En
économie, il existe quelques principes qui sont presque gravés
dans le marbre : si l’offre augmente, les prix
baissent ; si vous consommez
plus, vous ne pouvez que moins épargner ; si vous voulez obtenir
des rendements plus élevés sur vos investissements, vous devez
être prêt à accepter un risque plus élevé.
En
observant l'économie européenne, et plus
précisément les rendements des bons du Trésor des
États membres de la zone euro, il semble que la dernière de ces
propositions ne soit guère pertinente. En effet, alors même que
la dette publique des pays européens fragilisés devient un
investissement plus risqué, les rendements sur investissements sont en
baisse.
Angela, Matteo et Antónis
Ainsi,
au cours des trois dernières années, les rendements des bons du
Trésor à 10 ans ont culminé à 36% pour la
Grèce, 15% pour le Portugal et environ 7% pour l’Espagne et
l’Italie.
Aujourd'hui,
ces rendements sont en baisse : environ 7,5% pour la Grèce, 5%
pour le Portugal, environ 3,5% pour l'Espagne et l'Italie. À titre de
comparaison, sur la même période de trois ans, les rendements
allemands ont fluctué de 1,2% à 2,1%.
Cette
évolution des rendements des bons du Trésor des pays
européens fragilisés est surprenante pour deux raisons.
Tout
d'abord, alors que les rendements ont fortement baissé, le niveau de
la dette publique des pays en question a augmenté. En Italie, par
exemple, le ratio de dette publique par rapport au PIB a augmenté de
120% en 2012 à plus de 130% aujourd’hui. Toutes choses
égales par ailleurs, cette hausse du ratio de dette publique aurait
dû rendre plus risqués les bons du Trésor italiens. Les
investisseurs auraient donc dû exiger un meilleur rendement.
Mais
il faut aussi souligner que cette baisse des rendements des bons du
Trésor des pays fragilisés signifie aussi que les obligations
italiennes ou espagnoles sont vues comme seulement un peu plus risquées
que les investissements dans la dette de l’État allemand.
Cela
a une certaine logique. Alors que la Banque centrale européenne (BCE) peut
être capable de renflouer un « petit » État
comme la Grèce, le niveau d’endettement en valeur de l'Espagne
ou de l'Italie serait certainement trop important pour la BCE. Même si la BCE était
techniquement et juridiquement capable de renflouer l’État
italien, politiquement, ce serait une toute autre histoire.
Sans le soutien de la BCE, les
rendements des bons du Trésor des pays fragilisés de la zone
euro auraient augmenté et non baissé.
Au-delà du niveau de dette publique, des économies
toujours structurellement fragiles
En février 2014, le Centrum
für Europäische
Politik (CEP) a publié son nouveau Default Index évaluant la probabilité d'un défaut souverain
chez les États membres de la zone euro. Cet indice est
particulièrement intéressant car il ne tient pas seulement
compte du niveau de la dette publique, mais aussi de la santé
générale de l'économie, de sa capacité à
générer de la croissance économique et de sa
dépendance envers les fonds étrangers.
À la lecture de cet index,
force est de constater que les économies européennes
fragilisées ne montrent aucun signe d’amélioration. Pire,
la trajectoire de ces économies reste préoccupante, y compris lorsqu’elles
ont réussi à réduire leurs importations de capitaux.
La Grèce est un cas
d'espèce. Au lieu de réduire ses dépenses de
consommation, la Grèce a diminué son capital. Cela
réduit la capacité de la Grèce à
générer de la croissance économique dans l’avenir.
Par conséquent, même en réduisant sa dépendance
envers ces importations de capitaux, la position générale de la
Grèce se détériore davantage. Le rapport du CEP conclut
donc que l’on ne peut pas envisager que la Grèce redevienne
solvable à moyen terme.
Les situations italiennes et
portugaises sont moins mauvaises, mais toujours préoccupantes. Dans
les deux pays, le capital s’est érodé à cause de
l’investissement net négatif. Par exemple, le ratio de
consommation italien s’élève à 101,6%, ce qui
n’est ni sain ni durable.
L’index du CEP conclut donc
que l’Italie, la Grèce et le Portugal souffrent toujours de la
dégradation de leur solvabilité. Il est un peu plus optimiste
concernant l’Espagne mais souligne que l’État espagnol a
encore beaucoup de reformes structurelles à réaliser s’il
veut réduire le fardeau de la dette publique et le chômage de
masse.
Si l’on prend du recul, le
paradoxe devient évident. Les membres fragilisés de la zone
euro voient leur dette publique augmenter et n’ont toujours pas
créé les conditions nécessaires pour une reprise
durable. Dans le même temps, les marchés financiers jugent
apparemment que leur risque de défaut souverain n’est pas aussi
élevé qu'on le croyait il y a quelques années.
Angela, financièrement
à l’aise, emprunte à 2% ; Matteo, en situation
préoccupante, emprunte à 4% ; Antónis,
en situation alarmante, emprunte à seulement 8%.
Comment expliquer ce paradoxe ?
Ce ne serait pas la première
occasion où les marchés évaluent mal le risque de défaut
souverain des pays membres de la zone euro.
Juste après l'introduction
de la monnaie unique, les rendements des bonds du Trésor
des pays de la zone euro ont convergé vers les niveaux allemands. Le
simple fait que ces pays partageaient soudain la même devise a conduit
les investisseurs à agir comme s’ils estimaient que leurs risques
de défaut souverain étaient identiques. C'était une
erreur, comme on a pu le constater depuis le début de la crise des
dettes publiques de la zone euro.
Le même processus de
convergence des rendements est de nouveau à l’œuvre. Aujourd’hui
comme hier, il n'y a pas de bonnes raisons de partager cet optimisme.
Si, comme l’a dit George Soros, la crise de l'euro n'est pas terminée. Elle
est seulement en attente. Les rendements des bons du Trésor des pays
fragilisés sont donc trop faibles.
Ils vont grimper à nouveau
des qu’il sera clair, pour les investisseurs, que ces pays ne sont pas
sortis de leur crise économique, que la BCE n’est toujours pas
capable de les sauver et que le noyau de la zone euro n’est pas assez
fort pour les renflouer.
Voici, sous la forme d’un truisme,
un autre principe économique : si quelque chose ne peut pas durer
éternellement, il cesse un jour d’exister.
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