Il s’en passe des choses à France Télévision, le groupe français de télévision et de radio public intégralement détenu par l’État. Et vous ne le saviez peut-être pas, mais le patron de ce groupe a récemment changé : Rémy Pfimlin en a quitté la présidence au mois d’août pour laisser la place à une certaine Delphine Ernotte. Compte-tenu des déclarations des deux protagonistes, l’un pour son départ, l’autre pour son arrivée, et de leurs implications concrètes pour les contribuables français, il était nécessaire d’y revenir un peu.
Ainsi, début juillet, alors que le brave Rémy s’apprête à quitter La Voix de Son Maître France Télévision, on en apprend un peu plus sur la situation générale du groupe audiovisuel public : non content de n’avoir pu redresser les comptes de la société en perdition depuis plusieurs années, le président nous fait comprendre entre deux petites coupettes de champagne qu’en 2015, le groupe subira un nouveau déficit de plus du double de ce qui était prévu à la base, passant l’ardoise à 10 millions d’euros ce qui est tout sauf de l’argent de poche (même si, de nos jours, en dessous du milliard d’euros, plus personne n’a les mains moites dans la fonction publique). Et ce n’est pas non plus comme si cela relevait d’une situation exceptionnelle puisque le même bastringue télévisuel enregistrait déjà une perte de 40 millions en 2014, après un déficit catastrophique de 130 millions en 2013, date à laquelle le fabuleux visionnaire Pfimlin envisageait un retour à l’équilibre pour 2015 (c’est donc raté).
Un déficit de 130 millions en 2013, de 40 millions en 2014, d’encore 10 pour 2015 ? Franchement, pas de quoi paniquer, et il n’est pas question pour le brave Rémy d’en perdre son sommeil : c’est avec le « sentiment du devoir accompli » que notre fier président s’en va, la tête haute. Et rassurez-vous encore, il ne sera pas au chômage puisque l’État, décidément fort bon maître, lui a trouvé un point de chute douillet au Conseil d’État où il devient « conseiller en service extraordinaire », prouvant s’il était besoin qu’il a déjà fait des étincelles ailleurs et qu’il devrait donc bien pouvoir en faire à nouveau dans ses nouvelles fonctions. On se régale déjà à l’idée des dégâts travaux qu’il va pouvoir réaliser.
Et de toute façon, s’il avait encore quelques efforts à faire, sa remplaçante, Delphine Ernotte — dûment prévenue par son prédécesseur avec son « Soyez tenace ! » qui laisse présager une belle obstination — s’en donnera à cœur-joie et va à l’évidence dépoter du chaton-mignon comme jamais. À peine en poste, elle a d’ailleurs déjà marqué les esprits : devant l’association des journalistes médias le 31 août dernier, elle a ainsi déclaré vouloir accroître de façon importante les recettes du groupe public en augmentant à la fois la redevance et les ventes d’espaces publicitaires. Dans sa bouche, cela donnait ceci :
« Je demande fromage et dessert, c’est-à-dire plus de redevance et plus de pub sinon, il faudra couper quelque part. »
Voilà, c’est dit, il va bien falloir assommer le consommateur de pub et le contribuable de taxes. Reste à savoir si la taxe est un dessert ou un fromage, et si le modèle que propose la brave Delphine est simplement viable. Elle admet en effet que son concurrent direct n’est pas TF1 mais bien Netflix, oubliant que Netflix ne coûte pas un rond au contribuable et que ses productions sont recherchées par les consommateurs, là où les torrents sur Louis La Brocante, production bien franco-française, s’échangent nettement plus mollement que ceux de Better Call Saul, production Netflix typique. Or, par définition, le « business model » de Netflix ce n’est ni la redevance, ni des programmes lourdement entrelardés de publicité. Autrement dit, le concurrent direct de Delphine est plus qu’un concurrent : c’est une Némésis diamétralement opposée, même dans ses résultats annuels, bénéficiaires.
Du reste, on ne s’affranchira pas de noter que « couper quelque part » semble strictement impossible pour la nouvelle présidente. C’est même impensable et probablement aussi tabou qu’un budget équilibré chez les keynésiens de gouvernement, à tel point que la petite Delphine, qui ne perd pas le sens du claquage détendu de l’argent des autres, propose de créer une nouvelle chaîne, d’information continue celle-là, dont on pourra espérer qu’elle fera mieux que les 0% d’audience de certaines autres chaînes du groupe en plein naufrage.
Ce sera donc « redevance à tous les étages ». Concrètement, cela se traduit par … un retour en force de la taxation des tablettes, téléphones, box internet et autres ordinateurs personnels.
Oh. Vraiment, que cela est surprenant. Ce n’est pas comme si, depuis l’accession des Socialistes Officiels aux manettes du gouvernement, l’idée générale d’augmenter sensiblement les moyens de Pravda France Télévision n’était pas sans cesse remise sur le tapis. Ce n’est pas non plus comme si, en septembre 2013, la ministre de la Culture d’alors tentait des mathématiques alternatives pour faire passer l’idée de cette taxe dans l’opinion publique. Ce n’est pas comme si, en novembre 2014, l’idée ne réapparaissait pas à la faveur d’une actualité budgétaire serrée. Ce n’est pas comme si, en mars 2015, les mêmes obstinés n’avaient pas remis le couvert, une fois encore, avec acharnement, sur cette idée aussi stupide qu’inique.
Bref, depuis un peu plus de deux ans maintenant, tout concourt à ce qu’enfin, la taxation violente, répétée et obstinée pour la redevance télévisuelle s’applique à chaque appareil qui, en France, dispose d’un écran, et ce d’autant plus facilement que le pouvoir en place a bien compris le parti qu’il pouvait tirer d’un si gros organe de diffusion d’une information contrôlée par lui.
Et dans ses démarches taxatoires, Delphine sait qu’elle pourra compter sur le soutien solide du ministère de la Culture, jamais en retard d’une opération de communication et d’une occasion en or pour augmenter encore ses budgets. Fleur Pellerin approuve donc bruyamment l’idée générale. C’est normal : entre son ministère qui n’a pas lâché le morceau depuis plus de deux ans à harceler les médias, les députains et le gouvernement, sa prédécesseur, l’onomatopée Orélifilipéti qui a elle-même largement décidé en faveur de cette nouvelle extension de la taxe, et l’incapacité de l’actuelle ministère à trouver une autre solution opérationnelle au manque de fonds de France Télévision, Pellerin ne pouvait pas prétendre demander autre chose. Et puis, quelque part, c’est dans l’ADN de ces énarques de demander, pour tout problème, l’unique solution ultime : une augmentation des taxes.
Lorsqu’en 2012, l’idée générale d’une extension de la redevance aux appareils connectés faisait son apparition, personne ne croyait vraiment à cette solution. Peu pratique à mettre en place, elle était alors suffisamment impopulaire pour justifier sa mise au rencart. De ce point de vue, on ne peut qu’admirer le travail de fond de nos politiciens qui ont réussi à faire progresser l’idée qui est maintenant à peu près mûre. Et même si, à l’exception de ceux qui en vivent, personne ne veut en entendre parler, cette redevance tous azimuts sera mise en place. Même si l’audience de Fail France Télévision devant ses émissions sirupeuses chute d’année en année, vous y aurez droit, un jour ou l’autre.
Bien sûr, la vraie et unique solution opérationnelle consiste à privatiser ce fatras de chaînes et de productions qu’une majorité de Français paye mais ne regarde pas. Mais oubliez-la tout de suite : elle est incompatible avec l’impératif gouvernemental d’un canal de propagande doublé d’un garage à sympathisants.
Décidément, vous n’y couperez pas : l’enflement de l’État continue. Il a toujours plus faim et ne voit plus qu’une chose : vos portefeuilles bombés, vos épargnes dodues, vos richesses qu’il considère comme siennes.
Bonne redevance à tous.
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