Oui, ce à quoi nous
faisons référence par le terme « public » existe bel et bien.
Dérivé du vieux Latin populous (le peuple), publicus (du
peuple), et enfin du vieux Français public, ce terme fait référence à
la masse d’adultes qui résident au sein d’une polity, une société sous
gouvernance (politique). Aux Etats-Unis, le gouvernement revêt l’habit de la
République, un terme qui nous vient du Latin res publica (la chose
publique, le vaisseau qui contient ce qui est public).
Si je définis ces
termes, c’est pour vous montrer que notre société se fissure. Le public
américain, we the people, se pâme aujourd’hui dans un marécage d’échecs
multidimensionnel : l’échec de contrôler sa vie économique, l’échec de
réguler son appétit et son corps, l’échec de comprendre ce qui lui arrive, l’échec
de refuser la propagande et les distractions qui le handicapent, et l’échec d’exprimer
correctement et de diriger sa colère vers les éléments de politique qui la mériteraient.
Il est vrai que leurs
échecs actuels sont largement liés à et ont été aggravés par ceux qui ont
capturé la sphère politique pour en faire un appareil de pillage et de
racket. La conséquence en est un cercle auto-renforcé de dégradation qui moisit
la morale collective du public tout en détruisant le vaisseau de la
République qui la contient.
Les sociétés qui
agissent comme si elles étaient les otages de ces forces de dégradation sont
capables de se prétendre impuissantes face à elles ; de prétendre que le
public n’est aucunement responsable de ses propres choix ou de la désintégration
des politiques sous lesquelles il vit. D’où la condition actuelle du public
américain et de son infâme gouvernement.
Il n’est pas difficile
de comprendre comment Donald Trump a pu devenir l’instrument de la colère du
public. Peu importe ce que représente sa carrière irrégulière dans l’immobilier,
il a l’avantage d’être au moins un acteur libre et débridé dans l’arène
politique. Le public apprécie majoritairement ses prétentions d’indépendance face
à la machine d’extorsion qu’est devenue la République. Son dédain évident
pour ses rivaux, et pour le processus politique dégoûtant érigé à l’occasion
des élections, réjouit aussi un gros pourcentage du public. Mais jusqu’à
présent, ses idées en matière de gouvernance ont manqué de cohérence - à l’exception
de la notion assez générale d’immigration incontrôlée et des débats
mensongers qui l’accompagnent - ce qui ne peut pas être une bonne chose pour
la République. Au-delà de ça, il se contente de se vanter de sa propre
intelligence, de sa capacité à faire des affaires et de son patriotisme.
Jusqu’à présent, rien n’a
pu le faire reculer ou tomber à genoux. Fox News a fait tout son possible
pour lui mettre des bâtons dans les roues la semaine dernière à l’occasion d’un
débat qui n’en était pas un, en essayant de soulever le public féminin contre
lui pour avoir au fil des années émis des remarques désobligeantes envers les
femmes. Bien évidemment, le petit secret de la politique et des médias est
que les bavardages de coulisses entre les candidats et les présentateurs est
tout aussi haineux que tout ce qu’a pu dire Trump. Au cas où vous ne l’auriez
pas remarqué, les Etats-Unis se sont transformés en un égout verbal,
notamment pour ce qui est du monde virtuel de la télévision. Je ne me
souviens pas avoir déjà vu quelqu’un se plaindre du comportement des
personnages de Badda-Bing
Lounge, de Tony Soprano. En réalité, les oscars ont plu sur ce
genre de représentation comportementale. Voilà qui nous sommes devenus.
L’ascension et la persistance
de Trump soulèvent une question plus pertinente encore : pourquoi les
autres candidats sont-ils des porte-paroles si évidents de la machine d’extorsion
qui détruit la République ? Pourquoi personne, à la possible exception
de Bernie Sanders, n’a-t-il ouvertement critiqué le fonctionnement de base de
cette machine ? Pourquoi aucun autre individu important ne s’est-il
prononcé contre les dynamiques suicidaires de notre ère ?
Nous avons traversé de
nombreux cycles historiques, politiques et économiques. L’un d’entre eux
affecte particulièrement le public américain d’aujourd’hui : notre cycle
de compréhension de ce qui nous arrive est désormais au plus bas. Il arrive
que les sociétés réalisent parfaitement ce qui leur arrive et le communiquent
superbement bien. C’est ce qui a été le cas à la fin des années 1700, alors
que les dirigeants américains signaient leur divorce avec la Grande-Bretagne.
Pouvez-vous imaginer les clowns qui animent les « débats » sur Fox
News jouer un rôle dans la rédaction des Essais fédéralistes ? Bien
évidemment, le public et ses représentants n’ont aujourd’hui aucune idée de
ce qui se passe. Et, naturellement, ils n’ont aucune idée de ce qu’il faudrait
qu’ils fassent pour y répondre.
Ce qui précède laisse
supposer qu’ils sont des personnes honorables, ce qui n’est peut-être pas le
cas. C’est là la critique première faite contre Hillary Clinton : elle
est un monstre d’ambition sans aucun principe, et rien de plus. C’est aussi
là l’argument que j’ai contre elle. Parmi les Républicains, seul Rand Paul
semble ne pas être une marionnette au service de la machine d’extorsion.
Après tout, le parti républicain est l’incarnation même de cette machine. Et
en essayant de jouer dans cette cour, Rand Paul pourrait manquer de la force
morale nécessaire à cet affront.
Je suis avec ceux qui
pensent que les élections de 2016 seront un spectacle sauvage au-delà de l’imagination
des médias de l’information. Je suis absolument convaincu qu’entre autres
choses, le système bancaire implosera si fort avant les conventions de
nomination que la nation sera en état de chaos. Ce à quoi nous assistons
aujourd’hui n’est qu’un spectacle muet qui recycle des thèmes usés d’une ère
sur le point de baisser le rideau.