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Payer des impôts
n’est jamais agréable, surtout dans nos économies
occidentales, où la part du Produit Intérieur Brut (PIB) avoisine
les 50% quand elle ne les dépasse pas. Mais même à ce
stade, il y a de bons et de mauvais impôts. Je ne parle pas ici de leur
justification, mais de la manière dont ils sont
prélevés.
Dans la plupart des
sociétés démocratiques, l’impôt est
régi par une série de principes de base destinés
à protéger la population contre l’arbitraire. Tout
d’abord, ils ne peuvent être prélevés que si un
texte de loi le prévoit explicitement, que ce texte soit voté
au niveau local (municipalité, canton, province, département)
ou au niveau national.. La nécessité
de produire un texte de loi protège le citoyen contre
l’invention d’impôts « à la tête du
client », et permet aussi à tous de savoir quelle est
exactement la règle qui s’applique.
Protéger
contre l’arbitraire
Ensuite, cette loi, comme
toutes les autres, ne peut violer la constitution du pays, qui
prévoit, en général, l’égalité des
citoyens devant la loi. Un impôt ne peut donc être
discriminatoire : il doit frapper tous les citoyens qui se placent dans
la même situation. En clair, un impôt sur les personnes aux
cheveux roux serait illégal (elle ne s’est pas placée
volontairement dans cette situation) alors qu’une taxe professionnelle
annuelle sur les avocats serait acceptable.
Enfin, comme toutes les
lois, l’impôt ne peut pas être rétroactif :
l’État ne peut pas lever un nouvel impôt exceptionnel sur
vos revenus de l’année 2009, et c’est tant mieux.
Tous ces principes visent
en fait un seul et même objectif : protéger le contribuable
contre l’arbitraire en matière fiscale. Malheureusement, ce beau
principe est battu en brèche depuis de nombreuses années par le
gouvernement. Même s’il existe, en théorie, quelques
garde-fous., au niveau national, mais aussi international.
Protection
européenne
En effet, l’Europe
n’est pas qu’une source d’ennuis et de règlements
tatillons. Elle joue parfois aussi un réel rôle de protection de
l’individu contre l’arbitraire de l’État. Ainsi,
tout citoyen a le droit de porter plainte devant la Cour de Justice
Européenne (CJE) s’il s’estime victime d’une loi de
son pays qui viole les directives européennes ou la Convention
européenne des droits de l’homme. Et il arrive que ce citoyen
obtienne gain de cause, comme nous l’avons vu dans une précédente
chronique. Malheureusement, cette protection est elle-même
limitée : en effet, dans certains cas, les violations de ces
principes sont tolérées par la CJE si
l’intérêt supérieur de l’État est en
jeu. Or, en matière de fiscalité, l’État peut
souvent le prétendre, comme nous allons nous en rendre compte.
Non-rétroactivité
Le principe de
non-rétroactivité souffre en effet parfois d’exceptions
peu ragoûtantes.
En 2001, un contribuable
belge originaire de la petite ville de Lessines se rend compte que le conseil
communal a voté en 2001 les « centimes
additionnels » relatifs aux revenus de l’année 2000.
Pour faire court, les
centimes additionnels sont un « impôt sur
l’impôt » : exprimés en pourcentage de
divers impôts nationaux, ils sont fixés par les communes (les
municipalités) et sont rajoutés à l’impôt
perçu par le fisc, qui le rétrocède ensuite aux
communes. Pour l’impôt des personnes physiques, ce pourcentage
oscille, selon la commune, entre 0% et 10%. Autrement dit, si vous payez un
impôt national de 100 € et que les centimes additionnels sont de
7%, l’État prélèvera 107 € et en
rétrocédera 7€ à votre commune de
résidence. La Constitution belge prévoit que tout impôt
doit être voté annuellement, et interdit donc toute
rétroactivité.
Ce citoyen introduit donc
une réclamation devant les tribunaux. De fil en aiguille,
l’appel atterrit devant la Cour
de Cassation, qui confirme que ces centimes additionnels, parce
qu’ils ont été votés trop tard, sont
illégaux. La commune de Lessines est condamnée à lui
rétrocéder les centimes additionnels perçus. Jusque là, tout va bien.
Intérêt
supérieur de l’État
L’affaire incite de
nombreux contribuables à vérifier si leur commune
n’aurait pas, par hasard, commis la même erreur que Lessines.
Surprise (ou non) : de nombreuses communes se sont montrées tout
aussi négligentes. Les recours se mettent à pleuvoir, au point
que le gouvernement belge finit par s’en émouvoir. Ni une ni
deux, le ministre des finances de l’époque, Didier Reynders,
dépose un projet de loi visant à régulariser cette
situation en autorisant un prélèvement rétroactif pour
les centimes additionnels de 2001 à 2007. Projet de loi dûment
sanctionné le
24 juillet 2008 par le Parlement. Certains contribuables décident
de ne pas se laisser faire, et introduisent un recours en annulation devant
la Cour
Constitutionnelle. Ils contestent à la fois le droit du
législateur d’intervenir dans une procédure judiciaire en
cours et la rétroactivité de la loi, et font valoir qu’en
outre, cette loi porte atteinte au droit de propriété tel que
reconnu dans la Convention européenne des droits de l’homme.
Hélas, la Cour
Constitutionnelle leur
donne tort sur tous les points. Et sort, pour ce faire, l’argument
évoqué plus tôt : l’intérêt
supérieur de l’État. Pour reprendre les termes du
jugement, « Les
dispositions précédentes [le droit au respect des biens] ne
portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre
en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour
réglementer l’usage des biens conformément à
l’intérêt général ou pour assurer le
paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes.
»
En clair, le droit de
propriété s’efface devant le droit des États
à lever un impôt. Pour la petite histoire, l’affaire
n’a pas été portée devant la Cour de justice
européenne qui aurait, selon toute vraisemblance - plusieurs avocats me l’ont
confirmé - adopté
une position similaire à la Cour Constitutionnelle belge. Cet
arrêt de la Cour Constitutionnelle n’est d’ailleurs pas le
seul en son genre. Dans une autre affaire, opposant l’État belge
au secteur gazier, elle avait rendu un verdict encore
plus inquiétant : l’annulation d’une loi, en
maintenant cependant ses effets. « Il convient, compte tenu du
caractère unique de la mesure, des conséquences
budgétaires qu'entraînerait la rétroactivité de
l'annulation des dispositions attaquées, ainsi que de la perturbation
du fonctionnement du service public qui en découlerait, de maintenir
les effets des dispositions annulées ». Vous avez dit
« arbitraire » ?
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