Gary Becker a
reçu le prix Nobel d’économie en 1992. Il est mort le 3
mai 2014. Il est connu notamment pour ses travaux sur le capital humain,
l'analyse économique de la criminalité, de la famille ou de la
discrimination. L’idée de Gary Becker fut d’appliquer
l’hypothèse de l’homo œconomicus à
des domaines non économiques en apparence, comme la
criminalité. « Mes
recherches utilisent l'approche économique pour analyser des
problèmes de société qui se situent hors des
préoccupations habituelles des économistes. »
Contrairement
à l'analyse marxiste, l'approche économique à laquelle
se réfère Becker ne suppose pas que les individus soient
uniquement motivés par l'égoïsme et l'appât du gain,
ni que leurs actions seraient déterminées de façon
rigide par le passé. Il essaye de détacher les
économistes de l'hypothèse étroite de
l'intérêt personnel. Selon lui, leur comportement est
commandé par un ensemble bien plus riche de valeurs et de
préférences.
Son
hypothèse est que les individus maximisent toujours leur
bien-être mais de façon diversifiée, suivant qu'ils sont
égoïstes, altruistes, fidèles, rancuniers ou masochistes.
Leur comportement est orienté vers le futur, de même qu'il est
cohérent à travers le temps. En particulier, ils tentent
d'anticiper de leur mieux les conséquences incertaines de leurs
actions. Bien sûr, le passé peut exercer une influence durable
sur les attitudes et les valeurs, mais ne permet jamais de prédire
l’avenir.
La
thèse de Becker, c’est que la criminalité augmente
lorsque le crime paie. Le criminel se détermine en fonction de la
réalité qu’il constate. Or, les taux de crimes impunis,
de peines non appliquées et de libérations anticipées
sont les véritables signaux qui incitent ou non à
l’activité criminelle.
L’économiste
a commencé à s'interroger sur le crime dans les années
1960 alors qu’il se rendait à l'Université de Columbia
pour la soutenance d'un de ses étudiants. Il était en retard et
a dû décider rapidement entre laisser sa voiture dans un parking
payant ou risquer une contravention pour l'avoir garée
illégalement dans la rue. Il a calculé la probabilité
d'avoir une contravention, l'importance de l'amende et le coût d'une
place de parking. Il a alors décidé de prendre le risque et de
se garer clans la rue. Alors qu’il se dirigeait vers la salle d'examen
en marchant le long des bâtiments, il lui vint à l'esprit que
les autorités de la ville avaient probablement fait la même
analyse. La fréquence des inspections des véhicules en
stationnement et l'importance de l'amende imposée aux contrevenants
devaient dépendre de leurs estimations des calculs effectués
par les contrevenants potentiels comme lui.
Par la suite,
il essaya de modéliser le comportement optimal des délinquants
et de la police et arriva à la conclusion que le
comportement criminel serait une réponse rationnelle à des
incitations et des opportunités. La criminalité baisserait ou
augmenterait en réponse à ses coûts attendus en termes de
probabilité de punition.
Cette
théorie[1] s’appuie sur
l’hypothèse de la rationalité de l’individu. Un
individu n’agit que s’il a de bonnes raisons d’agir. Ainsi,
la perspective d’une punition risquée et plus coûteuse que
le bénéfice attendu est une bonne raison pour un individu de ne
pas commettre d’infractions à la loi.
Dans
cette approche, la dissuasion devient le principal levier de la lutte contre
la délinquance et la criminalité. Le criminel est un
calculateur. Si le crime ne paie pas, si la probabilité de se faire
prendre est plus forte que l’appât du gain, le criminel renonce
à agir.
On peut certes
espérer du système carcéral qu’il rende les hommes
meilleurs. Mais la peine est avant tout un mal qui tend à dissuader
les criminels. À trop vouloir être indulgent et adoucir les
peines, ou leurs conditions d'exécution, on peut finir par inciter les
criminels à commettre leurs méfaits. Du fait de l'amenuisement
de la réaction judiciaire, la peine peut paraître moins
redoutable en regard d'un profit substantiel et immédiat tiré
d'un délit ou d'un crime.
La
théorie des choix rationnels ouvre une nouvelle perspective dans le
traitement de la criminalité : si les
comportements criminels sont affectés par l’existence
d’une peine ou d’une récompense, il devient
primordial de mettre en place des politiques publiques qui découragent
le crime ou les comportements irresponsables.
En 1982, dans
un article de l’Atlantic Monthly, « Broken
Windows », deux
criminologues, James Q. Wilson et George Kelling,
ont démontré qu’une réaction immédiate de
la police à la petite délinquance (les fameuses « vitres
cassées ») permettait d’enrayer l’engrenage des
violences urbaines, encouragées par le laxisme des autorités.
À New York, à partir de 1994, Rudolph Giuliani
a mis à l’épreuve la théorie de Wilson. Sous son
mandant, quatre cent mille personnes ont ainsi été
arrêtées par la police, même si la majorité
d’entre elles ont été assez vite relâchées.
Les résultats
ont été spectaculaires. Dans les cinq ans qui ont suivi, les
infractions globales ont diminué de 50 pour cent et les assassinats de
68 pour cent. Alors que la ville connaissait plus de 2 600 meurtres par an
dans les années 1990, ce nombre avait chuté à moins de
800 en 1997. Les quartiers ont vu une amélioration encore plus
spectaculaire. Entre 1993 et 1997, la criminalité a chuté de 39
pour cent à Harlem, 42 pour cent dans l'est de New York et 45 pour cent
dans le Sud du Bronx.
Finalement, l’analyse économique du crime aura
certainement contribué à la mise en place de politiques
publiques davantage axées sur la dissuasion. Avec l’augmentation
des forces de polices, la généralisation des fichiers ADN et
les nouvelles méthodes de la police scientifique, le crime a
été fortement découragé, la probabilité de
se faire prendre étant de plus en plus élevée.
Par ailleurs,
à partir des années 1980, le système judiciaire a
commencé à devenir plus répressif. Entre 1960 et 1980,
la probabilité qu’un criminel aille en prison avait
diminué de plus de moitié. Entre 1980 et 1997, ce risque avait
doublé. La durée moyenne du temps passé en prison a
également commencé à augmenter après 1980 aux
États-Unis. Tout ceci peut expliquer la chute vertigineuse des taux de
criminalité constatée depuis le milieu des années 1990.
Depuis 25 ans, les évaluations empiriques des effets des conditions
carcérales, des taux de condamnation, du niveau de chômage, de
l'inégalité des revenus et d'autres variables sur le taux de
criminalité sont devenues plus nombreuses. De nombreux économistes aujourd’hui veulent
travailler sur des problèmes sociaux plutôt que sur des
problèmes qui constituent le domaine traditionnel de
l’économie. De même, les spécialistes des questions
de société sont souvent attirés par la manière
économique de modéliser le comportement en raison du pouvoir
analytique de l’hypothèse de rationalité individuelle.
En France, Raymond Boudon a fait connaître cette
théorie des choix rationnels et l’a appliquée à de
nombreux champs de recherche : en sociologie, en droit, en science
politique, en histoire, en anthropologie et en psychologie. Le modèle
des choix rationnels offre la base la plus prometteuse, disponible
actuellement, pour une approche unifiée de l’analyse du monde
social par les chercheurs en sciences sociales. Cette situation est en grande
partie le résultat des travaux du pionnier de Gary Becker.
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