Parce que la baisse du nombre d’emplois pourvus en France est une réalité que les entourloupes statistiques n’arrivent pas à masquer, parce qu’offrir du travail est l’une des missions les plus importantes, si ce n’est LA mission ultime que l’exécutif s’est fixé (au moins officiellement), et probablement parce que les résultats de la lutte contre le chômage sont catastrophiques, François Hollande s’est décidé il y a quelques mois à lancer une grRrande réforme de la formation professionnelle, en accord, du reste, avec sa 35ème proposition de campagne.
C’est difficile d’être président de la République. C’est difficile de réformer dans ce pays. C’est difficile de faire passer pour des réformes des bricolages suffisamment petits pour ne pas déclencher une guerre ouverte avec les syndicats, les salariés, les fonctionnaires ou les corporations. C’est difficile de vendre ensuite l’absence de résultats devant les trop timides ajustements. Mais, malgré tout, « réforme » il y aura donc eu : le DIF, Droit Individuel à la Formation a vécu, place maintenant au CPF, Ce Pays est Foutu le Compte Personnel de Formation.
Et pour du changement, c’est du changement. D’une part, on passe d’une situation connue et maîtrisée à quelque chose de … nouveau.
Enfin, maîtrisée, c’est vite dit, puisque la complexité du DIF était tout de même assez élevée : entre les droits qui se perdaient deux ans après avoir quitté une entreprise, les formations disponibles limitées (en qualité, en quantité, en accessibilité), les difficultés des chômeurs pour en bénéficier, disons que le DIF n’avait pas remporté un succès majeur au sein de la population française. Absence de succès qui se traduit d’ailleurs assez bien lorsqu’on sait qu’une grosse majorité de Français (76%, selon un sondage Opinionway pour l’AFPA) n’ont pas du tout utilisé leur DIF au cours de leur vie professionnelle. Autrement dit, la situation était assez peu connue. Il aurait sans doute fallu former les Français à l’utilisation de leur droit à la formation, je présume.
Heureusement, avec le Compte Personnel de Formation, on va remettre les pendules à l’heure, et si, pour le moment, 51% de ces mêmes Français, interrogés dans le même sondage, avouent ne pas avoir entendu parler de ce CPF, il est probable que la situation change pas mal dans les prochaines semaines. En effet, d’ici à la fin du mois, toutes les entreprises ont obligation de faire parvenir à leurs salariés l’état des lieux les concernant à ce sujet, c’est-à-dire, soit au travers d’une attestation, soit via le prochain bulletin de paie, leur apprendre combien ils ont emmagasiné d’heures de DIF. Munis de ce nombre magique, de leur numéro de sécurité sociale, d’un brin de courage et de patience et d’une solide dose de calme, les salariés, frétillant d’aise à l’idée de pouvoir enfin se former, iront s’inscrire sur le site de Gouvernemaman qui leur expliquera bien tout comment il faut faire.
Reconnaissons que si l’on pouvait sans doute penser à un système plus simple, au moins cette démarche aura-t-elle le mérite de faire prendre conscience de l’existence même du bidule à cette majorité de salariés qui ne savaient même pas qu’il existait, et générera (on peut s’en réjouir en cette période d’activité morose) un regain de paperasserie pour les entreprises qui n’en ont pas trop actuellement. Et du point de vue du système d’information gouvernemental, c’est tout bénéfice puisque des milliers de salariés vont venir s’inscrire sur le site, permettant à la belle idée de prendre son envol de façon harmonieuse et sur des bases saines. Hum.
En tout cas, le nouveau CPF promet tout de même une véritable amélioration de la situation puisqu’en effet, le plafond d’heures monte de 120 à 150, que le compte est indépendant de l’entreprise, suit le salarié tout au long de sa vie professionnelle, et qu’il ouvrira des droits sur des formations plus larges d’un catalogue élargi. Celles-ci seront préalablement sélectionnées par les partenaires sociaux (oh, que voilà jolie formule !), c’est-à-dire les syndicats, ceux-là même en qui vous pouvez avoir toute confiance tant ils ont montré, au-delà de tout doute raisonnable, à quel point ils étaient indispensables à la bonne marche du marché du travail français.
Et c’est là qu’on commence à comprendre que les syndicats viennent, en ce début d’année 2015, de faire un magnifique bond en avant dans la lubrification de leurs rouages. En effet, comme j’en faisais mention dans un précédent billet, difficile d’oublier qu’à partir de cette année, ces derniers bénéficient d’un abondement automatique et obligatoire par une petite taxe spécifique sur la fiche de paie de tous les salariés français. À cette ponction, déjà fort bienvenue en ces temps de disette (ce ne sont pas les adhésions qui renflouent les caisses des syndicats, mon brave monsieur), il faudra donc ajouter la manne de la formation que ce CPF améliore encore un peu.
« Améliore », car il en faut pas oublier que, comme l’explique fort bien un précédent dossier de Contribuables Associés sur la copieuse question de la formation en France, les syndicats ont déjà largement mis la main sur l’ensemble du secteur, et se disputent, avec les partis politiques, les juteuses subventions et volumes financiers massifs (plus de trente milliards, tout de même) que l’État laisse en partage. Pour les partis, on se souvient des reportages plus que gênants sur (par exemple) les Verts qui bénéficient de systèmes pour le moins opaques – et probablement pas très légaux, une plainte a été déposée – de financement. Du reste, le financement direct des syndicats par les fonds de formation professionnelle n’est même pas un secret, même s’il « laisse pantois », comme le dit assez bien cet article du Point.
Or, si le CPF semble une bonne chose sur le papier et du point de vue du salarié, la réforme n’a pas touché à ces aspects douteux. Les syndicats continueront donc à être étroitement liés à la formation, les partis politiques aussi, et l’État continuera toujours à distribuer de la subvention comme avant, à hauteur, par exemple, de plus de 60 millions d’euros pour l’AFPA, premier organisme de formation professionnel, Titanic largement renfloué à fonds publics et « association Loi 1901″ dont le but officieux mais très lucratif ne fait plus aucun doute.
Mais le pompon, c’est que le CPF risque bien d’avoir un coût très supérieur à ce qui a été prévu. Ainsi, en 2013, l’État a dépensé 3.7 milliards d’euros pour la formation professionnelle, dans le cadre du DIF, alors bien plus restrictif que cette nouvelle mouture. Or, avec l’importante publicité qui est faite pour le CPF au travers de cet enregistrement massif des salariés dans le dispositif gouvernemental, et compte-tenu de sa plus grande facilité d’usage, on peut s’attendre à ce qu’au moins 5% des salariés en utilisent les facilités offertes. Or, à 5%, les projections réalisées amènent le coût du CPF entre 5 et 6 milliards d’euros (soit 50% d’augmentation par rapport au feu-DIF).
Tout ceci sent décidément la réussite flamboyante.
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