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Depuis le premier choc pétrolier de 1973, le slogan officiel national est que « la France n’a pas de pétrole mais elle a des idées ». Le problème majeur est que nos idées sont en grande partie développées et exploitées à l’étranger (soit par des français expatriés, soit par des concurrents étrangers) donnant naissance à des produits, des services voire des industries qui vont devenir nos plus redoutables concurrents. Ce mouvement est entretenu par la fuite des cerveaux, la diminution des dépôts de brevets français et la création de start-up françaises à l’étranger, notamment à la Silicon Valley.
Ce processus ne date pas d’aujourd’hui. La première machine à vapeur a été mise au point par le français Denis Papin, mais c’est l’écossais James Watt (1736-1819) qui déposa le brevet, lançant la révolution industrielle en Angleterre. Les Frères Lumières ont mis au point, à la fin du XIX° siècle, le procédé cinématographique, mais l’industrie du cinéma est née à Hollywood. Dans les années 60, l’entreprise française BULL était parmi les premières sociétés en pointe dans le secteur informatique mais la France est passée à côté de la nouvelle économie. C’est une des manifestations du « paradoxe français ».
Et cette situation est sans doute liée à la prise de conscience tardive de la nécessité de sensibiliser les acteurs économiques du pays (entreprises, universités, laboratoires de recherche, collectivités locales, État) aux pratiques d’intelligence économique (lobbies, réseau, renseignement, secret, espionnage) mises en œuvre, depuis les années 70, par les japonais, les américains puis, plus récemment, les chinois [1].
Pendant que les universités américaines ou chinoises sélectionnent scrupuleusement, et surveillent, aussi les étudiants en provenance de pays concurrents, nous finançons, au nom du social, les études d’étudiants étrangers dont certains n’ont pas toujours des intentions « pacifiques » ou désintéressées. En fait, ils viennent carrément nous piller et nous nous laissons faire...
Ces pratiques d’intelligence économique ont consisté à transposer, dans le domaine de l’économie, les techniques mises au point par les militaires durant les périodes de guerre, et notamment durant la guerre froide qui a opposé le bloc soviétique (qui a ainsi pillé les technologies occidentales voir l’affaire Farewell popularisée par l’excellent film de Christian Carion). Elles sont généralement mises en œuvre par des anciens agents des services secrets qui travaillent pour des sociétés privées d’intelligence économiques au service des États ou de firmes concurrentes [2].
Hélas, la généralisation de ces procédés transforme la compétition économique en une véritable « guerre économique ». Et il vaut mieux œuvrer à pacifier l’économie qu’à entretenir une guerre économique qui dégénère toujours en guerre tout court. Mais il faut aussi être lucide car ce sont ces moyens qui sont à l’œuvre dans les négociations à l’OMC, aux congrès américains ou au parlement de Bruxelles lorsqu’il s’agit de faire adopter des normes, des législations sur les brevets ou autres enjeux stratégiques. Paris a sans doute perdu l’organisation des jeux olympiques au profit de Londres par manque de professionnalisme dans ce domaine.
Depuis la fusion des R.G. et de la D.S.T, mise en œuvre sous la présidence Sarkozy, qui a donné naissance à la Direction Centrale du Renseignement Intérieur (D.C.R.I.), l’intelligence économique est donc devenue, à côté de la lutte contre le terrorisme, une mission majeure et essentielle de ce service de l’Etat.
De ce point de vue, les États-Unis ont du pétrole mais ils ont aussi des idées.
Depuis 1973, ils ont toujours privilégié le recours aux importations de pétrole afin de ne pas puiser dans leurs réserves stratégiques, alors qu’ils disposent déjà des réserves de pétroles considérables.
Intelligence économique, quand tu nous tiens !
[1] Rapport Martre, œuvre collective du Commissariat du Plan intitulée Intelligence économique et stratégie des entreprises, La Documentation Française, Paris, 1994.
[2] Christian Harbulot, La guerre économique, Que Sais-je/PUF, Paris, 2010. Christian Harbulot, « Intelligence économique et stratégie des entreprises », La documentation française, Paris, 1994. | |