En 2018 et suite à une enquête totalement neutre et ficelée avec un art consommé de la recommandation musclée, nos parlementaires se penchaient (ENFIN !) sur l’impérieuse question des addictions des jeunes et comment (ENFIN !) les en écarter : alcool, drogue, cigarette, et même pornographique, il était (ENFIN !) temps d’agir.
En juin de cette année, le projet est présenté et la loi votée : alors que la plupart des Français se déconfinent gentiment en tentant d’oublier les douloureuses amendes pour oubli de cerfa autosigné, le pays, piloté de main de maître par une phalange de redoutables génies multidimensionnels, est maintenant largement débarrassé de ses plaies économiques et sociales, et les parlementaires peuvent donc mettre en commun leur considérable turbo-intelligence pour formuler une solide proposition de loi dont l’objet porte sur les violences conjugales. Et donc paf sites pornos, évidemment : l’amendement (un tout petit peu cavalier législatif) de l’époque, voté en juillet, permet de bloquer l’accès de ces sites aux mineurs au travers d’un filtrage qu’on imagine déjà aussi bien foutu qu’efficace, avec blocage d’accès des sites récalcitrants à la clé, non mais alors.
Et voilà donc que trois associations viennent de saisir le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel ) pour obtenir le blocage de huit sites pornographiques, puisque, selon elles, ils ne comportent pas les mesures indispensables de filtrage pour en restreindre l’accès aux seuls majeurs.
Pour ces associations et pour nos parlementaires, c’est très simple : comme la loi impose ce filtre, pif, paf, pouf, il suffit de mettre un filtre, et pif, paf, pouf, l’internaute sera filtré. L’internet, les subtilités techniques et les réseaux informatiques, pour ces gens, pif, paf, pouf, ça n’existe pas vraiment et tout est résolument plus simple que la réalité de terrain.
Et en tout cas, tout le monde semble persuadé que si le CSA y met un peu de bonne volonté, les sites désignés auront 15 jours pour se mettre en conformité (fastoche). Et s’ils ne le font pas, ils pourraient voir leur accès bloqué sur décision de justice (encore plus fastoche).
Oui, vraiment fastoche : se mettre en conformité ne sera probablement envisagé que pour les sites français. Les autres ne s’inquiéteront pas trop des gesticulations de l’autorité française. Ensuite, quinze jours pour construire une vérification de majorité promet quelques moments croustillants : devra-t-on enregistrer une carte de crédit pour surfer sur le site coquin ? S’agira-t-il plutôt d’un document officiel ?
Entre les fausses cartes disponibles à foison sur internet, la réticence naturelle des internautes à laisser leurs coordonnées bancaires, la facilité de présenter une carte d’identité bidon à une entreprise qui n’aura en réalité aucun moyen d’en vérifier la véracité effective, tout ceci n’aura qu’un effet : déplacer à l’étranger les sites encore hébergés dans l’hexagone, point. Le reste ne sera qu’une vaste blague.
Du côté des internautes, l’obtention d’un logiciel permettant de les localiser hors de France (via un VPN par exemple) étant à la fois triviale et même parfois gratuite, on comprend rapidement que ceci sera très rapidement contourné.
Quant à bloquer les accès sur décision de justice, c’est une aimable blague : si le site est étranger, il restera toujours disponible. Si le site est français, le nom de domaine et la localisation peuvent être changés de façon très rapide (quelques jours à quelques heures voire quelques minutes pour les plus préparés). C’est aussi grotesque qu’inefficace et inapproprié.
Du reste, tout ceci est parfaitement en ligne avec ce qui a déjà été tenté, et qui a déjà amplement foiré dans d’autres pays. Ainsi, l’Islande a du abandonner en 2013 l’idée d’interdire la pornographie en ligne. En Inde c’est en 2015 et après avoir tenté de bloquer plus de 800 sites que les autorités ont été obligées de faire marche arrière.
La dernière tentative en date fut en Angleterre et les Anglais ont depuis amplement renoncé à ce projet idiot : évoquées en 2015 puis mises en places à partir de 2017, les restrictions ont été rapidement abandonnées en 2018 devant les difficultés techniques et les effets de bords nombreux et indésirables.
Autrement dit, tout indique que la réaction des autorités va aboutir à un magnifique fiasco qui se terminera, dans le meilleur des cas, en jus de boudin inopérant auquel on devra mettre fin sans tambour ni trompette dans quelques mois ou, dans le cas le plus probable, qu’on verra s’agiter de nombreuses années, au frais du contribuable, ces associations et cette institution pour faire appliquer une loi mal boutiquée écrite par des incultes techno-challengés, le tout, en pure perte.
Comme d’habitude en République du Bisounoursland, on cherche à tous prix à résoudre un problème sociétal, du ressort de la responsabilité individuelle (ici, clairement parentale) par un artifice technique. De surcroît, la solution technique proposée n’en est pas une tant elle est à la fois incompatible avec l’existant et fait fi des capacités techniques moyennes disponibles à l’internaute moyen, surtout lorsqu’il est jeune, inventif et jamais en retard pour contourner lois et règlements. En fait, tout ceci donnera à ces jeunes l’occasion de tester de nouveaux produits techniques de contournement, ce qui – au passage – incitera les fournisseurs de ces logiciels à encore plus de convivialité et à s’adapter directement à un nouveau segment de marché.
Et pendant que ces jeunes apprendront à contourner les censures et interdictions gouvernementales (ce qui est finalement un simple entraînement à ce qu’ils devront faire pour survivre dans l’enfer liberticide qui se met en place dans ce pays, loi idiote après loi débile), les législateurs, toujours aussi obtus, continueront à la fois de s’interroger sur l’inefficacité de leurs mesures et d’ignorer à peu près tout du fonctionnement réel de la société, l’internet n’étant ici que la partie la plus visible de leurs lacunes.
Refusant de renvoyer ces associations et les parents à leurs tâches essentielles de formation, de prévention, d’accompagnement des progénitures, refusant en fait de responsabiliser ces parents en reportant la charge de la vérification des contenus consultés aux entreprises fournisseuses, nos brochettes de parlementaires démontrent encore une fois pourquoi ce pays s’enfonce : comme il n’y a plus de responsabilité, il n’y a plus de liberté.