dernier l’exposition des banques commerciales grecques à la dette souveraine du
pays, afin de réduire le risque de leur effondrement (et d’étrangler
financièrement le gouvernement grec). L’adoption d’une telle mesure ferait
d’une pierre deux coups, rendant plus stable le système bancaire européen et
mettant sur le marché des titres pour les besoins du programme d’achat de la
BCE ! Mais elle ne va pas dépasser le stade d’une simple suggestion, comme
tant d’autres…
En attendant, la dette prospère et le nœud gordien n’est toujours pas
tranché.
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