Doit-on se résigner à ce
que la dette publique soit nécessairement l’impôt de
demain ? En d’autres termes, une puissance publique peut-elle
gérer sa dette de manière à éviter de recourir
à la hausse de la pression fiscale ?
Pour répondre à cette
question, envisageons un cas d’école, celui d’une
puissance publique gérant ses finances publiques dans le respect de
l’intégrité patrimoniale des citoyens. Ceci exclut
d’emblée que notre État fictif « roule sa
dette » indéfiniment (c’est à dire emprunte
pour rembourser les échéances de ses dettes
précédentes). Car comme on le comprendra très vite,
rouler une dette revient à accumuler un passif économiquement
insoutenable. Ensuite, rappelons qu’en tant qu’État
– et à la différence d’une entreprise commerciale
– notre puissance publique ne peut pas non plus émettre
d’actions.
Il ne lui reste donc que deux
façons d’honorer son passif : (1) dégager
une capacité d’autofinancement courant (sans augmenter la
pression fiscale) et/ou (2) céder des actifs. Intéressons
nous ici à la première option.
Par « non augmentation de la
pression fiscale », on entendra « stagnation du ratio
prélèvements obligatoires / PIB » (ce qui
équivaut à une règle d’or). Une puissance publique
endettée ne peut alors dégager de capacité
d’autofinancement qu’en diminuant ses dépenses
ultérieures et/ou en comptant sur un supplément de recettes
(essentiellement fiscales) induites par la croissance économique.
De ces deux options, celle portant sur
la diminution des dépenses est a
priori la plus sûre. En effet, l’espérance de recettes
induites par la croissance relève, dans notre cas d’école,
du pari entrepreneurial. Pourtant, objectera tel ou tel auteur
keynésien, une diminution de la dépense publique risque de
diminuer le PIB et de priver notre État de précieuses recettes
fiscales : il s’agit là d’un argument
« anti-austérité » convenu dont la
pertinence dépend largement de la manière dont les
économies sont réalisées.
Pour couper court à toute
objection, notre État va donc jouer la carte du pari
entrepreneurial et espérer de la dépense financée par la
dette, une croissance induite. Ce pari correspond, on l’oublie trop
souvent, à l’idée keynésienne de base selon
laquelle les recettes fiscales issues des phases d’expansion
économique sont censées combler les déficits encourus en
période de récession, de sorte que la pression fiscale
n’augmente pas (car en bonne orthodoxie keynésienne, augmenter
les impôts revient à diminuer la dépense privée,
donc la croissance).
Supposons donc une puissance publique
qui, au cours de l’année T, emprunte 100 sur les marchés
financiers aux conditions qui sont actuellement celles de l’État
français : la maturité de la dette est de 7 ans et le taux
d’intérêt annuel de 1,4%.
Au bout de 7 ans, notre pays fictif
doit rembourser la dette et ses intérêts (cela revient à
ce que les créanciers prêtent le montant des
intérêts leur étant dus jusqu’à
l’échéance de l’emprunt ; cette condition
permet de simplifier le calcul et ne change pas significativement le raisonnement).
L’État ne dispose d’aucune ressource hormis ses recettes
courantes, fiscales et non fiscales. Il ne peut pas rouler sa dette. Il
n’y a pas d’inflation (ni de déflation). Durant les 7
années qui séparent l’emprunt de son remboursement, son
budget primaire (hors intérêts de la dette, donc) est
strictement en équilibre. Enfin, cet État fictif
prélève une part considérable du PIB : 45% sous
forme de recettes fiscales et 5% sous forme de recettes non fiscales.
À l’échéance
de l’emprunt, notre État doit donc rembourser 100 de
principal plus 10,22 d’intérêts composés. Or, il ne
dispose que des prélèvements sur le PIB pour ce faire et par
hypothèse, il « n’a droit » qu’à
50% de la richesse nationale annuelle. Cela signifie qu’en 7 ans, une
dette publique de 100 doit avoir généré un PIB de
220,44. Cela représente un taux de croissance de 11,95% l’an.
Une croissance de 12% l’an en
équilibrant son budget et en prélevant la bagatelle de la
moitié du PIB : telle est la condition, dans notre cas
d’école, d’une dette fiscalement soutenable.
Ce petit exemple donne une idée
plutôt vertigineuse de l’épée de Damoclès
fiscale créée par la dette publique française : nos
administrations publiques empruntent depuis 60 ans, à un taux
d’intérêt qui n’a pas toujours été aussi
bas que celui de 2013, en se permettant des déficits
budgétaires récurrents depuis 1975 et ce alors que depuis dix
ans, le taux de croissance annuel du PIB en volume dépasse
péniblement 1%.
Naturellement, d’ailleurs, la
pression fiscale a augmenté de dix points de PIB (environ) ces
quarante dernières années.
Il reste pourtant une
« bouée de sauvetage » que mon cas
d’école a exclue : l’inflation ou plus
rigoureusement, la hausse du niveau général des prix des biens
et des services induite par la création monétaire. Grâce
à l’inflation, le PIB peut croître en termes nominaux et
non en termes réels. Cela permet de rembourser la dette publique de
manière indolore, simplement en créant de la monnaie. Les pays
de l’OCDE ne connaissent pas d’autre régime de croissance
qu’inflationniste depuis 1945 ; et comme par hasard, cette
inflation structurelle va de pair avec l’augmentation tendancielle de
leur ratio dépenses publiques/PIB.
Cependant – et heureusement car
c’est un sujet à part entière – le recours à
l’inflation n’éclaire en rien la problématique ici
abordée, celle de l’autofinancement de la dette. D’abord
parce que l’inflation est un impôt subreptice sur
l’épargne qui, bien que n’apparaissant pas directement
comme prélèvement sur le PIB, pénalise les ménages
et notamment les ménages les plus modestes.
Ensuite parce qu’on ne peut pas
avoir le beurre et l’argent du beurre : emprunter sur des
marchés financiers « globalisés »
à un taux d’intérêt relativement bas suppose de contenir
l’inflation (car les taux d’intérêt demandés
par les prêteurs incorporent des anticipations d’inflation).
La conclusion est donc
implacable : autofinancer la dette publique exige de dégager des
excédents budgétaires. Et l’on sait à quel point
les puissances publiques y répugnent. Pas étonnant, dès
lors, que l’histoire internationale de la dette publique soit
parsemée de défauts de paiement, d’inflations galopantes,
de dévaluations et d’emprunts forcés.
Peut-on, dès lors, compter sur
le produit de la cession du patrimoine des administrations publiques pour
inverser le cours des choses, celui d’une collectivisation rampante de
l’économie française ? En comptabilité
privée, de tels produits de cession constituent des « produits
exceptionnels ».
Dans le cas qui nous occupe, il faudrait
que ces produits deviennent exceptionnels par leur ampleur plutôt que
par leur occurrence, pour nous donner des raisons d’espérer. On
abordera cette question dans un prochain (et dernier) article sur le sujet de
la dette publique française.
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