Le monde d’aujourd’hui est entre les
mains d’une brochette de charlatans qui se font passer pour des économistes.
Leur science pseudo-économique n’est rien de plus qu’anciennes superstitions
déguisées en costume moderne. Hier, ils nous parlaient « d’indulgences »,
aujourd’hui ils nous vendent des obligations souveraines. Une scène qui pourrait
sembler amusante, si on oubliait le fait que ces charlatans et leur coterie
de flatteurs qui leur accordent awards, distinctions et Prix Nobels ont porté
le monde jusqu’au seuil de la destruction.
Nous contemplons un spectacle
qui mériterait la satire du grand Erasme de Rotterdam, qui a écrit son
immortel Eloge de la Folie en 1511. Son traité est devenu le premier
bestseller que le monde ait connu – toute l’Europe lettrée l’a lu et en a ri.
Le rire est le plus grand destructeur du pompeux, comme nous l’a expliqué le
sémiologue Humberto Eco dans son livre, Le Nom de la rose.
Si seulement nous avions
aujourd’hui un nouvel Erasme pour faire rire le monde face aux singeries de
nos charlatans qui se font passer pour des économistes, des banquiers
centraux et des ministres des finances.
Erasme s’est moqué de son
monde du XVIe siècle, et nommé « Folie » la déesse suprême qui
le dominait : Folie est maîtresse tous les évènements
Un exemple intéressant et
important de la perte de Folie - ou de nos charlatans, comme j’aime à les
appeler - s’est présenté à Londres au milieu du XIXe siècle.
Peut-être la menace la plus
importante à laquelle ait fait face l’Europe du XIXe siècle a-t-elle été la
possibilité constante de voir se propager la peste et le choléra, qui ont à
de multiples reprises soudainement emporté des centaines de milliers d’Européens
dans les villes les plus peuplées du continent. Un habitant de la ville
pouvait quitter son quartier pour le weekend et découvrir à son retour que
10% de ses voisins avaient été emmenés jusqu’au cimetière dans des boîtes
empilées sur des charrues.
On pensait alors que le
choléra se transmettait par l’air ; les mauvaises odeurs étaient un
signe de maladie, et dans les années 1850 à Londres, la puanteur n’était pas
chose rare. Il n’y avait pas de tout-à-l’égout ; les excréments humains finissaient
dans des fosses sous les celliers des bâtiments, et ces fosses débordaient
souvent jusqu’à inonder les celliers et les cours des quartiers les plus
pauvres. Ces fosses étaient vidées périodiquement par des « collecteurs
de terres de nuit », et leur contenu emporté jusqu’aux champs. C’était
une opération coûteuse. Le peu d’égouts qu’il y avait se déversaient dans la
Tamise, de laquelle émanait une telle odeur qu’un beau jour d’été, le
Parlement s’est trouvé forcé d’ajourner sa séance.
Les charlatans du monde
médical qui sont parvenu à convaincre les autorités civiles que le choléra se
transmettait par voie aérienne ont refusé de contempler toute autre
possibilité.
Pensez à Draghi. Ou à Mme
Yellen. Ou à Ben. Ils refusent d’entendre raison. QE à l’infini – la marque
du charlatan moderne.
En 1836, un jeune homme d’origine
humble a marché 300 kilomètres depuis le nord de l’Angleterre jusqu’à Londres
pour devenir médecin. Et il était un véritable génie.
Son nom était John Snow. En
1853, il a développé une technique simple pour soulager la douleur lors d’une
opération chirurgicale, un mélange d’éther et de chloroforme. La reine
Victoria, qui attendait son huitième enfant, s’est dite intéressée. Snow a
été convoqué pour administrer du chloroforme à la reine lors de l’accouchement,
avec succès. C’est ainsi que notre humble John Snow est devenu le grand seigneur
de la communauté médicale.
Mais son succès n’a pas
étouffé sa soif d’enquête.
En été 1854, une épidémie de
choléra s’est abattue sur le quartier de Soho, à Londres. Des gens ont
commencé à mourir par centaines. Les autorités civiles ont blâmé la mauvaise odeur
qui régnait dans les environs.
Pour Snow, cette théorie
était insensée. Mais est-ce que Draghi fait preuve de logique aujourd’hui ?
Snow s’est rendu compte que si la maladie mortelle venait des intestins – les
intestins étaient dissous par une violente diarrhée en seulement quelques
heures, causant la mort des malades – alors elle entrait le corps humain par
la bouche, et pas par l’air. Sa théorie a d’abord été ridiculisée.
Le médecin le plus
prestigieux de toute l’Angleterre n’est pas resté confiné dans son bureau.
Snow s’est rendu à Soho pour y observer la situation de plus près, et a pris
des notes, debout au milieu des malades et des mourants.
Il a dressé une carte, qui
quelques années plus tard est devenue célèbre, de la zone frappée par l’épidémie,
et s’est rendu compte que les décès recensés étaient clairement associés à la
présence d’une pompe à eau au numéro 40, Broad Street.
Une semaine après le
commencement de l’épidémie, il s’est rendu à une réunion du Conseil des
gouverneurs de la paroisse de St James pour y présenter sa carte, et demandé
à ce que la manivelle de la pompe à eau soit détachée. Le Conseil a beaucoup
douté de ses propos, mais a fini par accepter sa requête. L’épidémie s’est
atténuée. Pouvons-nous espérer que le Keynésianisme soit un jour abandonné en
faveur d’un retour à une monnaie saine ?
C’est un résident de Soho qui
a convaincu Snow que l’eau que la pompe était responsable de l’épidémie de
choléra : un pasteur de l’Eglise d’Angleterre, le révérend Whitehead.
Whitehead était initialement
opposé à la théorie de Snow, mais est finalement devenu son défenseur le plus
ardent. Whitehead a lui-même décidé d’explorer la fosse septique de la maison
située directement en face de la pompe ; la maison de la petite fille
qui avait été la première victime de l’épidémie. La fosse était faite de
blocs pourris, et son contenu se déversait dans le puits du numéro 40, Broad
Street ! La maladie s’est donc déplacée depuis les excréments de la
petite fille jusque dans la fosse de la maison où elle est tombée malade,
puis dans le puits, et a ainsi affecté le reste de la communauté.
Le génie de Snow a prévalu.
Il aura fallu attendre un certain temps, mais sa doctrine a fini par être
acceptée par les « miasmatiques » - ceux qui pensaient que le
choléra se propageait par la puanteur de l’air. Un programme de construction
d’égouts a été mis en place, une véritable œuvre d’ingénierie, et les eaux
usées de Londres ont été déversées plus bas vers la Tamise, où les vagues les
emportaient vers le large.
Sans Snow, le choléra aurait
pu menacer l’existence même de Londres. C’est grâce à lui que les charlatans
ont été vaincus, et que la raison a pu prévaloir. Pouvons-nous espérer de
voir la raison prévaloir de nouveau dans notre monde contrôlé par des
charlatans économiques, bancaires et financiers ? Snow a montré à
Londres que c’est la présence de rejets humains dans l’eau qui décimait sa
population. Quand les économistes de notre monde accepteront-ils que ce sont
les rejets du système bancaire et des monnaies fiduciaires qui tuent notre
monde ?
Snow savait que la maladie se
propageait au travers des restes d’excréments de personnes malades présents
dans l’eau, mais il n’a jamais appris ce qu’il y avait au départ dans les
excréments qui puisse causer le choléra. Il est mort en 1858, à l’âge de 45
ans. Dans les années 1850, des microscopes ont été utilisés pour la première
fois pour détecter la présence de microbes. Trente ans plus tard, Koch a
découvert la cause de la tuberculose, « le bacille de Koch », et a
pu identifier la cause du choléra : Vibrio cholerae. C’est à un
Italien du nom de Pacini que nous devons la découverte des microbes (qu’il a
baptisés animalcules)- bien qu’en 1854, personne n’avait prêté attention
à sa découverte. Aujourd’hui, le microbe responsable du choléra est appelé Vibrio
cholerae Pacini 1854.
* * *
Rien n’a changé au cours des
504 années qui se sont écoulées depuis l’Eloge de la Folie, au plus
grand amusement de toute l’Europe.
La Folie d’Erasme, la déesse
maîtresse du monde, nous pousse vers la destruction.
Je terminerai cet article par
cet extrait de la pièce « The Cocktail Party », écrite par T. S.
Eliott :
"The circle of our
understanding
is a very restricted area.
Except for a limited number
of strictly practical purposes
we do not know what we are doing."
* * *
Pour plus d’informations sur le choléra, je vous recommande la
lecture du livre de Steven Johnson, « The Ghost Map », publié par
Riverhead Books, N.Y., en 2006.