|
1. "De
comptabilitatibus".
La vulgate économique des hommes de l’Etat veut, semble-t-il,
qu’il existe aujourd’hui des comptabilités
différentes mais comparables : comptabilité budgétaire,
comptabilité nationale, comptabilité nationale "au sens de
Maastricht", etc.
Tantôt, ils utilisent l'une, tantôt une autre, tantôt une
troisième…
Soit dit en passant, ce qu’on dénomme "comptabilité
nationale" n’a pas plus de 55 années d’existence en
France ou ailleurs. Ce qu’on dénomme "comptabilité
budgétaire" ou "comptabilité publique" est beaucoup
plus ancien…
Au nombre de ces comptabilités, il y a bien sûr la vraie
comptabilité, i.e. la comptabilité commerciale en partie
double.
En conséquence, à leurs yeux, tout se passe comme si la
comptabilité commerciale n’était qu’une
comptabilité parmi d’autres, comme si les autres
n’étaient pas fausses dans leurs principes et immorales dans leurs
conséquences.
2. Les
comptabilités fausses dans leurs principes.
La comptabilité ne saurait procéder de considérations
autres que celles du droit de propriété d'une personne
juridique sur une chose et de l’échange libre des droits de
propriété sur les choses par les personnes juridiques.
La règle de la propriété, "règle de juste
conduite" comme l'envisage Friedrich von Hayek, présente, entre
autres, l’intérêt de réduire l’incertitude de
chaque personne juridique sur les choses, voire sur l'environnement de
celles-ci, et donc le coût à quoi est évaluée
l’incertitude.
Certes, le coût de l'incertitude n’est pas réduit à
zéro, mais l’expérience montre qu’on peut
espérer qu’il le sera à terme.
Au lieu que le droit de propriété et l’échange
contractuel de droits de propriété soient les deux points de
départ des règles de ces diverses comptabilités comme
elles le sont en comptabilité commerciale, ce sont des
considérations autres, multiples, qui en font office.
Des considérations introduites plus ou moins subrepticement font que
le droit de propriété et l’échange de droit de
propriété perdent de leur force et donnent lieu à des
comptabilités distordues.
C’est, par exemple, le cas de la fiscalité – "vol légal" selon Vilfredo
Pareto – et celui de sa prétendue contrepartie, la redistribution.
A l’extrême, ces considérations l'emportent et supplantent
la propriété, et on entre dans la foire d’empoigne des
comptabilités bureaucratiques actuelles.
Il reste que des considérations nouvelles s’imposent aussi
régulièrement avec le temps, un jour ou l’autre.
Au départ, elles ont des effets comparables à ceux de la
fiscalité et de la redistribution : c’est, par exemple, le cas
de telle ou telle innovation.
L’innovation prend de court les comptables qui ne savent pas comment
"la prendre en compte" - au sens premier de l’expression -.
Il y a le cas remarquable actuel des innovations financières…
Mais à la fin, l’innovation maîtrisée, "prise
en compte" et non plus "hors bilan", il s’avère
qu’elle s’intègre à la propriété et
à son échange et renforce l’un et l’autre et leurs
effets bienfaisants.
3. Les
comptabilités immorales par leurs conséquences.
Les comptabilités qui résultent de considérations
essentiellement non juridiques sont donc, de fait, chacune, dans le meilleur
des cas, une comptabilité commerciale distordue, dans le pire, un
"cheval de Troie", celui du socialo-communisme.
Mais ces comptabilités ont surtout des conséquences immorales
à attendre que leurs concepteurs se refusent à admettre.
"Heureusement" si on peut dire…, ces conséquences
deviennent patentes périodiquement et s'ajoutent à la longue
liste existante, elle aussi mise de côté.
L’actualité nous en fournit deux exemples, les lignes qui
suivent les décrivent brièvement.
4.
Comptabilités, finance et … délinquance officielle
potentielle.
Les hommes de l’Etat de la Grèce sont aujourd’hui, pour le moins, soupçonnés,
en particulier par certains de leurs homologues de l’Union
européenne, d’avoir commis, ces derniers années, deux
grands méfaits :
- ne pas avoir fourni des données statistiques ou comptables sur
l’économie de la Grèce dignes de foi ; d’avoir
donné, en "comptabilité nationale au sens de
Maastricht", des chiffres discutables sur ses résultats
économiques ;
- avoir pratiqué des opérations financières qui ont
permis de modifier les résultats de la Grèce en matière
de déficit et d’endettement de l’Etat.
Malgré cela, début 2010, les chiffres économiques de la
Grèce ne sont pas bons. Par exemple, selon Philippe Marini,
sénateur français, dans un
rapport de février 2010 (le
rapport en question en lien est le même que celui qui sera en lien
ci-dessous pour une autre raison...) :
"La
situation de la Grèce appelle des commentaires particuliers.
Le 15 janvier 2010, le gouvernement grec a présenté à la
Commission son programme de stabilité pour la période
2010-2013, qui prévoit de ramener le déficit public de 12,7
points de PIB en 2009 à 2 points de PIB en 2013.
On rappelle que le niveau très élevé du déficit
public de la Grèce ne provient qu’en partie de la crise
économique. En effet, en 2008 il était déjà de
7,7 points de PIB.
La Grèce s’expose à la phase de la procédure pour
déficit excessif immédiatement antérieure à
l’imposition de sanctions : celle de la mise en demeure par le Conseil.
En effet, le 2 décembre 2009, conformément à la
recommandation de la Commission, le Conseil a décidé que ce
pays n’avait pas pris d’"action suivie d’effet".
Or, l’article 5 du règlement (EC) 1467/97 prévoit que la
décision de mise en demeure doit être adoptée par le
Conseil dans les deux mois suivant sa décision selon laquelle aucune
action suivie d’effet n’a été prise.
Le 3 février 2010, la Commission a adopté, en particulier, une
recommandation invitant le Conseil à adopter une telle mise en
demeure.
Le Conseil doit se prononcer à ce sujet lors de sa réunion du
16 février prochain." (pp.34-35)
Mais un article
de Beat Balzli dans le journal allemand Der
Spiegel – sur internet - du 8 février 2010
intitulé "Comment Goldman Sachs a aidé la Grèce
à masquer sa vraie dette", a été,
à sa façon, un pavé dans la mare des
comptabilités.
En voici, ma traduction :
“Goldman
Sachs a aidé le gouvernement grec à masquer la véritable
ampleur de son déficit au moyen d’un contrat de
dérivés qui contourne en toute légalité les
règles de déficit de Maastricht de l'U.E. Un jour arrive
où ce qu’on dénomme les swaps de monnaies viennent
à échéance et gonflent le déficit
déjà pléthorique du pays.
Les Grecs ne sont pas bienvenus dans la rue Alphonse Weicker à
Luxembourg. C'est la maison d’Eurostat, le bureau de statistique de
l'Union européenne. Les mangeurs de chiffres y sont
profondément agacés par Athènes. Les rapports
d'enquête indiquent que des données importantes 'ne peuvent pas
être confirmées' ou ont été demandées, mais
'pas obtenues'.
La comptabilité
créative a eu la priorité quand il s'est agi de
totaliser la dette gouvernementale.
Depuis 1999, les règles de Maastricht menacent de frapper de lourdes
amendes les pays membres de l'euro qui dépassent la limite de
déficit budgétaire de 3 % du produit intérieur brut. La
dette publique totale ne doit pas dépasser 60 %.
Les Grecs n'ont jamais réussi à s'en tenir à la limite
de 60 % de la dette, et eux seuls ont adhéré au plafond de 3%
du déficit à l'aide de cosmétiques de bilan flagrants.
Une fois, des dépenses militaires gigantesques ont été
écartées et une autre, l’ont été des
milliards de dette des hôpitaux.
Après avoir recalculé les chiffres, les experts d'Eurostat en
sont arrivés constamment aux mêmes résultats : en
vérité, chaque année, le déficit a
été largement supérieur à la limite de 3%. En
2009, il a bondi à plus de 12% ;
Désormais, cependant, il semble que, de façon
éhontée, les jongleurs de chiffres grecs ont été
encore plus loin que l'on pensait.
'Vers 2002, en particulier, diverses banques d'investissement ont offert des
produits financiers complexes qui permettraient aux gouvernements de
repousser une partie de leurs engagements dans l'avenir', a rappelé un
initié, tout en ajoutant que des pays méditerranéens
avaient happé de tels produits.
Les gestionnaires de dette de la Grèce ont conclu un énorme
accord avec des banquiers avisés de la banque d'investissement
américaine Goldman Sachs au début de 2002.
L’accord a porté sur ce qu’on dénomme les swaps de
devises via lesquels la dette gouvernementale émise en dollars et en
yens était échangée contre de la dette libellée
en euros pour une certaine période – pour être
rachetée en monnaies d'origine à une date ultérieure.
Des taux de change
fictifs
Ces opérations font partie du financement normal d’un
gouvernement.
Les gouvernements d’Europe obtiennent des fonds d'investisseurs de par
le monde en émettant des obligations libellées en yens, en
dollars ou en francs suisses.
Mais ils ont besoin d'euros pour payer leurs factures quotidiennes.
Des années plus tard, les obligations sont remboursées dans les
dénominations étrangères de départ.
Mais, dans le cas grec, les banquiers américains ont conçu un
type particulier de swap avec des taux de change fictifs.
Cela a permis à la Grèce de recevoir une somme beaucoup plus
élevée que la valeur de marché réelle en euros
des 10 milliards de dollars ou de yens.
De cette façon, Goldman Sachs a secrètement mis au point un
crédit supplémentaire de 1 milliard de dollars pour les Grecs.
Ce crédit déguisé en swap n’est pas apparu dans
les statistiques de la dette grecque.
Les règles
comptables d'Eurostat n’enregistrent pas de
façon significative les échanges sur instruments de
dérivés financiers.
'Les règles de Maastricht peuvent être contournées en
toute légalité par l’intermédiaire des swaps', dit
un opérateur allemand sur dérivés.
Les années précédentes, l'Italie a utilisé un
truc semblable pour masquer sa vraie dette avec l'aide d'une banque
américaine différente.
En 2002, le déficit grec s'est élevé à 1,2% du
P.I.B. Après qu'Eurostat a réexaminé les données
en Septembre 2004, le ratio a dû être révisé
à 3,7%. Selon les informations d'aujourd'hui, il se situe à
5,2%.
Un jour, la Grèce aura à payer ses opérations de swap,
et cela aura un impact sur son déficit.
Les échéances des obligations se situent entre 10 et 15 ans.
Goldman Sachs a facturé une commission très lourde pour
l'opération et a vendu les swaps à une banque grecque en 2005.
La banque a refusé de commenter cet accord controversé. Le
ministère des Finances grec n'a pas répondu à une
demande écrite de commentaire."
L’article
du Spiegel a
été complété, si on puit dire, le 13
février par un article du New
York Times de Dan Bilefsky et Niki Kitsantonis intitulé "Le statisticien grec est pris sous les feux de
la rampe".
En voici ma traduction :
"En
tant que chef d'un alors obscur organisme grec triturant des données
du gouvernement, Manolis Kontopirakis n’a jamais cherché les
feux de la rampe qui sont venus tout à coup sur son chemin,
après que les ennuis financiers de son pays ont
déclenché une tempête mondiale qui menace de mettre en
morceau la zone euro.
Manolis Kontopirakis a dit que son institut n'était pas à
blâmer pour les données erronées sur le déficit de
la Grèce.
Mais les feux de la rampe l'ont trouvé parce qu'il a été
accusé d'être la source des chiffres défectueux qui ont
plus que tripler le déficit budgétaire du pays pendant la nuit.
Il a dit qu'il s’était rapidement fatigué de toute
l'affaire, des accusations et des blagues. Il y en a une qui fait des allers
et retours en Europe: il y a des mensonges, de gros mensonges et les
statistiques grecques.
'Je suis pris pour cible pour des problèmes économiques actuels
qu'a générés le ministère des Finances de ce
pays', a déclaré M. Kontopirakis par téléphone
jeudi soir à New York, où il a dit qu'il était venu pour
s’échapper de la Grèce.
'J'ai quitté mon emploi et j'ai accepté une bonne baisse de
salaire pour servir mon pays, et ils ont essayé de me faire endosser
des choses avec quoi je n'avais rien à faire.'
M. Kontopirakis qui avait été nommé par le gouvernement
conservateur précédent et qui a démissionné de
son poste de directeur du Service national de statistiques peu de
temps après qu’un gouvernement socialiste a pris le pouvoir en
octobre, a insisté sur le fait qu’on ne pouvait reprocher
à son institut la turbulence financière qui a frappé le
pays.
Et il a accusé le ministère des Finances de chercher à
exercer une influence politique indue sur le service de statistiques.
Le ministère des Finances n'a pas répondu aux e-mails et
demandes téléphoniques de commentaire sur les accusations de M.
Kontopirakis.
La Grèce a choqué ses partenaires de l’Union européenne
et agité les marchés financiers l'an dernier quand elle a
révélé que le déficit de 2009 serait de 12,7 % du
P.I.B., et non les 3,7 % qu’avait prévu le gouvernement
précédent.
La découverte que les statistiques n’étaient pas fiables
a sapé les efforts faits pour convaincre les marchés en
agitation de la crédibilité des plans de réduction du
déficit du gouvernement grec.
Établir cette crédibilité est essentielle si le pays
veut arriver à emprunter les 74 milliards de dollars dont il aura
besoin cette année pour couvrir son déficit budgétaire
et parer à un défaut potentiel.
Le gouvernement grec a demandé une enquête et a promis de
réformer l’institut de statistiques afin d'assurer sa pleine
indépendance.
Yannis Stournaras, économiste éminent qui était
conseiller économique d’un gouvernement socialiste
précédent, était d'accord avec M. Kontopirakis qu'il
avait été désigné comme 'bouc émissaire',
mais il a suggéré qu'il aurait pu être plus vigilant.
'Il est juste de dire qu'il a été utilisé comme bouc
émissaire parce que les chiffres lui ont été
donnés par le bureau général de comptabilité', a-
t-il dit.
Mais M. Stournaras a ajouté:
'D'un autre côté, il aurait pu contester ces chiffres s'il avait
des doutes' et il a remarqué que M. Kontopirakis était connu
pour sa fibre indépendante.
D'autres ont été moins charitables.
M. Kontopirakis 'n'est pas seul coupable, mais il aurait du repérer
l'anomalie et en parler à l'époque', a déclaré
Simon Tilford, chef économiste du Center for European Reform de Londres.
Il a poursuivi:
'Sans doute, il y a eu ingérence politique dans le service de
statistiques, mais son argument est indéfendable. C’est
l'exemple le plus flagrant de données budgétaires que nous
ayons jamais vu dans l'UE, et sa position est extrêmement faible'.
M. Kontopirakis a placé carrément la faute sur le
ministère des Finances, en insistant sur le fait que la projection du
déficit que son service avait soumis à Eurostat,
l’organisme de statistiques de l'Union européenne basée
à Luxembourg, a été faite par le ministère des
Finances et non par l’institut de statistiques.
La Grèce a été critiquée à maintes
reprises pour ses statistiques depuis qu'elle a rejoint la zone euro en 2001,
mais jamais plus que cette année.
Un rapport accablant de la Commission européenne
le mois dernier a accusé le Service national des statistiques de la
Grèce, le bureau de comptabilité générale et le
ministère des Finances d'avoir des 'faiblesses importantes'
liées à la collecte de données.
Il a noté des "irrégularités graves dans les
notifications du déficit par le gouvernement grec en avril et octobre
2009" et il a relevé 'l'envoi de données erronées,
un non respect des règles comptables et de la date de la
notification.'
M. Kontopirakis a dit que peu de temps après l'arrivée du
gouvernement au pouvoir au début d’octobre, il avait
été choqué lorsque les hauts dirigeants du
Ministère des Finances - y compris le ministre des Finances
lui-même – ont assisté à des réunions entre
le service des statistiques et le bureau de la comptabilité
générale.
'Il est essentiel que, dans tout pays, le service des statistiques soit
indépendant de toute ingérence politique', a-t-il dit. 'Les
ministres n’auraient pas du être présents à ces
réunions'.
M. Kontopirakis a dit que, mi-octobre, il avait été
informé que le nouveau gouvernement socialiste envisageait de
réviser le chiffre final du déficit de 2008 ainsi que le
chiffre du déficit prévu pour 2009. 'Il semblait qu'ils
voulaient discréditer le gouvernement précédent', a-t-il
dit.
M. Kontopirakis a dit que l'énorme écart entre la
prévision initiale de 3,7 % du P.I.B. pour le déficit de 2009
et le chiffre final de 12,7 % a été le produit de deux
facteurs: l'optimisme excessif du gouvernement conservateur
précédent et le désir du nouveau gouvernement socialiste
de rejeter la faute sur son prédécesseur et rendre toute
reprise économique plus impressionnante.
Mais les officiels ne sont pas parvenus à anticiper l'impact que le
nouveau chiffre pourrait avoir sur les marchés financiers mondiaux.
'Le nouveau gouvernement a complètement sous-estimé la
réaction du marché', a-t-il dit. 'Ils ne s'attendaient tout
simplement pas à la tourmente'."
Tout cela
soulève la grande question :
Les hommes de l’Etat de la Grèce auraient-ils mené ces
actions si les règles comptables dites "de Maastricht"
n’avaient été mises sur pied ?
Si n’avaient pas été fixées la limite purement
arbitraire du déficit budgétaire à 3% du PIB et la
limite, elle aussi purement arbitraire, de l’endettement de
l’Etat à 60% du PIB.
Ces règles, en rien "de juste conduite", ni a fortiori
fondées sur la propriété, n’ont-elles pas
été des "pousses au crime" ?
5.
Comptabilités, finance et … abus politique potentiel.
En France, les hommes de l’Etat ont déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale,
en janvier 2010, un "projet de loi de finances 2010 rectificative".
Aux termes du projet de loi, le déficit prévisionnel du budget
2010 de l’Etat de la France s’établirait à :
149 milliards d’euros,
i.e. presque :
1 000 milliards de
FF,
- ce FF qui a été remplacé par
l'euro (depuis 1999-2001) - en tenant compte d’une dégradation de
31,7 milliards par rapport à la loi de finances initiale pour 2010
(cf. sur ce point, ce texte du blog).
Dans le projet de loi, figure surtout un "emprunt national" de 35
milliards d’euros.
Il est à remarquer que :
«
Le présent projet de loi prévoit, au titre de l’emprunt
national, d’ouvrir au budget de l’Etat pour 2010, 35 milliards
d’euros en autorisations d’engagement et de crédits de
paiement.
Ces 35 milliards d’euros ne seront pas directement injectés dans
l’économie, mais doivent être attribués à
divers opérateurs, le principal étant l’Agence nationale
de la recherche (A.N.R.), attributaire de 17,6 milliards d’euros.
Ils doivent pour cela transiter par 12 programmes du budget de l’Etat
créés pour l’occasion, dont le principal est le programme
« Pôles d’excellence » doté de 15,35 milliards
d’euros." (p.47)
[…]
"La
disparition de ces programmes est prévue début 2011.
En effet, du point de vue du budget de l’Etat, la totalité des
crédits ont vocation à être décaissés
dès 2010.
L’emprunt national accroît considérablement le
déficit de l’Etat au sens de la comptabilité budgétaire.
En effet, les 35 milliards d’euros de transferts aux opérateurs,
qui doivent être réalisés dès 2010,
l’augmenteront d’autant.
En revanche, au niveau de l’ensemble des administrations publiques,
l’impact sur le déficit est très faible.
Tout d’abord, comme on l’a indiqué ci avant, il ressort
notamment des hypothèses du Gouvernement que les décaissements
des opérateurs seraient de l’ordre de 5 milliards d’euros
en 2010 et 4 milliards d’euros par an de 2011 à 2014, puis de
0,6 milliard d’euros par an.
Ensuite, le déficit des administrations publiques est
évalué selon les concepts de la comptabilité nationale,
utilisée pour l’application du traité de Maastricht, qui ne
prennent pas en compte les dotations en capital, les prêts et les
dépenses assimilées ». (p.102)
"Ainsi, en chiffres arrondis,
sur les 35 milliards d’euros de l’emprunt national,
environ 10 milliards d’euros financeraient des prises de
participations, des avances remboursables et des prêts, et
25 milliards d’euros financeraient des subventions (dont seulement 10
milliards d’euros correspondant à des crédits
consomptibles)." (p.76)
Le fait est qu'au
point de vue de l'Union européenne :
«
Sur les 27 Etats membres de l’Union européenne, 20 font
actuellement l’objet d’une procédure pour déficit
excessif (dont 13 des 16 Etats ayant adopté l’euro).
Dans le cas de la France, le déficit excessif de 2008 (3,4 points de
PIB) a été constaté en mars 2009 par la Commission
européenne, et le 27 avril 2009 le Conseil a adopté une
décision en constatant l’existence, ainsi qu’une
recommandation d’y mettre fin en 2012.
Le pacte de stabilité prévoyant que le Conseil demande à
un Etat en déficit excessif de prendre des « mesures suivies
d’effet » destinées à réduire le
déficit dans un délai maximal de 6 mois, le Conseil a en outre
fixé au 27 octobre 2009 la fin du délai dans lequel la France
devait mettre en œuvre les mesures devant lui permettre
d’atteindre son objectif de déficit de 5,6 points de PIB en 2009
et indiquer quelles mesures elle prévoyait de mettre en oeuvre les
années ultérieures.
Le 11 novembre 2009, la Commission européenne, estimant que la France
avait pris des « mesures suivies d’effet », a
recommandé au Conseil de repousser cette échéance
d’une année, et donc de la porter à 2013.
En effet, le Conseil a la possibilité d’allonger le délai
fixé, en cas d’« événements
économiques négatifs et inattendus ayant des
conséquences très défavorables sur les finances
publiques ». Le Conseil a suivi cette recommandation le 2 décembre
2009.
Ce décalage d’une année a été
appliqué "forfaitairement" par la Commission à tous
les Etats pour lesquels une telle échéance devait être
reportée (Irlande, Espagne, Royaume-Uni) ». (p.33)
Bref, la prise en compte de l’emprunt national n’est pas la
même en "comptabilité budgétaire" et en
certaines autres comptabilités nationales.
Philippe
Marini (ci-contre), sénateur, rapporteur général du
projet de loi au Sénat, est explicite sur
le point et y insiste.
Il décrit même la manipulation clairement, en particulier aux
pages 61-62 du rapport sur le projet de loi, en ces termes :
"En
2010, la dette de l’Etat serait accrue de seulement 5 milliards
d’euros.
En effet, les 35 milliards d’euros d’émissions rendus
nécessaires par l’emprunt national seraient compensés par
le dépôt de 30 milliards d’euros sur le compte du
Trésor par les opérateurs.
Certes, du point de vue du budget de l’Etat, la totalité des 35
milliards d’euros ont vocation à être
décaissés dès 2010, ce qui aggrave d’autant son
déficit au sens de la comptabilité
budgétaire.
Par ailleurs, si le Gouvernement communique sur le fait que les
remboursements des banques seront de l’ordre de 13 milliards
d’euros2, on ne voit pas la pertinence de cette approche, qui conduit
à additionner deux phénomènes indépendants.
En fait, il faut distinguer deux sujets :
- l’augmentation de 13 milliards d’euros des prévisions
d’émissions par rapport aux prévisions de la loi de
finances pour 2010, résultant essentiellement des 35 milliards
d’euros de l’emprunt national, et de deux
phénomènes tendant à réduire le montant des
émissions : 13 milliards d’euros de remboursements des banques,
qui auraient dû venir en déduction de la dette de l’Etat,
mais aussi 9 milliards d’euros de rachats de titres ;
- le supplément d’émissions suscité par
l’emprunt national, par rapport à une situation où
celui-ci n’existerait pas : ce supplément est bien de 35
milliards d’euros, les deux phénomènes
précités en étant indépendants.
La dette à
moyen-long terme est donc accrue de 35 milliards
d’euros par l’emprunt national.
Cependant, la dette
à court terme de l’Etat sera fortement
réduite.
En effet, selon l’exposé des motifs de l’article 5 du
présent projet de loi,
'la variation des dépôts des correspondants atteindrait […]
30 milliards d’euros de plus qu’en loi de finances, du fait de
l’obligation de dépôt imposée aux gestionnaires des
fonds versés pour le financement des dépenses d’avenir'.
Cela implique que les décaissements des opérateurs liés
à l’emprunt national sont évalués à 5
milliards d’euros en 2010 (comme ceci a été
confirmé par le Gouvernement).
L’Etat ne bénéficie pourtant pas de 30 milliards
d’euros de trésorerie gratuite, parce qu’il doit
rémunérer les dépôts des opérateurs
correspondant aux crédits non consomptibles, qui en
représentent plus de la moitié.
Ainsi, la justification au premier euro du programme 'Charge de la dette et
trésorerie de l’Etat' évalue le coût de 'la
rémunération des fonds soumis à obligation de
dépôt sur le compte du Trésor et conservés en vue
de produire intérêt' à 500 millions d’euros.
Selon l’Agence France Trésor, ce chiffre de 500 millions
d’euros en 2010 correspond au montant des crédits non consomptibles
tel qu’estimé par le Gouvernement, de 15,5 milliards
d’euros, multiplié par un taux d’intérêt de 4
%, appliqué pendant trois trimestres (le montant exact étant de
465 millions d’euros). Selon les mêmes hypothèses, on
calcule qu’en année pleine, le coût est de 620 millions
d’euros. »
[investissement et
investissement au sens strict…]
Le présent projet de loi définit les dépenses
financées par l’emprunt national comme des 'investissements
d’avenir'. Cependant, il ne s’agit pas d’investissements au
sens strict.
Une large part des dépenses des opérateurs ne consistera pas en
de l’investissement au sens de la comptabilité
nationale, mais bien en des dépenses de
fonctionnement. Par exemple, les 7,7 milliards d’euros de dotations non
consomptibles attribuées aux universités ou les 3,5 milliards
d’euros (essentiellement de crédits non consomptibles) relatifs
à la valorisation de la recherche publique ne serviront pas
spécifiquement à financer des équipements.
[crédit et
crédit non consomptible…]
B. 45,4 % de l’emprunt national correspondant à des crédits non consomptibles
Les fonds de l’emprunt national, soit 35 milliards d’euros,
n’ont pas vocation à être dépensés dans leur
totalité par les organismes gestionnaires.
En effet, 45,4 % de cette somme, soit 15,9 milliards d’euros
fléchés quasi exclusivement sur la mission "Recherche et
enseignement supérieur", seraient constitués de fonds non consomptibles
dont seuls les revenus de leur dépôt au Trésor pourraient
être dépensés." (pp.48-49)
Permettez-moi, en
passant, le florilège qui suit, ceci ne saurait s'inventer :
"Selon
le projet de loi de finances rectificative, deux organismes gestionnaires
pourront allouer des dotations en capital non consomptible, ou partiellement
consomptible, à des opérateurs sélectionnés sur
appel à projets :
- d'une part, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) dans
le cadre du programme « Transport et urbanisme durable »
doté d'un milliard d'euros, dont 400 millions d'euros ne sont pas
consomptibles ;
- d'autre part, l'Agence nationale de la recherche (ANR) qui devrait allouer
8,2 milliards d'euros de dotations en capital
non consomptible (dont 7,7 milliards d'euros aux "Campus
d'excellence") et 9,4 milliards d'euros de dotations en capital partiellement consomptible,
c'est-à-dire dont seulement un pourcentage, fixé entre 10 et 25
% selon les actions, pourra être directement dépensé. Sur
ces 9,4 milliards d'euros, 6 milliards d'euros ne pourront pas être
consommés.
Les bénéficiaires des dotations en capital non consomptible, ou
partiellement consomptible, devraient pouvoir utiliser en tout état de
cause le revenu du dépôt obligatoire de leurs fonds au
Trésor.
Néanmoins, dans le cas de la mise en place d'une période
probatoire, telle qu'elle est prévue pour les "Campus
d'excellence" et les laboratoires d'excellence, le
bénéfice de la rémunération versée par le
Trésor pourrait être conditionné à l'avancement
des projets et de leur évaluation." (ibid.)
Et je pourrais
allonger la citation : "C'est beau comme l'antique !".
Mais redevenons sérieux.
A ces éléments d’information que j'ai retenus et qui distinguent
donc "investissement et investissement au sens strict" et
"crédit et crédit non consomptible - voire fonds non
consomptibles et dotations en capital non consomptible ou partiellement
consomptible" - considérations fort éloignées du
sens commun en général et du droit de propriété
en particulier -, il convient d’ajouter que Philippe Marini
révèle aussi que le choix comptable va priver le Parlement de
son rôle de contrôle de l’action de l’Etat de la
France.
Serait-ce voulu incidemment par les hommes de l'Etat ?
On peut lire en effet respectivement en annexe du rapport sur le projet de loi,
mais aussi dans le développement du rapport du sénateur :
"Enfin,
M. Philippe Marini, rapporteur général, a expliqué que
les amendements qu’il proposera à la commission poursuivent deux
objectifs :
- d’une part, garantir les intérêts budgétaires et
patrimoniaux de l’Etat, en posant la question du «
dénouement » de l’opération, notamment en fixant le
principe de la durée limitée des dotations non consomptibles,
et en orientant le processus de décision vers le financement de
projets rentables ;
- d’autre part, compenser les effets de la débudgétisation sur le contrôle démocratique,
et notamment le contrôle
parlementaire, en mettant en place des procédures
transposant "l’esprit de la L.O.L.F." à la mise en
œuvre de l’emprunt national." (pp.331-332).
[...]
"En
second lieu, confrontée à un dispositif qui organise un
financement public parallèle à celui du budget de l’Etat,
elle [votre commission]
a tenté d’en compenser les inconvénients du point de vue
du contrôle
démocratique en imaginant, pendant les trois courtes
semaines qui se sont écoulées depuis la présentation du
projet de loi et dans la continuité des apports de
l’Assemblée nationale, des solutions qui transposent
l’esprit de la loi organique relative aux lois de finances à la
supervision de la mise en oeuvre du programme d’investissements."
(p.11)
"Il est donc à craindre que, malgré le "jaune"
prévu par le présent projet de loi, elles [sommes concernées]
soient moins bien contrôlées,
tout en rendant plus difficile l’évaluation des dépenses
publiques." (p.55)
"L’information du Parlement, dont quatre membres devraient
participer au comité de surveillance, serait faite a posteriori par un
document budgétaire spécifique compte tenu de la disparition
des programmes créés par le présent projet de loi de
finances rectificative dès 2011." (p.64)
Il faut ajouter
à cela que :
"Le
présent projet de loi est difficilement
lisible, du fait – comme dans le cas du rapport de MM.
Alain Juppé et Michel Rocard – de l’absence de tableau
synthétique ventilant les différentes dépenses selon
leur nature (dotations consomptibles, dotations non consomptibles,
prêts…).
Une telle ventilation est pourtant indispensable : sans elle, il n’est
pas possible de déterminer quand les sommes concernées seront
effectivement décaissées par les administrations publiques, ni
d’évaluer l’impact économique de l’emprunt
national.
La commission des finances s’est donc efforcée, à titre
indicatif, d’élaborer un tel document, en fonction des
informations figurant dans le texte". (p.72)
Pour sa part, Jean Arthuis, le président de la Commission des finances
du Sénat en question, en est arrivé à parler d'
"illusion budgétaire".
Il a aussi jugé le recours aux crédits non consomptibles
"astucieux".
On ne lui fait pas dire…
6.
Délinquance officielle potentielle ou abus politique potentiel.
Etant données de telles considérations, faut-il en arriver
à parler de délinquance officielle des hommes de l’Etat
de la Grèce ou de la France, voire d'abus politique des hommes de
l’Etat de la France ? Peu importe en définitive.
Une fois de plus, il ne faut pas regarder le doigt du sage qui montre la lune
- ce qu’on fait quand on lit les propos précédents et
surtout quand on y prête attention -, mais la lune.
La lune, ce sont les règles de droit, les "règles
abstraites de juste conduite" que les hommes de l’Etat
transgressent allègrement ou font oublier sous prétexte de justice sociale
ou d’autres anti concepts du même tabac – principe de précaution, commerce équitable,
développement durable…, protection du climat -
qu’ils disent vouloir établir et quoique ces règles de
droit aient fait la force de l’Occident dans le passé,
jusqu’au début du XXème siècle.
En l’espèce, très exactement, la lune, c’est une
conséquence directe des règles de droit, à savoir la
comptabilité commerciale en partie double qui est
reléguée au second rang par les hommes de l’Etat, le
premier étant donné par leurs soins à des comptabilités
qui n’ont de comptabilité que le nom et qui sont établies
par des monopoles privilégiés par eux-mêmes.
Le doigt du sage, ce sont les artifices qui étayent la transgression
ou les moyens de l’oubli : par exemple, l’accent mis sur les
parties prenantes privilégiées dans les scenarii en question ou
les originalités individualisées de ces derniers.
En l’espèce, ce sont en particulier :
- dans le cas de la Grèce, le type de "swap de monnaies"
qu’aurait conseillé tel ou tel intermédiaire financier
américain et à quoi aurait participé telle ou telle
contrepartie, grecque ou non grecque, bancaire ou non bancaire,
- dans le cas de la France, les "crédits non consomptibles"
dont tel ou tel bureaucrate français a inventé l'expression et
à quoi l’"emprunt national" de 35 milliards d'euros
contribuerait à hauteur de 45,4%.
Mais, je le répète et conclus : peu importent ces artifices,
importent la mise de côté des règles de droit par les
hommes de l’Etat, qu'ils soient ceux de Grèce ou ceux de France,
dont la conséquence est l’immoralité ou, si on
préfère le mot, l’injustice qu'ils prétendent
combattre et à quoi conduisent leurs fausses comptabilités.
Il faut restaurer les règles de droit et leur respect par les hommes
de l'Etat.
Georges
Lane
Principes de science économique
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de
Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du
séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi
les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
|
|