Si on vous demandait comment lancer une croissance réelle
au travers de l’économie plutôt que sur une poignée de secteurs, que
suggéreriez-vous ? Revisiteriez-vous la caisse à outils des Keynésiens
pour appeler à une grosse politique de stimulus, plus importante encore que
celles qui ont été mises en place jusqu’alors ? Imposeriez-vous plus de
contrôles aux entreprises, en particulier au secteur financier ?
Certaines personnes voudraient que soit rétabli Glass-Seagall,
la perle de la Dépression qui a été abandonnée en 1999 .
Qu’en serait-il d’une fusion de la Fed et du Trésor – ou le placement des
politiques monétaires entre les mains du gouvernement ? Peut-être
adopteriez-vous le projet
de Sheila Bair pour permettre aux Américains
« d’emprunter dix millions de dollars à la Fed sans intérêts » ?
Sa proposition était ironique, dîtes-vous ? Mme Bair,
ancienne directrice de la Federal Deposit Insurance Corporation,
a proposé un projet qui dans ses grandes lignes serait accepté à bras ouverts
par certains – à condition bien sûr qu’il ne laisse pas de côté leurs
intérêts particuliers. Mais s’il est bon pour certains, pourquoi ne le
serait-il pas pour tout le monde ?
« Prenez garde, un pourcent, nous voilà », a
claironné Mme Bair.
Bon nombre de mes lecteurs sont sans doute familiers avec
l’anecdote au sujet
de la réunion de 1681 entre le Ministre français des finances Jean-Baptiste
Colbert et un groupe d’hommes d’affaire parmi lequel se trouvait Mr Le
Gendre. Colbert, un mercantiliste, voulait voir l’industrie prospérer parce
qu’il désirait plus que tout augmenter les recettes fiscales de la France…
une approche économique similaire au gavage des oies. Lorsqu’il a demandé
comment le gouvernement pourrait rendre un meilleur service aux entreprises,
Le Gendre a répondu : « Laissez-nous faire ! ».
Pardon ? Demander au gouvernement de reculer ?
Qui, aujourd’hui, pourrait ne serait-ce que mentionner ironiquement une telle
proposition ? Après toutes les leçons que nous avons pu tirer des
marchés – qu’ils sont gouvernés par un « esprit animal » qui ne
peut être combattu que par les politiques fiscales ; que les prédateurs
du marché s’en prendraient aux innocents si on ne les contenait pas ;
que nous avons besoin d’une banque centrale pour empêcher les prix de
s’effondrer, empêcher les gros joueurs de sombrer, et pour protéger le marché
des obligations de l’Oncle Sam – demander au gouvernement de se retirer n’est
même pas envisageable.
C’est aussi la raison pour laquelle nous sommes en passe
de traverser de nouvelles crises.
Des prix libres ne pourraient signifier que des prix en
chute libre
Pourquoi se concentrer sur les prix plutôt que sur les
marchés ?
Le plus fiable des baromètres de l’honnêteté économique se
trouve dans les prix. Des prix honnêtes, ni manipulés ni contrôlés,
fournissent aux investisseurs et aux consommateurs des signaux économiques
fiables. Ils présentent sans le moindre doute où se trouvent les
opportunités, et où il n’y en a pas.
Au sein d’une économie sur laquelle règne la compétition,
la recherche de profit engendre une augmentation de l’offre et une baisse des
coûts, ce qui entraîne une baisse des prix à la consommation – qui bénéficie
notamment aux plus pauvres.
Bien que cela puisse, d’un point de vue économique,
sembler sensé, il n’en est rien. Le monde est dominé par des Keynésiens
endettés jusqu’au cou qui détestent plus que tout
des prix en baisse. Les banques centrales et gouvernements perçoivent
l’inflation comme leur sauveur, si tant est qu’elle ne devienne pas
incontrôlable. Pour les banquiers centraux, le succès se manifeste au travers
d’un « niveau de prix en légère augmentation », termes qui défient
toute compréhension. Ils ne s’inquiètent en rien de la perte de valeur de 97%
du pouvoir d’achat du dollar enregistrée depuis l’ouverture de la Fed il y a
un siècle.
Sous un système qui favorise la liberté des prix, une
baisse des prix est la conséquence d’une productivité efficace, nous explique
Lewis. Au cours des dernières décennies du XXIe siècle aux Etats-Unis, les
prix ont commencé à baisser dans le même temps que le système enregistrait
une croissance explosive et que la population augmentait. Murray Rothbard a écrit qu’entre « 1789 et 1889, alors que
les prix ne cessaient de baisser, les salaires ont augmenté de 23% ». [p. 165]
Cette baisse des prix survenue en parallèle à une forte
croissance n’était en rien une anomalie. Dans un communiqué publié par la
Fed de Minneapolis en 2004, des chercheurs qui ont examiné 17 pays sur
des périodes de cinq ans pendant un siècle ont dit n’avoir trouvé aucun lien
entre la déflation et la dépression. Ils en ont conclu ceci :
Une simple étude historique met en lumière bien plus
d’épisodes de déflation associés à une croissance raisonnable qu’à une
dépression, et bien plus d’épisodes de dépression liés à l’inflation qu’à la
déflation.
Bien que la Grande dépression (1929-1934) soit une période
faisant l’objet de débats houleux et présente un lien entre déflation et
dépression, il ne s’agit là que d’un lien très limité.
Capital gonflé versus capital généré
Pourquoi donc la Fed continue-t-elle d’alimenter
l’inflation ? Certains en bénéficient, du moins sur le court terme. Pensez
aux avantages que peut tirer un contrefacteur. Non seulement la Fed finance
le déficit fédéral, une majorité de l’argent qui passe par ses ateliers de
presse passe d’abord par Wall Street et y fait gonfler les profits.
Dans le chapitre 14 de son livre, Lewis explique comment
la baisse des prix se manifeste au travers de l’économie. Il cite la carrière
d’Andrew Carnegie, devenu l’homme le plus riche des Etats-Unis après avoir
vendu de l’acier aux prix les plus bas du marché. Les sociétés qui lui en achetaient
ont-elles-aussi abaissé leurs coûts et pu vendre moins cher. En conséquence,
plus de chemins de fer ont été construits, et le coût du voyage et des
livraisons de marchandises a diminué. Le pétrole et l’essence sont devenus
moins chers.
Mais les économistes grand public et les officiels de la
Fed sont persuadés que la déflation (la baisse des prix) est à l’origine de
la Grande dépression. Leur traverse-t-il parfois l’esprit qu’ils aient pu
comprendre les choses à l’envers – que la Dépression a causé une baisse des
prix parce que certains prix avaient été gonflés par l’impression monétaire
de la Fed ?
Au cours de la dépression des années 1920 et 1921, les
prix ont fortement chuté et le taux de chômage a flambé. La Fed a fait
grimper les taux d’intérêts et l’administration Harding a réduit ses
dépenses, des politiques qui seraient inimaginables pour les Keynésiens
d’aujourd’hui. En 1923, le chômage n’était plus que de 2,4%, et la dépression
n’était déjà plus que de l’histoire ancienne.
La Fed de Benjamin Strong a
nourri l’inflation dans les années 1920 et engendré une économie de bulles.
En 1927, alors que l’économie commençait à battre de l’aile, il a été décidé
de donner un petit « coup de whisky » au marché des actions. Strong a continué d’alimenter l’inflation pour maintenir
la structure monétaire fragile.
Après l’effondrement, Hoover et Roosevelt ont tout fait
pour empêcher les salaires de baisser. Sans la capacité de réduire les
salaires, de nombreuses sociétés ont sombré dans la banqueroute et ont dû se
défaire de nombreux employés. Les employés qui ont conservé leur emploi ont
quant à eux obtenu l’équivalent d’importantes promotions puisque les salaires
étaient fixes et que les prix baissaient.
Après la seconde guerre mondiale, de nombreux économistes
s’attendaient à ce que l’économie traverse une nouvelle phase de dépression,
parce que les contrôles des prix et des salaires prenaient fin, et que les
dépenses gouvernementales et les taxes étaient réduites. Mais même avec le
retour de 10 millions de vétérans, le taux de chômage est resté de moins de
5%. Une récession survenue en 1946 l’a fait passer à 6%, mais même ce taux
était bien inférieur à ce qu’avaient enregistré les Keynésiens pendant la
Grande dépression.
Lewis se pose la question suivante : Que doit faire
un gouvernement lorsqu’il fait face à une dépression qu’il a lui-même
créée ? Rappelez-vous du serment d’Hippocrate : Ne causez pas de
tort. Cessez de manipuler et de contrôler les prix. Laissez les prix
s’ajuster. Laissez votre patient se rétablir.
Tous les prix et tous les salaires ne sont pas en
déséquilibre. Et tous ceux qui le sont n’ont pas nécessairement besoin de
baisser. Certains devraient même grimper. L’économie n’est pas un puits que
nous pouvons vider ou remplir jusqu’à ce qu’un niveau d’eau idéal soit
atteint. Les récessions ne sont pas des punitions, comme le disent souvent
les Keynésiens. Elles surviennent pour nous débarrasser des débris et des
épaves économiques pour que l’économie puisse continuer d’avancer.
Le système bancaire de réserve fractionnaire, qui est à
l’origine des cycles croissance-récession, est aussi frauduleux qu’il est
économiquement illogique. Il est frauduleux parce qu’il promet à des
déposants des paiements en argent qui a été prêté ailleurs, et illogique
parce que recouvrir des prêts de nouvelle monnaie ne fait que créer un climat
d’instabilité.
Délions le gouvernement et la monnaie
Quels genres de monnaie et de système bancaire
correspondraient à nos besoins ? Lewis cite ici Lew
Rockwell :
F. A. Hayek discute l’unique moyen de réforme dont nous
disposons. Il nous faut abolir les banques centrales. La monnaie elle-même
doit être entièrement déliée de l’Etat. Elle doit être restaurée en tant que
propriété privée, produite par des individus privés pour des marchés privés.
Les gouvernements n’ont rien à faire dans les affaires monétaires. La monnaie
doit être créée par des entreprises privées. Les banques ne doivent exister
qu’en tant qu’institutions de libre-entreprise, sans aucun privilège décerné par
l’Etat.
Les banques en faillite doivent pouvoir mourir. Les
banques profitables doivent pouvoir survivre. Les gens doivent pouvoir
choisir n’importe quelle forme de monnaie, et de paiement. Les entrepreneurs
doivent pouvoir créer des instruments financiers. La loi doit être appliquée
de la même manière qu’elle s’applique aux autres affaires humaines :
elle punit la force et la fraude.
Lewis explique que « la Fed n’est pas diabolique.
Elle est sans aucun doute peuplée de gens sincères qui n’ont aucune idée de
la dévastation morale et financière qu’ils génèrent ».
C’est peut-être vrai. Mais si elle devenait diabolique,
elle ne pourrait que difficilement être pire que ce qu’elle est aujourd’hui.
Si nous ne pouvons l’abolir, ajoute Lewis, nous devrions au moins nous battre
pour une libre compétition entre les devises. Si les gens étaient libres
d’utiliser une autre monnaie, ils le feraient certainement. Avec une base de
consommateurs moins importante, la Fed serait forcée de ralentir ses presses
à imprimer ou de fermer ses portes.
« Les prix devraient être émancipés du
gouvernement ».
J’aimerai ajouter que tout devrait être émancipé du
gouvernement, mais j’y reviendrai plus tard. Le livre d’Hunter Lewis est très
intéressant, je vous conseille de vous y plonger.