Ne vous laissez pas berner par
les efforts idiots des équipes bleue et rouge. Elles ne font que jouer un jeu
de capture du drapeau sur le pont du Titanic. Le navire sur lequel
nous nous trouvons tous aujourd’hui est l’économie techno-industrielle. Et il
est en train de couler, parce que nous avons laissé s’y infiltrer beaucoup
trop d’eau (de dette) et que la pompe de cale (l’industrie pétrolière) perd
de son élan.
Aucune des deux factions ne
comprend ce qui se passe, bien que toutes deux disposent de baratins élaborés
pour justifier de l’absence de programme crédible d’adaptation de la vie de
notre nation aux réalités de notre époque. Les bleus et les rouges sont
chacun le miroir des illusions de l’autre, et nous devrions tous nous montrer
prudents, parce que la mort des illusions laisse toujours place à la rage.
Les deux factions se tiennent aujourd’hui prêtes à faire exploser le pays
tout entier plutôt que d’accepter ce qui les attend au tournant.
Ce qui les attend n’est que le
fruit de la mauvaise gestion de notre société depuis qu’il est devenu
évident, dans les années 1970, que nous ne pourrions pas maintenir notre mode
de vie indéfiniment. C’est fou ce qu’il est possible d’accomplir au travers
de la fraude comptable. Mais au final, elle est un affront à la réalité, et
la réalité a bien des moyens de se charger des punks que nous sommes. Elle a
un tour de magie bien à elle : elle peut faire s’évaporer le mirage de
fausse prospérité.
Et c’est là exactement ce qu’elle
fera, parce que la finance est le moins étayé et le plus abstrait des
systèmes dont nous dépendons. Ce système ne dépend que de la simple confiance
en le fait que les parties honoreront leurs obligations les unes envers les
autres. Quand cette confiance se désagrège, et que les banques ne peuvent
plus se fier aux autres banques, la monnaie disparaît, et plus rien ne peut
fonctionner. Il devient impossible de retirer de l’argent au distributeur. Le
chauffeur responsable de livrer des avocats au supermarché ne fait pas le
déplacement parce qu’il sait qu’il ne sera pas payé. Le producteur d’avocats
est condamné à regarder pourrir le reste de sa récolte. Les étalages des
supermarchés se vident. Et vous n’avez plus de guacamole.
Il y a bien trop de lignes de
faille dans l’édifice de la fraude comptable pour que notre système bancaire
global puisse continuer d’avancer et de prétendre pouvoir honorer ses obligations.
Ces lignes de faille parcourent les marchés obligataires, les marchés
boursiers et les banques elles-mêmes à tous les niveaux, les organisations du
gouvernement qui prétendent réguler les dépenses, les institutions qui sont
chargées de publier les données économiques, celles qui oublient de réguler
la mauvaise conduite et le crime, les corporations, les compagnies d’assurance,
les fonds de pension, les accréditeurs de prêts hypothécaires et de prêts
étudiants, et les agences de notation. La fraude comptable fait s’imprégner
une éthique criminelle dans des entreprises autrefois légitimes telles que la
médecine et l’éducation supérieure, qui ne sont aujourd’hui plus que des
rackets qui tirent le plus de profits possibles tout en fournissant au public
des services insatisfaisants.
Trump sera bientôt débordé par
tout ça, et cèdera sous le poids de ce gargantuesque désordre. Voilà qui fera
surement dérailler son désir de refaire des Etats-Unis une grande nation – à la
1962, usines vrombissant, autoroutes encore en projet, aventures dans l’espace,
et sens de supériorité par rapport à tous les anciens empires délabrés du
monde. La situation pourrait selon moi dégénérer si rapidement que Trump sera
peut-être démis de ses fonctions par un groupe de généraux et de membres des
services secrets qui en auront eu assez de le regarder se comporter à la
manière du Capitaine Queeg dans la salle des commandes.
Voilà qui devrait être salutaire,
puisque seul un choc extrême aura des chances de dénicher les factions bleue
et rouge de leurs tranchées d’excuses idiotes. Si le parti démocrate avait
dédié un cinquantième des efforts qu’il gaspille à légiférer sur le privilège
des toilettes transgenre à la gestion de nos mal-investissements tragiques
dans le domaine de l’urbanisation, nous pourrions encore disposer d’un avenir
plausible. Mais le parti démocrate s’est transformé en une garderie réservée
aux sales gosses, qui se battent tous pour le même seau de Lego. Le parti
républicain est désormais la maison de Norma Desmond dans Sunset Boulevard, avec Donald
Trump dans le rôle de Max le majordome, qui se démène comme un beau diable pour
préserver les illusions.
Toutes ces absurdités ne sont qu’une
distraction qui détoure notre attention de la tâche qu’il nous faut désormais
accomplir : trouver un moyen de vivre dans le monde post-industriel qui
nous attend. Ce monde ne fonctionnera pas de la même manière que celui auquel
nous sommes habitués. Il écrasera nos attentes et nos suppositions. Et mentir
à propos de tout et n’importe quoi ne sera plus une option. Nous ne
disposerons pas des ressources nécessaires à dissimuler notre malhonnêteté.
Notre monnaie devra être saine, sans quoi nous mourrons de faim et de froid.
Espérons seulement que l’Etat de droit perdure. Et personne n’obtiendra de
points pour être sexuellement confus.
Je m’attends à ce que le feu d’artifice
financier commence au mois d’avril, après que les débats quant au plafond de
la dette conduiront le Congrès vers une impasse amère, et qu’il deviendra
évident que l’orgie de développement d’infrastructures sur laquelle le slogan
de Trump est basé ne pourra jamais voir le jour. Les élections qui auront
bientôt lieu en France et aux Pays-Bas ont le potentiel de faire se
désagréger l’Union européenne, et avec elle les bases des banques
européennes. Très bientôt, tous les partis et factions se demanderont « où
sont parties les promesses scintillantes de modernité ? » à mesure
que nous déraperont vers l’aube d’un monde fait à la main.
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