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Parlons d’or, ce fait têtu.
Pourquoi l’or plébiscité par les peuples du monde entier,
réellement et symboliquement (comme en témoignent divers
spots publicitaires ruisselants d’or), pourquoi cette valeur
sûre, et généralement montante, est-elle officiellement
« décriée » ? Pourquoi cette
référence encore plus universelle que celle de l’argent,
qui demeure le nom courant de la monnaie, a-t-elle été quasi consensuellement abandonnée sine die du jour
au lendemain par les « autorités
monétaires » du monde entier, et avec elle toute
référence métallique ou réelle, après
5 000 ans (1) d’assez bons et loyaux services ? Ce
paradoxe mérite une explication.
L’explication
est bibliquement simple malgré les couches de théorie
économique « moderne » sous lesquelles les
meilleurs sophistes du XX siècle se sont ingéniés
à l’ensevelir : l’étalon-or, même
abâtardi, contraint les États à équilibrer leurs
budgets ou à les rééquilibrer rapidement. Il garantit de
la sorte le Graal de l’équilibre économique global
durable. Il est le cerbère de la démesure budgétaire,
qu’elle provienne de la folie dépensière des grands
projets inutiles ou de la démagogie ordinaire qui pourvoit
à des distributions de revenus insoutenables et compromet le niveau de
vie des générations futures qui devront les rembourser.
Comment
l’étalon-or parvient-il à ce résultat de
rêve ? Par un bon usage de la passion pratique pour l’or
des banques centrales ou des trésors publics, très loin du
dédain théorique affiché. Le déséquilibre
budgétaire conduit en effet les utilisateurs de monnaie les mieux
informés à anticiper une création de monnaie fiduciaire
excessive pour financer le déficit et à redouter la
dévalorisation de cette monnaie. Ces « sachants »
du marché préfèrent alors
« convertir » leurs billets et dépôts
contre de l’or sonnant et trébuchant afin de se prémunir
contre cette dévaluation.
Les
« Harpagon » qui gouvernent n’ont alors plus
d’autre moyen, pour tarir la perte d’or qui historiquement les
accable, que de déclencher de manière pavlovienne des
politiques monétaire et budgétaire rééquilibrantes.
C’est ainsi que la clause de convertibilité-or fait jouer
l’ auri sacra fames
– l’odieuse faim de l’or – des gouvernants au profit
des gouvernés en préservant la stabilité du pouvoir
d’achat de leur monnaie de manière quasi mécanique. Elle
assure une forme d’équilibre des pouvoirs entre la
société civile et la puissance publique, entre les
détenteurs et les producteurs de monnaie. Elle est une arme de dissuasion
dans la main des acteurs économiques privés contre l’abus
de pouvoir monétaire des princes qui nous gouvernent. Nous pouvons
mieux le réapprécier en 2013 du haut des pyramides de dettes
publiques que sa mise hors jeu a permis d’« édifier ».
Pour
mettre hors d’état de servir un si précieux allié
de la propriété des gouvernés, il fallait commencer par
le disqualifier aux yeux des citoyens eux-mêmes. C’est ainsi
qu’au siècle du totalitarisme à l’Est et de
l’Étatprovidence à
l’Ouest, l’étalon-or est devenu l’ennemi public
numéro un des économistes « officiels »
et des professeurs d’économie, tous programmés pour
obtenir l’émancipation budgétaire des puissances
publiques (qu’on osera appeler
« libéralisation »).
Briseur
de croissance, fauteur de déflation, ennemi des peuples, tout devint
bon contre « ce pelé, ce galeux », bouc
émissaire idéal de démagogues soucieux d’obtenir
des résultats immédiatement visibles, quel qu’en soit le
coût différé. Le régulateur silencieux et profond
de l’économie de marché qu’était
l’étalon-or ne fut plus alors publiquement
désigné, selon l’imprécation de Keynes, que comme
une « relique barbare » (2). Il suffisait de
s’en débarrasser pour atteindre le nirvana du plein-emploi,
l’état supérieur du monde dans lequel les États
dépensent autant qu’ils le veulent pour répondre aux
attentes sociétales ou « relancer
l’économie » (pensée comme une
« chose » passive dans les mains d’un État
éclairé). Un nirvana cataleptique auquel sont parvenus
aujourd’hui à peu près tous les pays « développés » .
Face
à la déroute actuelle du régime de monnaie
dirigée ( managed
currency ) à contrainte
budgétaire élastique et inducteur d’hypertrophie
financière, qui s’est substitué à celui de
l’étalon-or et en fait pâlir les défauts réels
ou supposés, l’honnêteté intellectuelle serait de
reconnaître que l’étalon-or était moins une relique
barbare qu’un précieux garde-fou. De comparer objectivement les
bilans et de remettre l’ouvrage sur le métier.
Le régulateur silencieux et profond de l’économie
de marché qu’était l’étalon-or ne fut plus
alors publiquement désigné, selon l’imprécation de
Keynes, que comme une « relique barbare ».
(1) Comme le reconnaît Keynes dans un article
de 1930 sur Le retour à
l’étalon-or dans ses Essays
in persuasion parus en France sous le titre Sur la monnaie et l’économie ,
Payot 2009. (2) expression qu’il emploie dans son Traité
sur la réforme monétaire de 1923.
Publié le 27/05/13 dans le journal
La Croix
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