Un jeu de chaises musicales, -au niveau olympique-,
s’apprête à atteindre son paroxysme ces jours-ci dans la
finance mondiale, alors que les yeux du monde entier sont tournés vers
les festivités qui ont lieu en Colombie Britannique et dans lesquelles
des hommes adultes se battent pour du faux or en montant sur des trucs qui
ont l’air de plateaux de cafétéria et avec lesquels ils
dévalent des pentes montagneuses glacées : c’est le
moment qui revient tous les quatre ans et pendant lequel vous vous demandez
pourquoi vous n’avez pas acheté de luge à vos gosses pour
Noël.
Les publicitaires doivent adorer, mais six mille miles plus loin, il y
a tout un groupe de banquiers européens qui doivent se demander
comment ils vont réussir à s’asseoir sur un nombre de
sièges qui diminue constamment, et sans perdre d’argent. La
Grèce est en faillite. L’Histoire est un grand plaisantin dans
un sens. Au moment même où vous vous demandez comment
l’Amérique va réussir à faire de
l’Afghanistan un pays sûr pour y établir une démocratie
ou bien si le Venezuela va exploser avec les marchés pétroliers
voici qu’arrive gentiment, pittoresque et inoffensif, le vieil oncle de
Grèce, – pays
d’antiquités et de petits entrepreneurs-, et qui risque de tout
balancer en l’air.
Ceux qui dirigent l’Europe ont trois possibilités: venir
à la rescousse de la Grèce, laisser la Grèce couler
(dans une dépression économique
désespérée) ou bien prétendre sauver la
Grèce. La triste vérité de cette situation est
qu’il n’existe pas suffisamment d’activités
productives en Europe pour soutenir réellement tous les membres de
l’Union Européenne de la manière dont ils sont
habitués à recevoir de l’aide. Ceci est également
vrai des Etats-Unis et des Etats qui les constituent, mais vous le savez
déjà probablement.
L’Europe est un triste cas, vraiment poignant, parce que
c’est devenu un coin tellement beau après les convulsions de la
première moitié du 20ème siècle. Qui, par
exemple, peut flâner pendant deux semaines dans les attrayantes rues
anciennes de Bruges ou d’Orvieto et ne pas se désoler, se
désespérer à l’idée de devoir retourner
dans les bidons-villes de l’aéroport Kennedy ? L’Europe
s’est reconstruite en toute beauté après la guerre alors
que l’Amérique est devenue une utopie de clowns trop nourris
conduisant des voitures clownesques dans les banlieues uniformes dignes de
bandes dessinées. Les européens ont des transports publics
merveilleux tandis que l’Amérique laisse ses chemins de fer
à l’abandon. Les hommes européens vont à leur
travail vêtus comme des adultes alors que les hommes américains
sont habillés comme des enfants de cinq ans et ont des flammes
tatouées sur leur cou comme si on assistait à l’invasion
barbare d’Akron, Ohio.
Mais l’histoire, cette moqueuse, dans l’horrible
mélodrame de la démission du capital industriel semble
maintenant avoir fait gentiment marche arrière et
relégué l’Europe dans un coin comme un vieil objet
d’étude sur les agonies de la dé-complexification et de
la délocalisation. L’union monétaire semblait être
une belle idée tant que ses membres ont joué le jeu du racket
du crédit révolving. L’Europe n’a jamais
été si paisible et si heureuse si longtemps. Mais la crise
financière a ouvert un trou noir dans le système de commande et
dans lequel sont engloutis tous les marqueurs de richesses abstraits extrêmement
élaborés – sous la forme de crédits
irrécupérables.
Voilà la triste vérité : il n’existe
plus assez de richesses pour continuer. Des pays comme la Grèce, le
Portugal, l’Espagne, et l’Ireland doivent retourner à leur
ancienne condition de pays économiquement
sous-développés et sous la protection de tranquilisants. Et ce
sont soit les Allemands soit les français qui devront devoir travailler 17 heures de plus par
semaine pour remettre ces pays en
ordre, ce qui semble hautement improbable.
L’Europe a bien d’autres chats à fouetter dans une
perspective plus globale. Par exemple, elle est supposée se procurer
tout le pétrole et le gaz naturel dont elle a besoin pour continuer
à fonctionner. Qui en a ? Et bien, le Royaume-Uni en avait pas
mal mais il l’a gaspillé en construisant des autoroutes et des
banlieues. La Norvège avec seulement un douzième de la
population de l’Angleterre en a encore pas mal, mais pas suffisamment
pour en fournir à toute l’Europe oisive. La Roumanie a environ
une cuiller à soupe de pétrole en réserve,
peut-être moins. Pour le moment, l’Europe se procure toute son
énergie fossile auprès de la Russie et des exportateurs
habituels qui vendent du pétrole dans le monde. En fin de compte,
l’Europe a le choix entre devenir l’esclave
énergétique de la Russie (et pendant un temps seulement parce
que les réserves de la Russie s’amenuisent) ou bien entrer en
concurrence avec la Chine, le Japon, l’Inde et les USA pour acheter de
ce qui provient du Moyen Orient, d’Afrique et du Venezuela. Entre-temps,
tous les exportateurs voient leurs propres exportations s’amenuiser
parce que leur population augmente et augmente et qu’ils versent
davantage de pétrole dans leurs nouvelles centrales
électriques. Sans compter qu’ils ont toujours davantage de
voitures et qu’Hugo Chavez qui continue de pomper de l’essence
à 35 cents pour « le peuple ».
A mon sens, la situation en Europe est irréversible. La
« contagion » de la Grèce a déjà
démarré et ce n’est qu’une question de mois avant
que la péninsule ibérique ne sombre également. Est-ce
que j’ai oublié de mentionner les problèmes financiers
anglais (en soulignant qu’ils ne font pas partie du système
monétaire européen) ? Pour ne pas le citer : le vieux
malade est bien atteint aussi. Il a pris l’express vers le
quinzième siècle et ne le sait pas encore. Sortez les casques
en cuir et les charrues en bois. Le Royaume-Uni est à cours de
pétrole et de crédibilité bancaire, ses seules deux
ressources de ces quarante dernières années) et n’a plus
de temps devant lui. La seule chose qu’il ait encore c’est
beaucoup de mauvaise monnaie à l’abri dans ses coffres –
assez pour creuser encore un peu plus ce trou noir de capital.
Une question plus importante est ce qui va arriver à la paix de
l’Europe contemporaine une fois que l’effet tranquillisant de la
prospérité universelle se sera estompé. Peut-être
sera-t-elle trop choquée pendant un temps pour faire quoi que ce soit.
Plus vraisemblablement, pourtant, les vieilles rivalités (et les
nouvelles) vont voir le jour dans de ces vieilles rues pittoresques. Les
nations qui semblaient peuplées de gens tranquilles dans les
cafés vont se retransformer en sociétés
guerrières. Ne jamais sous-estimer la simple puissance de la
testostérone chez les jeunes hommes oisifs au chômage.
D’autre part, je m’attends à ce que l’Europe
rejoigne la compétition mondiale pour le contrôle des ressources
pétrolières restantes. L’Allemagne et la France, au
moins, n’auront plus le luxe de rendre les coups pendant que les
militaires US tentent désespérément de conserver une
présence « policière » dans les
déserts là-bas. La France et l’Allemagne n’auront
plus le luxe non plus de prendre leur expresso et de se contenter de regarder
l’Iran devenir une puissance nucléaire incontrôlée
avec des missiles capables d’atteindre Francfort et Lyon. Cela va
devenir vraiment intéressant.
Et pendant que tout ceci a lieu, les Etats Unis vont faire face
à des problèmes économiques et capitalistiques
très similaires. Et pendant que leurs Etats feront faillite, on peut
facilement imaginer toutes sortes d’actions politiques malignes
rappelant celles qui ravagent l’Europe en parallèle. Tous ces
arrangements financiers sont interconnectés en tout état de
cause et l’effondrement d’une banque importante, ou d’un
pays, va creuser plus de trous noirs dans les fondations de leurs
institutions de base. Les choses changent vite. Nous ne sommes plus que des
zombies, des morts à l’apparence de vivants.
James Howard Kunstler
www.kunstler.com/
James
Howard Kunstler a travaillé comme journaliste pour de nombreux
journaux. Son dernier livre, « The Long Emergency »,
décrit les changements auxquels devront faire face les Etats-Unis au
cours du 21° siècle. Kunstler prévoit la disparition
progressive de la Surburbia dans le cadre d’un monde en guerre pour la
lutte pour le pétrole. Vous pouvez acheter son livre en cliquant ici, ou avoir
plus d’information en visitant son blog et son site web à: http://www.kunstler.com/
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