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Fukushima prend toute sa dimension

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Published : July 11th, 2011
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Category : Editorials

 

 

 

 

« Il faudra trois, cinq, voire dix ans pour parvenir à en reprendre le contrôle, et même plusieurs décennies pour remédier aux conséquences de l’accident », vient de déclarer à propos de Fukushima Daiichi Naoto Kan, le premier ministre japonais.


C’est la première fois que les autorités japonaises s’avancent a formuler une estimation des délais qui seront nécessaires pour procéder à la décontamination du site. Une nouvelle annonce présentant les étapes de celle-ci ainsi que leur calendrier devrait intervenir le 19 juillet prochain.


Le projet, qui circule déjà au Japon, s’appuie sur l’expérience américaine qui a fait suite à l’accident de Three Mile Island, ce qui en trace sans plus attendre les limites. Le combustible de trois réacteurs a fusionné, traversant la cuve contrairement à ce qui s’était passé aux Etats-Unis.


Le démantèlement des réacteurs s’annonce comme une opération de longue haleine nécessitant la conception et la mise au point de méthodologies et d’équipements spécifiques, en particulier afin de recueillir le combustible après fusion, dont on ne connaît pas l’état et la localisation exacte. Il sera également nécessaire de vider les piscines de stockage du combustible usagé, au contenu entreposé dans des conditions perturbées compliquant l’opération. De découper les gigantesques structures radioactives des réacteurs. Et enfin, de stocker pour une longue période dans les conditions de sécurité les meilleures ces masses de débris radioactifs.


Un tel chantier n’a jamais eu d’équivalent et va faire appel à des ressources encore à inventer, pour un coût indéterminé et qu’il va falloir financer. Son démarrage suppose que la reprise en main de la centrale soit réalisée, ce qui est encore loin d’être le cas en dépit des progrès qui ont été accomplis. La mise en marche fonctionnelle des nouveaux systèmes de refroidissement des réacteurs, permettant l’arrêt de la production continue d’eau hautement contaminée est encore en suspens.


L’évacuation – après décontamination partielle – des masses d’eau répandues dans les sous-sols est encore problématique et de longue haleine. Enfin, ses bâtiments et structures éprouvés, la centrale reste vulnérable aux éléments : pluies tropicales, secousses telluriques… et tsunamis.


Dans l’immédiat, de mauvaises nouvelles sont égrenées au fil des jours. Des taux de contamination radioactive très élevés sont ici ou là relevés dans l’environnement ou dans l’alimentation, mettant en évidence que les zones d’évacuation ont été taillées de manière trop restrictive et sans mesures adéquates de la radioactivité et que leurs frontières ne sont pas étanches.


Plusieurs centaines de milliers de Japonais sont en conséquence condamnés à vivre dans l’incertitude et le danger, qui s’accroît à la longue, à force de l’exposition cumulée à des radio-éléments à longue durée de vie (césium). S’en tenant au démantèlement des installations de la centrale, le plan gouvernemental ne prend pas en compte cette dimension humaine.


La détection, à Tokyo même, d’un taux de trois à six fois la normale de césium dans de la viande de bœuf originaire d’une ferme de la zone comprise entre 20 et 30 kms de la centrale a créé un choc plus largement dans l’opinion, montrant que la population japonaise était dans son ensemble susceptible d’être exposée à la contamination, via la production alimentaire. Les mesures externes à l’animal avant son transport vers l’abattoir n’avaient en effet rien détecté.


Les contrôles sur les produits alimentaires, a-t-il été reconnu par les autorités, sont effectués de manière aléatoires et aucun changement n’est envisagé à ce sujet. Moins d’un pour cent de ceux-ci, provenant de la région de Fukushima, ont été contrôlés. Ce qui comprend également les produits de la mer, où l’on sait qu’une importante contamination est intervenue, se fixant au final dans la chaîne alimentaire : algues, crustacés et poissons. Enfin, si une interdiction gouvernementale empêche le transport des vaches et boeufs en dehors de la zone d’évacuation des 20 kms, rien de tel n’existe pour les porcs et les volailles.


Petit à petit, il se dessine une autre image de la catastrophe de Fukushima. L’équation économique en est aussi progressivement posée, sous le double angle de ses conséquences immédiates et à long terme. A un rythme ou à un autre, le Japon pourrait être désormais condamné à lui aussi sortir du nucléaire.


Billet rédigé par François Leclerc


Paul Jorion



(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.   

 

 

 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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