Un texte de Nafy-Nathalie et h16
Puisque, selon le dicton, « Quand le bâtiment va tout va ! », le gouvernement s’emploie donc à faire en sorte qu’il aille. Et pour aller, il va, trottinant vigoureusement de législations en législations qui multiplient les contraintes.
Après avoir multiplié les diagnostics divers pour essayer d’évaluer l’état du parc immobilier, ont débarqué les obligations de travaux pour qu’enfin, toutes les petites normes millimétrées soient bien respectées : amiante, plomb dans l’eau ou les peintures, maintenance des ascenseur, et ainsi de suite jusqu’à plus soif.
Cependant, du côté des propriétaires, on sent poindre comme une petite lassitude : ils ne veulent plus, ne peuvent plus se soumettre au tsunami normatif dans lesquels on les plonge actuellement : il arrive en effet un moment où les fonds viennent à manquer.
Mais pour ceux qui nous gouvernent, peu importe ! À chaque obstacle, une loi sera pondue pour le contourner ! De réunions en comités de réflexion, de comités de réflexion en comité de concertation, on aboutira bien à l’une ou l’autre législation pour éduquer le propriétaire à l’économie et faire plier le récalcitrant, quitte à créer le Fonds Travaux, innovation majeure d’ALUR.
Son principe est simple : si le copropriétaire ne vote pas les gros travaux pour des problèmes de trésorerie ou parce qu’il ne se sent pas concerné par les travaux sur les parties communes, l’État va tout simplement l’obliger à épargner collectivement. Et pouf, le problème disparaît : l’argent, auquel il contribuera obligatoirement à hauteur de ses tantièmes généraux, sera mis de côté par la collectivité, sur un compte bancaire indépendant. Pratique : rien ne se dépense plus facilement que l’argent sur le compte d’un autre.
Encore plus pratique : bien qu’obligatoire à compter du 1er janvier 2017, le fonds n’aura pas à être décidé en assemblée générale, les copropriétaires se contentant de décider du montant des appels de fonds pour le constituer, avec un minimum légal de 5% annuel du montant du budget prévisionnel (budget de fonctionnement « normal » de la copropriété). Bien sûr, rien n’interdit cependant aux copropriétés de décider de cotiser plus. Ne seront pas concernées les copropriétés neuves (moins de 5 ans) ou qui ont moins de 10 lots et qui s’en exonéreraient à l’unanimité, ou celles dont le diagnostic global technique ferait apparaître l’absence de besoin de travaux au cours des 10 années suivantes.
Enfin, ce fonds doit être utilisé pour faire face aux travaux prescrits par les lois et règlements ou ceux décidés en assemblée générale ou les travaux d’urgence (péril).
Avant ce fonds miraculeux, il existait des provisions spéciales pour faire face aux travaux d’entretien. Non obligatoires, ces provisions étaient peu constituées par les copropriétaires qui – bizarrement – semblent préférer gérer eux-mêmes leur argent plutôt qu’abonder collectivement à des provisions qui ne rapportent rien. Du reste, ces provisions ne rapportaient rien non plus à l’État.
La nouvelle obligation change la donne et du point de vue de l’État, c’est un vrai bénéfice puisqu’ainsi, la charge de constituer le fonds et sa collecte relève du syndic. Si un copropriétaire refuse d’abonder, la collectivité préfinancera sa part par principe de solidarité et engagera, à ses frais, les procédures pour récupérer les fonds. L’État peut ainsi être généreux des efforts des autres, en gardant les mains dans les poches (les vôtres).
Mieux encore : l’opération pourrait bien être quasi-indolore pour les copropriétaires. En effet, les charges de copropriété ont baissé ces dernières années (pose de compteurs d’eau individuels, libéralisation du marché de l’énergie, efforts des associations de consommateurs). On a ainsi constaté sur Paris une diminution de ces charges de 7,4% entre 2013 et 2014. La constitution de ce fonds, se traduisant par une ponction d’au moins 5%, reviendra peu ou prou à faire stagner les paiements trimestriels.
Pourtant les sommes en jeu ne sont pas négligeables.
En 2014 une étude de la FNAIM reprise par Le Particulier indiquait que le coût des charges à Paris était de 2167 euros par appartement. Selon l’INSEE en 2006, il y avait 1.322.600 logements à Paris dont environ 90% (soit 1.190.300) en copropriété. De cette estimation basse, le nombre de copropriété augmentant, on peut envisager que ces cotisations annuelles avoisineront les 143 millions d’euros (5% de 2167 pour 1.322.000 logements). Une paille d’autant que cette mesure ne concerne pas que les logements mais tous les biens en copropriété (bureaux, locaux commerciaux, caves, parking, etc.) …
D’autre part, les cotisations pour ces fonds travaux ont aussi pour vocation de remplacer peu à peu les appels de fonds « travaux ». En effet, les copropriétés qui envisagent ces travaux (ravalement ou autres) dans les prochaines années seront amenées à augmenter leur cotisation obligatoire pour les financer et à laisser les sommes sur le compte jusqu’à l’obtention du montant nécessaire à la réalisation. Selon les cas, ce n’est donc pas 5% qui sera prélevé, mais bien plus en fonction des besoins.
Enfin, comprenez qu’il n’est pas question de créer une simple trésorerie « au cas où » ; ainsi, dès que le montant du fonds est supérieur au montant du budget prévisionnel, il faut l’utiliser : dans ce cadre, les copropriétaires doivent élaborer un plan quinquennal pluriannuel de travaux et utiliser les fonds pour les financer. Seule une décision d’utiliser ce fonds selon le plan permet de suspendre les cotisations… Eh oui : dans un calque comique de ce qui se pratiquait dans les pires administrations brejneviennes, l’État impose aux copropriétés de faire des travaux – peu importe leur nécessité – dès que le fonds atteint un certain montant, et puis c’est tout.
Pour prendre l’exemple d’un ravalement, son coût est estimé entre 3000 à 6000 euros par copropriétaire, avec une récurrence de 10 ans. Pour les seuls logements parisiens, le roulement des sommes concernées par ces ravalements dépasse alors 400 millions d’euros (3000€ minimum pour 1.322.000 logements sur 10 ans), montant auquel se rajoute comme au précédent paragraphe celui des autres lots en copropriété.
À titre de mémoire, il y a plus de 9 millions de logements en copropriété en France (chiffre en augmentation croissante) et l’État s’est donné jusqu’à 2050 pour la rénovation énergétique du parc en sus de tous les autres travaux obligatoires. Les volumes de trésorerie mobilisés dans ces opérations laissent tout de même songeur, d’autant que les comptes les recevant devront être rémunérés, ce qui implique intérêts et surtout … imposition !
Or, on attend toujours le décret précisant le type de compte sur lequel seront déposées les contributions, d’autant que d’ici au prochain 1er janvier, il y a un problème de placement et de fiscalité non adaptée à régler : en effet, les livrets existants ont des seuils trop faibles pour être adaptés (le plafond du livret A est de 76.500 euros).
L’idée de la création d’un PEC (Plan d’Épargne Copropriété) fait doucement son chemin avec un prélèvement libératoire à la source (i.e. collecté par le banquier lui-même pour le fisc). Les syndicats de professionnels militent pour ce type de prélèvement qui leur évitera de devoir adresser des attestations à chaque copropriétaire, ce qui représente un travail supplémentaire non négligeable qui, commercialement, ne serait pas forcément facturé ou légalement, même pas facturable.
En outre, les syndics professionnels payent une garantie financière sur les fonds qu’ils gèrent (environ 0,43%) et devront donc payer une prime supplémentaire pour ces nouveaux fonds, garantie qui devra bien être refacturée, d’une façon ou d’une autre, à leurs clients.
Enfin, le décret devra fixer d’autres soucis, notamment le mode de constitution des fonds et surtout leur affectation possible, les travaux qu’ils peuvent financer : s’ils sont employés pour les travaux payés par tous les copropriétaires, quelques casse-têtes pourraient apparaître. En effet, le critère de l’utilité est le fondement de la copropriété et de la loi de 1965 qui la régit. Seuls ceux qui ont l’utilité des choses contribuent à leur vote et paiement. Ainsi, par exemple, des locaux au rez-de-chaussée ne contribuent pas aux charges ascenseur. Les « fonds travaux » constitués pourront-ils alors être mobilisés pour des travaux sur un ascenseur ? De la même façon, comment sera géré le cas des copropriétés atypiques (« copropriétés horizontales » par exemple) dans lequel le commun se limite à l’entretien du passage commun desservant chaque maison ?
Autre point d’intérêt : aucune sanction n’est pour l’instant prévue si le fonds n’est pas constitué. Une obligation sans sanction, voilà qui promet quelques flottements amusants, notamment en cas de contentieux : après le 1er janvier prochain, tout nouvel acquéreur pourrait s’estimer lésé et attaquer le syndicat des copropriétaires pour qu’il prenne à sa charge les 5% d’épargne qu’il aurait dû constituer depuis le 1er janvier 2017.
Le décret sera donc attentivement épluché en espérant que le gouvernement aura trouvé une solution aux problèmes qu’il a lui-même créés. Mais en tout cas, félicitons-le d’avoir ainsi trouvé une méthode imparable pour générer du travail à un secteur du bâtiment un peu faiblard ces derniers temps, méthode qui se double d’un refinancement des banques (via une obligation d’épargne), d’une nouvelle entrée fiscale (via l’imposition de cette épargne) avec un impact minimal sur le contribuable qui n’y verra (moyennant propagande idoine) qu’un souci de bonne gestion, le tout en déléguant toute la charge de gestions aux syndics.
Décidément, pas de doute : quand le bâtiment va bien, l’État va bien.
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