La proposition de loi de « lutte contre le système
prostitutionnel » a déjà fait couler beaucoup
d’encre. Rappelons, en deux mots, que le législateur entend
instaurer une « interdiction d’achat d’acte
sexuel ». Les clients des personnes prostituées seraient
passibles d’une contravention de 1 500 euros assortie d’une
contrainte à participer à un « stage de
sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution »,
un peu sur le modèle de ce qui existe en matière de
sécurité routière.
Des partisans et opposants de tous bords se sont exprimés
à l’envi, les 343 Salauds
ayant probablement été les mieux relayés par les
médias.
On a moins entendu les personnes prostituées elles-mêmes,
la plupart du temps opposées à cette proposition de loi. Ainsi Manuella, membre du
Syndicat du travail sexuel (Strass), craint une mise en danger accrue des
prostituées qui se cacheront « pour continuer leurs
activités et seront bien plus vulnérables, privées de
conditions d’hygiène décentes et de tout un réseau
associatif qui les épaule ».
Les policiers sont aussi opposés à ce texte, à
l’instar de Patrice Ribeiro, secrétaire général de
Synergie Officiers, qui pense que l’on prend le problème
à l’envers et que l’on ferait mieux de s’attaquer
« aux groupes criminels internationaux qui trafiquent les
prostituées comme du bétail ». Sans compter que la
police n’a pas vraiment les moyens de courir après les clients
des prostituées, ou alors au détriment d’autres missions.
Enfin, les juristes se sont également exprimés, comme Roseline
Letteron, qui se
demande comment « il est possible de sanctionner le client
d’une activité licite » qui est soumise aux
prélèvements fiscaux et sociaux.
Quoi qu’il en soit, les députés ont adopté
le texte le 4 décembre 2013. Les sénateurs le feront
après les élections municipales de mars 2014. Les promoteurs du
texte espèrent une entrée en vigueur dès l’automne
2014 ou en début d’année 2015 au plus tard.
Il est frappant de constater que la proposition de loi socialiste
oublie une autre forme de prostitution, peut-être plus répandue
que celle dont il a été question jusqu’à
présent. Je veux parler de la prostitution cachée, déguisée,
maquillée…
Si vous ne voyez pas de quoi il s’agit, permettez-moi de vous en
donner deux exemples.
Le premier se situe dans le monde du travail. Le chantage sexuel y
connaît de beaux jours, en particulier sous l’effet de la crise,
du moins si j’en crois Madame
Figaro. Ainsi de ce dirigeant d’entreprise disant
à une collaboratrice potentielle : « Je connais pas
mal de monde que votre CV intéresserait. Allons dîner, nous verrons
ça de plus près… » ; ou ce prospect
proposant à une commerciale de venir à son hôtel boire un
verre, puis d’insister en suggérant un dîner…
Ces cas relèvent du harcèlement sexuel, qui est
sévèrement réprimé dans les organisations.
Mais ce n’est pas de cela dont je veux vous entretenir. J’ai
plutôt en tête ces situations où les parties sont
consentantes. Par exemple, j’ai connu un entrepreneur du bâtiment
dont les clients étaient des couples faisant construire leur
habitation. Très souvent, l’épouse devenait la
maîtresse de l’entrepreneur en contrepartie d’une facture
allégée.
Beaucoup d’entre vous auront en tête des situations
analogues au bureau où certaines personnes approuvent, voire
recherchent, les relations sexuelles avec un supérieur hiérarchique
en échange d’une promotion, d’un passe-droit,
d’avantages divers.
Quand je fréquentais les politiques, cela était
également monnaie courante. En fait, je n’ai connu que peu
d’hommes politiques – il s’agissait surtout d’hommes,
il faut bien le reconnaître – qui ne se prêtaient pas
à ce commerce, jusqu’au plus obscur conseiller
général ou au plus insignifiant des adjoints au maire.
Certains affirment que le pouvoir est un puissant aphrodisiaque. Jean-Paul
Mialet, psychanalyste et psychothérapeute,
affirme ainsi que
« les hommes cherchent à accéder à un pouvoir
instrumental, et les femmes sont plus propres à courir après
l’homme qui a le pouvoir ».
Cependant il est à craindre que ces relations ne soient pas
sans contreparties : invitations au nombreux cocktails
organisés par la mairie, stage pour le neveu, intervention
auprès de l’administration, dérogations de toute
sorte…
En résumé, il existe des personnes qui offrent des prestations
de nature sexuelle et des clients – en l’occurrence ici des
hommes politiques – qui payent, non pas en espèces sonnantes et
trébuchantes, mais en faveurs, pour bénéficier de ces
prestations.
Les intéressés parleraient sans doute de relations
publiques… Mais en toute logique, la proposition de loi de «
lutte contre le système prostitutionnel » devrait
également viser ce type de commerce. Cela pourrait être un des moyens
de renflouer l’État…
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