|
Mon
premier souci d'économiste est de m’efforcer de poser des problèmes de fond
dans un langage accessible, lesquels auront de grandes chances d'être
illustrés par l'actualité en vertu du principe « plus ça change, plus
c'est la même chose ».
Quand
j'évoquais, dans une récente chronique, que tout a un prix et que je
considérais des exemples sur le marché immobilier ou dans le domaine de la
santé, je ne me doutais pas - mais j'aurai dû m'en douter - que les
socialistes proposeraient, dans leur élan démagogique (et quand ils ont pris
conscience qu’ils allaient perdre le pouvoir), l'équivalent de la CMU dans le
domaine du logement.
Que
l’on se comprenne bien, mon souci n'est pas de défendre le marché, les
patrons ou les profits ; d'ailleurs, les patrons sont bien les derniers à
apprécier la concurrence tant celle-ci est une menace constante sur leurs
profits. Mais, mon sentiment et mon opinion importent peu, à vrai dire ; les
phénomènes économiques existent indépendamment de mon sentiment et de mon
opinion. Et, ils existent indépendamment de votre sentiment. Nier et
refouler le marché ne nous aidera jamais à le
comprendre…mais le marché continuera alors d’exister à notre insu. Mieux
vaut en connaître les ressorts et les mécanismes pour atteindre les objectifs
économiques et sociaux les plus nobles.
Un
économiste de bon aloi ne peut pas faire comme si les marchés et leurs
principes de fonctionnement n’existaient pas. Il y a une telle confusion
aujourd'hui dans l'enseignement en général, et dans les formations
économiques en particulier, que n'importe quel manipulateur de foule peut
s'autoproclamer « économiste alternatif ». Les discours pompeux de José Bové
sont étudiés par les bacheliers et la revue « Alternatives Economiques » est
devenue la source officielle des enseignants du secondaire. Le débat est
descendu dans l'arène médiatique : sous prétexte d'égalité, tout le monde
interpelle tout le monde. Mais, à quel titre ? Avec quelles compétences ? Le
moindre quidam va émettre des propos sur les marchés financiers, le
financement des retraites ou l'effet de serre sous le prétexte de démocratie
totale. Mais, dans ce vacarme où celui qui parle le plus fort croit avoir
raison sur les autres, on oublie les données, les hypothèses de travail ou
les références théoriques.
La validité d’un raisonnement et la portée
d’une réflexion ne se décrètent pas par la violence. Si le vrai débat est
déjà difficile entre chercheurs professionnels (qui peuvent être tentés par
les sirènes de l’audimat plutôt que par les rigueurs de l’objectivité), il
devient cacophonie et verbiage quand il tombe sous les micros piégés des
manipulateurs d'opinion. Accepterait-on que n'importe qui se proclame pilote
d'avion ou chirurgien ? Pourtant, en France, un charlatan peut se trouver en
situation de diriger tout un pays et de le plonger dans la misère et le
chaos. Certains dirigeants d'entreprise peuvent s'avérer être aussi des
charlatans; ceux-là doivent pouvoir être poursuivis et ne doivent pas
s'accrocher à leur place puisqu'ils mettent en danger les employés, les
actionnaires et les clients. En général, c’est justement la sanction du
marché – c’est-à-dire la faillite – qui est la procédure de sélection et
d’élimination la plus efficace. Et c’est bien là la fonction régulatrice du
marché. Mais, la classe politique française s’est arrogée
le monopole de la représentation nationale et de l’expression de l’intérêt
général. On serait alors en droit de la soumettre, à chaque consultation
électorale, à un audit objectif en comparant les promesses proclamées aux
résultats observés. Car, les hommes et femmes politiques ne doivent pas
non plus s'accrocher aux postes de pouvoir dès lors qu'ils ont détourné et
perverti ce pouvoir.
On
a glosé, dans un passé récent, sur les malversations de l'entreprise Eron comme on feignait de s’inquiéter du sort de
l’Argentine. Dans les deux cas, nous dit-on, il y aurait là les signes
évident de la crise – tant de fois annoncée - du capitalisme… Dans le cas de
l'Argentine, les analystes du Wall Street Journal tiraient déjà sur la
sonnette d'alarme, il y a déjà près de 10 ans, et mettaient en garde sur la
politique économique de ce pays sans cesse financée par un déficit public
voué à s'accroître (puisqu'il ne finançait aucune réforme sérieuse). Mais,
les discussions autour de la faillite d'Eron sont
plus révélatrices sinon intéressantes. Ce n'est pas la première fois - ni la
dernière - qu'une grande entreprise fait faillite aux USA. La faillite est au
cœur du principe de fonctionnement de l'économie de marché, notamment aux
Etats-Unis où l’Etat se montre moins interventionniste. Si les patrons ou
managers s’attendent à ce que l'Etat vienne automatiquement au secours de
leurs entreprises dès lors qu’elles sont en difficulté - comme en France où
les patrons ne se privent pas de faire un chantage au social -, alors il y a
fort à parier que les entreprises seront mal gérées et les ressources très
mal allouées. Il n'y avait pas de faillite dans l'économie soviétique... mais
c'est l'économie soviétique dans son ensemble qui a fait faillite. On peut
néanmoins comprendre les dirigeants d'entreprises françaises dans le sens où
l'Etat français contribue, pour une part importante, à dégrader la situation
financière des entreprises (notamment dans le cas d'une liquidation
financière où l'Etat fait partie des créanciers prioritaires, ce qui
contribue à accentuer les difficultés des autres créanciers). C'est le
risque réel de faire faillite qui pousse les acteurs économiques à essayer de
faire des choix les plus efficaces possibles, même s'ils ne détiennent jamais
de certitude à ce propos.
La
faillite d’une entreprise n'est donc en rien la faillite du système
économique ; elle prouve au contraire que le système fonctionne, en éliminant
les entreprises qui gaspillent des ressources (forcément limitées) qui
pourraient être mieux utilisées par d'autres managers (qui dans ce cas se
proposeront de racheter les actifs de l'entreprise en faillite, ces derniers
conservant une valeur aux yeux des repreneurs potentiels...du moins tant
qu'il y a des repreneurs). Rappelons qu’une entreprise est une « personne »
morale qui résulte d'un ensemble de contrats : la faillite signifie donc la
disparition de ces contrats, non des individus eux-mêmes, lesquels se
trouvent libérés de leurs engagements pour effectuer d'autres contrats plus
viables (puisque la faillite indique que les précédents contrats n'étaient
pas tenables). Il n'y a qu'en France que l'on croit que l'on puisse interdire
les licenciements ou supprimer les faillites, l'Etat se portant au secours
des entreprises en difficulté (mais ce principe aboutit à ce que toutes les
entreprises se tournent inévitablement un jour vers l'Etat lequel fera
faillite à son tour). Un Etat interventionniste, qui nourrit l'illusion de
réguler l'économie, fragilise les acteurs économiques - qui ne sont plus
capables ni de prendre des décisions, ni de les assumer - et prend le risque
de ruiner toute l'économie, entraînant la société toute entière dans son naufrage.
C'est précisément ce qu'il s'est passé en Argentine ou en URSS...et peut-être
en France un jour, s'il n'y a pas de changement politique marquant ou de
véritable prise de conscience de la part de l'opinion. Mais la faillite d’une
entreprise est l’arbre qui cache la forêt car que devons-nous alors penser du
parcours de Microsoft, Sun, HP, Apple ou Facebook ? Ce sont des entreprises
qui ont débuté avec un capital-risque somme toute modeste en comparaison de
l'argent public engouffré dans nos « champions nationaux ».
Ces
entreprises sont aujourd'hui des firmes multinationales qui font vivre des
milliers de salariés, d'actionnaires tout en répondant aux besoins de leurs
clients. Dans ce cas, c'est le succès même de l'entreprise que l'on va
condamner : on va, par exemple, reprocher à Microsoft d'être en situation de
monopole. Lorsqu'une grande entreprise fait faillite, on l'assimile à la
faillite du système lui-même ; et lorsqu'une petite entreprise devient un
grand groupe, on crie au danger en délirant sur le pouvoir des firmes
multinationales. Aujourd’hui pas plus qu’hier, le capitalisme n’est en crise.
Ceux qui prennent prétexte des faillites ou des malversations de quelques
groupes internationaux pour réglementer l’économie et « réformer le
capitalisme » se réclament de principes qui partout où ils ont été appliqués
ont conduit des pays entiers à la faillite parce qu’ils ont neutralisé le
seul principe de régulation qui fonctionne, c’est-à-dire le marché. Certes,
le marché est loin d’être parfait mais il fonctionne et il est bien réel
alors qu’une organisation parfaite n’est que chimère puisque toute
construction humaine est nécessairement perfectible. En empêchant la faillite
des acteurs qui ne contribuent pas à créer de la richesse, on fragilise
l’ensemble du système. Et c’est seulement une variation libre des prix qui
nous permet de savoir si les richesses sont correctement allouées.
L’histoire
a montré ce que la théorie soupçonnait : il n’y a aucune exception à la
faillite du communisme. Partout où il a été expérimenté, à l’Est (Russie)
comme à l’Ouest (Cuba), en Europe (R.D.A.) comme en Asie (Vietnam ou Corée du
Nord), au Nord comme au Sud, l’application systématique de principes
alternatifs à une économie libre a conduit aux mêmes résultats : écrasement
des peuples, arrêt de la croissance et appauvrissement du pays, exode des
élites. Il n’y a aucune exception et l’expérience fut massive. Qui peut citer
un pays communiste riche ? Il n’y a même pas une exception pour confirmer la
règle ! Tous ceux qui ont eu la prétention de s’opposer à la régulation libre
et spontanée de l’économie par le jeu de la concurrence, qui implique la
possibilité de la faillite, ont propagé la faillite elle-même. Autrement
dit, dans le contexte d’un marché libre, la faillite peut se produire mais
elle est locale ; dans le contexte d’une économie administrée et planifiée,
la faillite se produit nécessairement et elle est globale. Et ce sont les
orphelins du communisme qui prétendent donner des leçons de saine gestion aux
pays capitalistes ! Dans une économie libre qui autorise le développement de
millions d’entreprises, il y a nécessairement quelques entreprises douteuses
et mal gérées ; mais celles-ci seront inéluctablement évincées par la
concurrence.
La
faillite d’une entreprise mal gérée n’est certainement pas le signe que le
capitalisme est en crise. Les naïfs et les ignorants le croyaient déjà au
XIX° siècle. C’est au contraire la preuve que le marché fonctionne : les
entreprises qui satisfont clients, salariés et actionnaires détiennent la clé
du succès alors que celles qui trompent clients, salariés et actionnaires
sont inévitablement sanctionnées par le marché. Si à court terme les attentes
des clients, des salariés et des actionnaires paraissent contradictoires,
elles sont à terme nécessairement complémentaires puisque tous ont intérêt à
ce que l’entreprise perdure et se développe. D’ailleurs, seule la vision
marxiste sépare ces différents acteurs de l’économie en classes distinctes et
antagonistes alors que, dans les faits, nous sommes tour à tour en situation
de salariés (quand nous louons notre force de travail ou nos compétences),
d’actionnaires (quand nous plaçons notre épargne) et de clients (lorsque nous
consommons). Et l’on doit forcément travailler, consommer et épargner…
L’observation des faits, l’étude de l’histoire économique et la théorie
enseignent que les marchés, les industries, les produits et les entreprises
obéissent à des cycles de vie à l'intérieur duquel la possibilité de grandir
ou de faire faillite joue un rôle fondamentalement régulateur. Les problèmes
systémiques commencent lorsque l’Etat cherche à contrarier ces mécanismes.
|
|