Un texte de Nafy-Nathalie et h16
Dormez tranquilles braves citoyens ! L’État est bon, l’État est fort, l’État donne du peps au petit déjeuner, il a pensé à tout et veille sur vous. C’est sans doute la raison pour laquelle il a adopté début décembre un amendement à la loi Égalité et Citoyenneté permettant la résiliation de plein droit du bail de logements dans lesquels vivent des dealers condamnés pour trafic de drogue dans l’enceinte de l’immeuble.
Magnifique ! Formidable ! Extraordinaire ! Enfin !
Enfin ? Peut-être pas, finalement.
L’exposé sommaire de présentation de l’amendement laisse en effet pensif :
« Le trafic de stupéfiants constitue, avec les dégradations et les incivilités, l’une des causes majeures des problèmes de troubles de voisinage et d’atteinte à la jouissance paisible que subissent les locataires. Les bailleurs se trouvent souvent démunis pour agir à l’encontre de ces fauteurs de troubles et les locataires en place ne comprennent pas l’inaction du bailleur. »
Délicieux esprit du législateur, qui, plutôt que supposer le propriétaire comme première victime des agissements de son dealer de locataire, préfère défendre les autres locataires, fort enquiquinés de l’inaction du bailleur (ce dernier, riche propriétaire, étant par défaut une grosse feignasse, c’est bien connu).
Pour ce faire, il propose donc que le contrat de location soit « résilié de plein droit à la demande du bailleur, lorsque le locataire ou l’un des occupants du logement a fait l’objet d’une condamnation passée en force de chose jugée au titre d’une infraction sanctionnée à la section 4 du chapitre II du titre II du livre II du code pénal et concernant des faits qui se sont produits dans le logement, l’immeuble ou le groupe d’immeubles. »
La bonne nouvelle cachée dans ce sabir juridique, c’est que dans ce cas, le juge n’aura plus à apprécier la légitimité du motif pour accorder (ou non) la résiliation et l’expulsion. Il devra se contenter de constater la réalité de la condamnation, ce qui validera automatiquement la résiliation et l’expulsion.
À première vue, le principe semble simple comme bonjour à appliquer.
Malheureusement, le diable est dans les détails : il ne s’agit pas de prouver que l’occupant se livre actuellement à des pratiques illégales mais de prouver qu’il a déjà été condamné. La nuance est importante. Le locataire qui trafique, sans avoir encore été condamné, ne rentre pas dans le cadre de cet amendement. Seul celui qui a trafiqué et a été condamné y rentre bien.
Bigre : les choses se corsent pour le propriétaire lambda puisque l’accès aux casiers judiciaires est sécurisé et impossible à obtenir pour le particulier. Comment va-t-on lancer une procédure pour faire constater la résiliation de plein droit et l’expulsion sans cet élément que légalement le propriétaire n’a pas le droit de posséder ? Mystère.
D’autre part, même en imaginant qu’on puisse savoir que le locataire a effectivement déjà été condamné, quelques petits soucis demeurent : dans ce cas, au nom de quoi un locataire, ayant purgé sa peine et qui ne serait pas récidiviste (qui a donc payé sa dette à la société), pourrait tout de même être l’objet d’une résiliation de plein droit et d’une procédure d’expulsion ?
Bigre derechef.
En outre, DALO, sur son site, remarque également que cet amendement va, selon lui, « sanctionner des innocents » et pourrait également concerner les consommateurs de stupéfiants (soit par estimation, 4 millions d’individus et leurs proches) puisqu’il vise l’article 222-37 du code pénal qui sanctionne également l’acquisition ou l’emploi illicite de stupéfiants.
Enfin et au passage, difficile de ne pas voir qu’encore une fois, l’État essaye dès qu’il le peut de se débarrasser de ses fonctions régaliennes en les transférant sur les propriétaires qu’il ne cesse pourtant de malmener en parallèle.
Bigre au cube.
Ainsi, et si l’on en croit à la fois les impôts qu’on paye, les nombreux codes de lois et le petit air pincé que prennent nos ministres de l’Intérieur lorsqu’on évoque la question, ce n’est pas à un citoyen (fut-il propriétaire) d’enquêter sur un autre citoyen (fut-il son locataire), c’est le travail de la police, en somme : de l’État.
Ainsi, ce n’est pas au propriétaire d’assurer la sécurité et la tranquillité dans un immeuble mais à la police, c’est-à-dire de l’État. La recrudescence de la mise en place de polices privées armées depuis un amendement de 2011 pour garantir la sécurité des habitants dans des lieux où l’État se désengage totalement et qui deviennent des zones de non droit est plutôt inquiétante et symptomatique de ce genre de tendance.
Ainsi, l’État transfère ses fonctions régaliennes sur les familles, rendues responsables des agissements de leurs membres. Expulser des familles entières au motif que l’un de ses membres a été condamné pour trafic de drogue n’est pas anodin, surtout que rien dans l’amendement n’exclut de résilier le bail en cas de peine purgée.
Enfin, l’étude du bénéfice putatif de l’amendement pose question : tout indique qu’il y avait déjà tout ce qu’il faut dans le corpus de lois précédentes.
En effet, l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989 indique que le locataire doit « user paisiblement des locaux » et « répondre des dégradations et pertes qui surviennent ». Dans l’article 15 de cette même loi, une des seules conditions possibles pour résilier un bail est un motif légitime et sérieux. On peut supposer que le trafic de drogue rentre donc déjà dans ces motifs. L’article 1384 et suivants du Code civil disposent que l’« on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde « . Le locataire, également responsable des personnes qui vivent chez lui, la résiliation et l’expulsion pour trafic d’un tiers au bail vivant dans le logement est déjà possible.
D’ailleurs, ces dernières années, un nombre croissant de résiliations et d’expulsions ont été prononcées pour du fait de trouble de voisinage (vol, dégradation, trafic de drogues) et ont fait la une des journaux. On a eu le cas à Boulogne en 2012 ou en 2013 à Saint Denis, où une famille a été expulsée, et ainsi de suite.
En somme, cet amendement, fort délicat à mettre en œuvre, ne change fondamentalement pas grand-chose. Son bénéfice apparaît de plus en plus incertain.
Rappelez-vous que le DALO (« droit au logement décent opposable ») a été voté le 5 mars 2007 comme nous vous l’expliquions dans cet article de Contrepoints. Il a eu pour effet de faire condamner l’État – et donc le contribuable in fine – 25 000 fois entre 2008 et 2016 et de lui faire supporter de coûteuses astreintes comme par exemple 25 millions d’euros en 2013 ou 19,2 millions en 2014.
Eh oui : l’État qui a constitutionnalisé le droit au logement se retrouve maintenant condamné parce qu’il n’arrive pas à faire face aux obligations qu’il s’est lui-même mises sur le dos. C’est en toute logique qu’il traine donc des pieds à faire expulser les locataires et se retrouve condamné à la demande des propriétaires pour défaut d’exécution.
La notion de locataire de bonne foi qu’il a introduit dans la loi ALUR donne une tournure intéressante à l’opération : cet amendement va lui permettre, en plus de se décharger de ses obligations régaliennes auprès des propriétaires, de pouvoir exécuter les décisions d’expulsion prises tout en se dédouanant de son obligation de relogement.
Tout ceci ne peut que très bien se terminer.