Le livre d'Irving Fisher (1911) intitulé en français Le pouvoir d'achat
de la monnaie pêche par de nombreux points (cf. le texte
original).
Mais cela ne l'empêche pas d'être implicite dans beaucoup de raisonnements.
Murray Rothbard a eu l'occasion de dire en
1962 ce qu'il pensait des erreurs de l'"équation des
échanges", un des chapitres du livre, dans son ouvrage Man, Economy,
and State with Power and Market
(cf. son texte "The
Fallacy of the Equation of Exchange" que
j'ai repris dans mon texte
de décembre 2013.
Je voudrais évoquer la fausse causalité que des économistes en tirent en
suivant ce qu'avait écrit Fisher et la politique monétaire erronée qu'ils
conseillent aux prétendus responsables.
1. L'"équation des échanges".
Comme son nom l'indique, l'"équation des échanges" est d'abord
un être mathématique, à savoir une équation du 1er degré à une inconnue, le
mathématicien dénommant l'inconnue "vitesse de circulation des échanges
de marchandises par la monnaie".
Au point de vue économique caché par l'équation, la vitesse en
question (notée "V") permet de relier par une égalité les
échanges de marchandises effectuées dans une période passée (notée
"T") et la quantité de monnaie en circulation (notée
"M") qui est allée de pair et qu'on suppose ne pas avoir variée :
T = V. M
De ce point de vue, "V" n'est donc plus une inconnue, mais un
trait d'union, en fait un trait d'égalité ou d'identité entre deux grandeurs,
les échanges de marchandises en monnaie et la quantité de monnaie en
circulation.
Dans son travail, Fisher n'en est pas resté là.
Au prix d'une manipulation mathématique, sans réalité économique comme l'a
souligné Rothbard dans le texte cité, il a vu dans
les échanges de marchandises en monnaie le produit arithmétique de deux
grandeurs qu'il a dénommés, pour l'une, "échanges en volume" (notés
"t"), et pour l'autre, "niveau des prix des échanges"
(noté "p").
Son équation est ainsi devenue l'égalité ou identité:
p.t = V.M
Statistiquement, la vitesse n'avait pas de mesure donnée a priori
par Fisher.
Sa mesure était donc inconnue.
Mais, au moins depuis cette date, des économistes se sont faits forts de lui
en donner une, en particulier, les économistes monétaristes de la décennie
1960, et ils ont utilisé des statistiques, puis de l'économétrie pour y
parvenir.
La mesure de la vitesse n'était donc plus inconnue, mais variait d'un pays à
un autre, d'une période à une autre, elle n'était pas constante.
2. La pseudo astuce de Milton Friedman.
La démarche de Milton Friedman a consisté, dans un article
de 1970, à modifier un des paramètres de l'"équation des échanges" et
à passer des "échanges de marchandises en monnaie" au
"revenu nominal" (noté "Y" et mesuré par la comptabilité
nationale comme "production intérieure brute").
Mais rien n'y a fait.
La variabilité de la vitesse de circulation ainsi modifiée est toujours aussi
grande sous la forme:
Y = V.M
Etant donné la manipulation mathématique du "niveau des prix" à
quoi s'était employé Fisher - en transformant des prix en monnaie des
marchandises en un niveau général des prix -, Friedman a pratiqué une
manipulation analogue en considérant que le "revenu nominal" était
le produit arithmétique de deux grandeurs, l'une, ce qu'il dénomme le
"revenu réel" (noté "y"), et l'autre, ce qu'il dénomme le
"niveau des prix" correspondant (noté "p").
Le "revenu réel" cache le volume d'emploi (et par conséquent le
volume de chômage) comme le veut l'habitude des macroéconomistes
depuis lors.
L'"équation des échanges" est devenue ainsi l'égalité ou, si
on préfère le mot, l'identité:
p.y = V.M
3. La fausse causalité.
Qu'à cela ne tienne, l'"équation des échanges" ou, sous sa
forme actuelle, l'"équation du revenu nominal" n'est en rien
une relation de causalité entre la quantité de monnaie en circulation et les
échanges ou le revenu nominal.
Malheureusement, cette prétendue relation de causalité est au cœur des
raisonnements de beaucoup d'économistes et d'hommes politiques.
Elle laisse croire que la variation de la quantité de monnaie en circulation
a des conséquences sur le revenu nominal qui font que le revenu nominal varie
dans le même sens.
En outre, elle fait croire que la variation de la quantité de monnaie en
circulation a des conséquences à la fois sur le revenu réel et sur le niveau
des prix.
Il est admis, de façon erronée, qu'à court terme, la variation du revenu
réel varie, dans une certaine proportion (non précisée) dans le même
sens que la variation de la quantité de monnaie et qu'à long terme, seule la
variation du niveau des prix varie dans le même sens et dans la même
proportion que la variation de la quantité de monnaie (théorie de la quantité
de monnaie du passé).
4. Le néant de l'économie politique.
Ces considérations ne tiennent pas debout car, en particulier, elles n'ont
aucune valeur économique.
Les variables de l'égalité/identité ne sont pas expliquées par des
raisonnements économiques.
Seule tient debout l'équation mise sous la forme égalitaire ou identitaire
suivante:
T - V.M = 0
qui exclut toute causalité.
L'égalité ou l'identité est alors un truisme qui devrait faire que chacun en
reste à l'accent que Fisher avait donné à son livre, à savoir le
"pouvoir d'achat de la monnaie" et qu'il avait pris pour titre de
l'ouvrage.
a) Conséquence rhétorique.
Le rôle qu'il a donné à ce qu'il dénommait "pouvoir d'achat"
n'était qu'une conséquence rhétorique de la fausse causalité qu'il avait
établie.
Elle allait de pair avec l'autre fausse notion économique qu'étaient les
fonctions de la monnaie et qu'il utilisait pour définir la monnaie.
Il faudrait savoir que les choses n'ont pas de fonction, que seuls les gens
en ont ou en donnent.
L'économie politique n'a pas pour domaine les fonctions des choses.
b) Pouvoir d'achat et vendabilité.
A sa façon, sans l'écrire, Fisher s'opposait de la sorte à la démarche des
"économistes autrichiens" de son époque pour qui la monnaie
était une marchandise qui était facilement vendable (cf. texte de
Menger, 1892).
Et le "pouvoir d'achat de la monnaie" a gagné la partie comme
variable économique et fait oublier la vendabilité.
Reste que "pouvoir d'achat" et "vendabilité"
de la monnaie ont en commun d'être des expressions de rhétorique au mauvais
sens du mot et qu'elles présentent l'inconvénient de faire mettre de côté la
démarche économique qui consiste à raisonner en termes de valeur, de profit
et de coût, bref en termes de ses éléments de base.